A suivre...
(17 mars 2011)
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Les ailes brisées du nucléaire
Après la catastrophe
survenue au Japon, le débat sur l’avenir du nucléaire rebondit de plus
belle. Mais il paraît singulièrement étriqué, tant les acteurs semblent
coincés entre une logique de “oui” et de “non” absolus à cette filière,
fascinante autant que redoutable.
Le danger devait venir
de l’Est. Des pays de l’ex-Bloc communiste et des anciennes républiques
soviétiques, dont l’un des réacteurs de type Tchernobyl aurait pu exploser à
la figure de l’Europe, scellant le sort de l’industrie nucléaire. C’est
finalement de l’Orient qu’il est venu. Et plus particulièrement des
profondeurs de l’Océan Pacifique, vomissant cette vague meurtrière qui a
ravagé le Japon le 11 mars dernier, noyant du même coup au moins quatre
réacteurs nucléaires et rendant impossible le refroidissement contrôlé de
leurs cœurs.
Depuis lors, vingt-cinq
ans après Tchernobyl, ce sont les mêmes images qui envahissent les écrans :
évacuations massives, contrôles de radioactivité dans les lieux publics,
appels à rester calfeutré à domicile, etc. Un cauchemar pour les victimes du
nord de l’île. Mais aussi, sur un tout autre plan, pour ceux qui
prétendaient que l’énergie nucléaire était une filière sûre et durable. Il y
a un an, le président Obama a donné son feu vert pour la construction de
nouvelles centrales aux Etats-Unis: une première depuis l’accident de Three
Mile Island (1979). En Europe, plusieurs pays (Italie, Suède, Allemagne,
France, Grande-Bretagne, Belgique, etc.) venaient de renouveler leur intérêt
pour la filière, renonçant ici à un moratoire, allongeant là-bas la durée de
vie de leurs centrales, investissant plus loin dans des réacteurs de
troisième génération…
Une
filière KO
Au frigo, tous ces jolis
plans ! Mais pour combien de temps? Posons la question autrement: peut-on
vraiment se passer du nucléaire à long terme? Observons tout d’abord qu’il
n’a pas fallu quatre jours, après l’annonce du drame nippon, pour rencontrer
le même cynisme (ou la même inconscience?) que lors de ”l’après Tchernobyl”,
lorsqu’il s’est agi de commenter la gravité des événements. Quelques heures
à peine après la troisième explosion survenue sur les réacteurs de
Fukushima, un vieux baroudeur du nucléaire belge n’hésitait pas à affirmer,
au micro de la RTBF(1), que la situation était “sous
contrôle” et qu’il n’était “pas inquiet pour la sécurité des
personnes”. Mieux: il rendait “hommage au courage des Japonais
d’avoir construit leurs centrales en zone sismique”.
Un tel aveuglement est
typique d’une large frange du monde de l’expertise nucléaire. Voudrait-on
rendre un immense service aux antinucléaires qu’on ne s’y prendrait pas
autrement! Il rappelle le mépris de ceux qui, se penchant sur le cas de
Tchernobyl, soutenaient contre vents et marées que la catastrophe n’avait
entraîné “que” quelques dizaines de morts “directs”. Les mêmes négligeaient
les dizaines de milliers de personnes aux existences brisées, ravagées par
des cancers survenus de longues années après les faits, à la suite d’une
exposition à une radioactivité faible mais ininterrompue dans leur
environnement.
Chez nous, on ne sait
s’il faut rire ou pleurer devant l’attitude de certains de nos
parlementaires, convoquant en urgence, lundi dernier, la réunion d’une
commission spéciale du Parlement pour discuter des risques du nucléaire à
Doel ou à Tihange. Mesdames et messieurs du politique, vous avez disposé de
sept années, depuis la loi de 2003 (consacrant la sortie du nucléaire mais
aussitôt qualifiée par plusieurs partis signataires de “purement
idéologique”), pour vous pencher sur les avantages et les inconvénients du
nucléaire et, surtout, sur la priorité: élaborer un véritable plan
alternatif d’approvisionnement électrique du pays! Les huit experts
indépendants du groupe “Gemix”, en 2009, ont bien dû constater que cela
n’avait pas été fait…(2). Pures gesticulations que ce
barnum médiatique de la mi-mars.
Des
failles connues
Revenons-en au Japon.
Dès le séisme (9 sur l’échelle de Richter!), les réacteurs se sont arrêtés,
comme prévu dans les procédures de sécurité. Fort bien. C’est donc le
tsunami, d’une force inégalée, qui les a mis en situation problématique, la
technologie nucléaire n’étant pas en défaut. Sauf que voilà: personne ne
semble avoir prévu, dans une région parmi les plus sismiques du monde, qu’un
réacteur nucléaire à l’arrêt peut devenir impossible à refroidir, faute
d’alimentation électrique de secours laissée intacte. Mutatis mutandis, ce
genre de talon d’Achille pourrait être reconnu à nos centrales belges,
voisines directes de deux fleuves (Meuse et Escaut) dont personne ne peut
prévoir les caprices à l’heure ou l’on annonce – et constate – une
multiplication d’événements climatiques extrêmes. La vulnérabilité de trois
des sept réacteurs du pays à une chute d’avion long courrier (venant de
Bierset, par exemple, aéroport en plein développement), est établie. Des
facteurs “imprévisibles”, vraiment?
Le nucléaire est
indispensable, prétendent certains. Fort bien. Alors, analysons, en détail
et sans gesticulations politiques ni technocratiques, les failles énumérées
ci-dessus. Et les autres, mises en évidence dans des rapports officiels ou
restés discrets. Comme celui de l’Association Vinçotte Nucléaire, en 2004,
qui avait relevé l’érosion de la culture de sûreté nucléaire en Belgique
dans le contexte européen de dérégulation des missions de contrôle.
Répondons sans ambages aux craintes légitimes de la population. Et
élargissons le débat au modèle de développement économique qui est le nôtre,
en arrêtant de faire croire que la Belgique – située au cœur de l’Europe et
dont les centrales sont propriétés de l’étranger – reste seule maître à bord
de son destin énergétique.
C’est d’un véritable
projet politique en matière énergétique dont l’Europe a besoin, elle qui se
targue de vouloir “décarboniser” son économie à plus de 80% à l’horizon 2050
pour répondre à l’effet de serre. Le défi est colossal. L’économie drastique
de matières premières et d’énergie en est le cœur. L’objectif à atteindre:
une nouvelle frugalité, notamment, qui n’est en rien synonyme de “retour à
la bougie” ni même de perte de confort. C’est seulement au prix de ce projet
politique de longue haleine que l’Europe pourra endosser son costume de
région “pilote” ou “modèle” aux yeux des pays émergents ou moins nantis.
Qui, eux, louchent légitimement sur le nucléaire, parmi d’autres filières,
pour assurer leur développement.
// Philippe Lamotte
(1) Matin première, RTBF, 15 mars 2011.
(2) Le Soir, 4 octobre 2009.
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