Santé publique
(16 février 2012)
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Amiante : deux patrons d'Eternit jugés coupables
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© Associated Press/Reporters |
Le tribunal de Turin (Italie) a déclaré deux anciens cadres de la
multinationale Eternit coupables d'avoir délibérément caché, il y a plus de
trente ans, les dangers liés à l'amiante. Ce procès pénal – une première –
aura des répercutions énormes dans le monde industriel.
Certaines victoires ont le goût de la mort. Voilà pourquoi tant de gens,
l'autre jour, au palais de justice de Turin (Italie), arboraient un large
sourire tout en pleurant à chaudes larmes après avoir entendu le verdict du
“procès de l'amiante”, probablement l'une des actions en justice les plus
importantes jamais entreprises contre le monde industriel. Deux anciens
patrons d'Eternit, l'un Belge (Louis de Cartier de Marchienne), l'autre
Suisse (Stefan Schmidheiny), ont été reconnus responsables de la mort d'au
moins 1.800 personnes. Au terme de 65 audiences, le tribunal a estimé qu'ils
étaient au courant, pendant l'exercice de leurs fonctions (dès les années
septante), des ravages de l'amiante sur la santé des travailleurs et qu'ils
n'ont pas pris les mesures nécessaires pour les en protéger.
Pour des
milliers de familles endeuillées par la mort de leur proche, notamment à Casale Monferrato, ce jugement est le couronnement de cinq ans de patience
et, surtout, de longues années passées à démontrer le lien de causalité
entre l'exposition à la fibre et le cancer du poumon, l'asbestose ou le
mésothéliome (cancer de la plèvre) de leur parent. Ce ne sont pas uniquement
les ouvriers au contact de l'amiante (environ 500 sont encore malades
aujourd'hui) qui devraient être indemnisés, mais aussi les victimes
“environnementales”: des enfants, des épouses, des villageois qui ont subi
les pollutions liées à la libération d'amiante dans leurs lieux de vie. Des
municipalités, des organisations non gouvernementales et des collectivités,
également reconnues victimes de la multinationale, devraient aussi être
dédommagées. Les deux condamnés n'étaient pas présents au procès, mais leurs
avocats ont d'ores et déjà annoncé qu'ils iraient en appel.
Le verdict du
procès italien pourrait avoir des conséquences jusqu'en Belgique. L'Abeva,
l'association qui vient en aide aux victimes de l'amiante dans notre pays,
se sent confortée pour réclamer une amélioration du fonctionnement du Fonds
amiante. A l'heure actuelle, les personnes indemnisées par celui-ci ne
peuvent pas intenter une action en justice contre les firmes ayant utilisé
de l'amiante. Ce n'est qu'une des nombreuses anomalies dans un pays qui a
longtemps été le siège de la principale entreprise européenne active dans ce
secteur et qui, de surcroît, a été l'un des derniers à décider
l'interdiction de fabriquer le produit. Ce procès aura probablement un autre
impact, plus général. Il poussera les états majors des firmes
commercialisant des produits suspects (surtout dans le domaine chimique) à
redoubler de prudence dans leurs stratégies commerciales et de
communication. Par hasard, le jour même du verdict de Turin, Monsanto, géant
du secteur biotechnologique et chimique, a été reconnu responsable de
l'intoxication d'un agriculteur français par l'un de ses pesticides, mal
renseigné sur l'emballage. Là aussi, des centaines de familles
d'agriculteurs, plongés dans la même situation, attendaient un verdict
susceptible de faire jurisprudence…
// PHL
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