Santé publique
(3 novembre 2011)
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Amiante
Un ami qui nous veut du mal
A la faveur d'un double procès et d'un film instructif, l'amiante se
rappelle à notre bon souvenir. Plus que tout, ses victimes réclament la
reconnaissance de leurs souffrances. Et invitent à la vigilance.
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Richard Villalon/BELPRESS |
L'histoire de l'amiante est d'abord celle d'un miracle.
Pensez donc! Une fibre naturelle et bon marché qui, bien travaillée en
usine, permet de fabriquer des produits résistants à la chaleur et à la
corrosion. Parfait isolant électrique, l'amiante est, parmi d'autres
qualités, malléable à souhait et ininflammable. Pas étonnant que de
véritables empires industriels – notamment celui d'Eternit, dans ses usines
belges et étrangères – se soient créés sur le mélange de la fibre avec du
ciment (asbeste-ciment).
Mais le rêve de certains a vite tourné au cauchemar pour tant d'autres.
L'amiante, c'est – aussi – le mésothéliome, une forme de cancer
particulièrement agressive et réputée pour se déclarer très tardivement
après l'exposition. Selon certains experts, c'est seulement en 2020 que le
“pic” de cette maladie sera atteint. L’amiante, c’est – aussi – l'asbestose,
un autre cancer spécifique à ce produit. Rien qu'entre 2007 et 2010, le
Fonds amiante, chez nous, a reconnu 578 cas de mésothéliome et 443 cas
d'asbestose.
Ces chiffres, pourtant, ne suffisent pas à traduire le vrai drame de
l'amiante. D'abord parce qu'ils ne reflètent que l'activité du Fonds, créé
seulement en 2007 et destiné à indemniser les victimes non protégées jusque
là par le Fonds des maladies professionnelles (1).
Ensuite, parce qu'ils ne disent rien de l'immense blessure des victimes qui,
un jour, dans leur cheminement médical ou celui de leur proche, ont
découvert cette réalité: “ils” savaient. Oui, dès le milieu des années
soixante, en pleine période de succès commercial de la fibre, on connaissait
l'essentiel de ses effets – délétères – sur la santé humaine,
scientifiquement établis.
On savait. Et pourtant, on s'est tu. Ou on a tenté, du côté industriel,
d'apaiser l'inquiétude, de minimiser les effets, d'endormir la vigilance des
syndicats. Il faudra attendre le milieu des années nonante pour voir sa
fabrication interdite dans la plupart des pays européens; et carrément 2005
pour voir l'Union proclamer le coup d'arrêt définitif (2).
Aujourd'hui, des millions de tonnes de tôles ondulées continuent à être
fabriquées à partir d'asbeste et de ciment dans les pays du Sud ou
émergents: Chine, Inde, Russie... Et cela, dans des conditions de sécurité
qui, chez nous, seraient jugées inadmissibles.
On saura, le 28 novembre, si les premières victimes environnementales de
l'amiante s'étant pourvues en justice, chez nous, pourront être dédommagées.
Le Tribunal civil de Bruxelles devrait rendre son jugement dans cette
affaire épouvantable qui a vu la famille Jonckheere décimée par l'amiante
produit chez Eternit: un père, une mère et deux de leurs cinq fils. On saura
également, début 2012, si les anciens dirigeants de la filiale italienne de
la multinationale, parmi lesquels un Belge, seront condamnés au pénal pour
défaut de précautions.
Nul désir de vengeance chez la plupart des victimes. Juste un besoin de
reconnaissance. Et, en filigranes, cet avertissement pour tant d'autres
produits ou pathologies autour desquels le flou persiste: bisphénol A,
perturbateurs endocriniens, ondes électromagnétiques, etc. Un flou tantôt
justifié (faute d'indications scientifiques suffisamment probantes), tantôt
volontairement entretenu par ceux qui ont intérêt à retarder, le plus
longtemps possible, les mesures d'interdiction.
//Ph.L.
(1) L'amiante pouvait tuer par simple nettoyage
régulier des vêtements de l'époux, de retour de l'usine. C'est un exemple,
parmi d'autres, de "victimes environnementales".
(2) Les produits dérivés de l'amiante restent très
nombreux dans notre environnement. Ils sont inoffensifs pour la santé tant
qu'ils ne sont pas découpés, sciés, effrités, endommagés, etc.
Film documentaire : poussière
mortelle |
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©
Iota Productions |
“J’ai assisté pour la première fois à
une assemblée générale de l’association des
victimes de Casale Monferrato (Italie), il y
a six ans,
explique Niccolò Bruna, co-réalisateur de
Poussière mortelle. Toutes avaient perdu
un ou plusieurs êtres chers, morts d’un
mésothéliome. On ne peut rester insensible à
leurs paroles, à leurs visages…”. Avec
Andrea Prandstraller, les cinéastes
choisissent de suivre l’histoire de ces
héros ignorés, engagés dans une lutte pour
la reconnaissance de la responsabilité d’Eternit
dans la mort de leurs proches. Leur
rencontre les mènera au procès, entamé à
Turin début 2010, contre deux hauts
responsables d’Eternit (le Belge Jean-Louis
de Cartier de Marchienne et le Suisse Ernest
Schmidheiny). Mais elle les emmènera aussi
au Brésil ou en Inde, où l’amiante continue
d’être exploité.
Des extraits des auditions italiennes
jalonnent le documentaire. Ainsi, entre-t-on
dans le combat des victimes de l’industrie
du fibrociment. On comprend peu à peu que la
fermeture des usines et l’interdiction de
l’amiante – en Italie au début des années
90’ – n’ont pas mis un point final aux
drames générés par l’exploitation. A la
barre, Romana Blasotti Pavesi, toute en
retenue, livre un témoignage émouvant. La
mort de son mari, ouvrier de l’usine de
Casale, puis de sa fille plusieurs années
après, tous deux victimes d’un cancer de la
plèvre, l’ont poussée à se battre. “Je
souhaite que les coupables aient
l’opportunité de suivre une victime du
mésothéliome du début à la fin de sa
maladie”. Luisa Minazzi, directrice
d’école, est de ces victimes. “L’espoir
ne doit pas nous abandonner”, dit-elle
au début du reportage. Et le générique de
signaler son décès...
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Comble de l’histoire, c’est – entre autres –
une usine italienne importée et reconstituée
en Inde qui sert à fabriquer, encore
aujourd’hui, des tôles ondulées et des
canalisations en fibro-ciment amianté.
Elles sont exportées vers la Chine,
la Russie, la Thaïlande, le Zimbabwe. En
Inde, comme au Brésil ou au Canada, où des
exploitations perdurent, on justifie la
poursuite de ces activités par le fait
qu'elles seraient désormais sous contrôle.
Les ouvriers sont invités à ne pas respirer
les poussières.
On humidifie et on ventile les sites
de travail.” “Certes interdit en Europe,
l'amiante reste utilisé par une grande
partie de l’humanité, observe le réalisateur
Niccolò Bruna. Une tragédie à portée
internationale”.
//CD
>> A voir sur la Une,
le 16 novembre à 22h et
sur Arte,
le 29 novembre à 20h40.
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