A suivre...
(7 avril 2011)
Idoles et causeries
de comptoirs
Personnages particuliers que ces jeunes fans au bord de l’évanouissement
face à une starlette naissante, comme Justin Bieber? Assurément par
l’intensité de l’émotion et l’hystérie. Mais sommes-nous tous si éloignés
des sentiments qui les meuvent?
Elles étaient plus de
18.000 à Anvers ce 31 mars. Une foule de jeunes filles, les joues marquées à
l'effigie d'un certain JB. Cœurs et calicots aux propos enflammés disent
les sentiments qu'elles vouent toutes à la star. Justin Bieber n'a que 17
ans, son premier single n'a pas deux ans, mais il est au cœur de ce que
certains qualifient de “Biebermania”. Avec son look soigné, sa gueule d'ange
et ses chansons guimauves, la star canadienne n’en finit pas de faire
succomber les petites miss. Entre 10 et 18 ans, elles sont nombreuses à
nourrir à son égard des sentiments ardents. D'autant qu'il s'ingénie à se
présenter tel le petit ami idéal, allant jusqu’à baptiser un cocktail 100%
fruits à son nom. Assister à son concert, croiser son regard, le toucher
peut-être, elles en rêvent. Pour satisfaire leur progéniture, quelques
parents ne reculent devant aucun sacrifice. Le 31 mars début d'après-midi,
certains ont traversé la Belgique dans l'espoir d'acheter à leurs fillettes
une place pour le concert pourtant complet de longue date. 30 minutes après
la mise en vente des places, tout était vendu. Et pour ce qui est
d’apercevoir l’égérie, le trajet fut vain, lui aussi. Voilà qui était
pourtant une mise en pratique du leitmotiv de la star “never say never” (ne
jamais dire jamais)!
Exaltation toute relative
A côté de ce mouvement
qui vire à l’obsession, d’autres jeunes voient Justin comme “un petit
gamin qui se la pète”. “Tout le monde le déteste dans mon école. Il a fait
un film sur sa vie et il s’y croit”. Quoiqu’il en soit, au Sportpaleis,
une véritable hystérie collective déchire les oreilles tout autant que la
musique servie à tout rompre. Les plus critiques dénonceront les play-back,
ils diront la voix de Bieber trop fluette et instable – l’ado mue –, ses
talents de pianiste ou de batteur forts relatifs. Les plus soucieux de la
santé physique des jeunes leur prédiront des acouphènes au sortir de la
prestation. Quant à la santé mentale…
Comme un
passage naturel
La psychopédagogue
Eliane De Vleeschouwer (Association Françoise Dolto) observe: “Le culte
des stars déchaîne des manifestations de masse impressionnantes où les
jeunes sont en majorité. (…) Au-delà de ce phénomène de mode qui est
particulièrement important pour les adolescents, mais qui l’est aussi pour
beaucoup d’adultes, les ‘stars ‘ sont pour les jeunes des objets
d’identification”(1). Les modèles permettent de
grandir. Et les parents n’assurent cette fonction que pendant un temps.
Certes, ils sont les “premières vedettes” des enfants mais l’adolescence les
détrônera pour s’envoler vers d’autres images idéalisées, pour se projeter
par procuration dans une vie rêvée.
Toutes les générations
sont passées par là. Il suffit de penser aux engouements pour Cloclo,
Marilyn ou Johnny. Rien d’inquiétant apparemment. Sauf à rester accroché à
ces modèles irréalistes, à “collectionner [sa vie durant] de
manière obsessionnelle tout ce qui concerne cette image aux dépens de sa
personnalité propre”.
A l’adolescence,
l’idéalisation du héros battrait son plein, pour sainement décliner avec
l’âge. Une histoire très personnelle animerait le jeune qui affiche son
idole au mur de sa chambre, écrit son nom dans toutes les marges de ses
cahiers, s’habille à sa façon… “Cette relation personnelle est celle d’un
amour idéalisé. Elle s’accompagne parfois d’une sorte de dialogue intérieur
avec son ‘ami imaginaire’ dont le jeune rêve de partager la vie; il devient
son confident, voire son conseiller. Les célébrités s’intègrent parfois dans
la vie du public comme des proches; elles deviennent des ‘étrangers intimes’”,
explique le rédacteur en chef de sciences humaines, Jean-François Dortier(2).
Entre affirmation et confrontation, l’adulte se construit.
Tous
friands d’indiscrétion?
Mais l’attraction des
“peoples” ne se limite pas à la seule adolescence, ni ne s’explique par la
seule fascination pour les êtres qu’ils sont – ou plutôt qu’ils exhibent,
parfois de manière extrêmement travaillée. Combien de produits marketing ne
se cachent-ils pas, d’ailleurs, derrière les étoiles filantes du
star-system?
Le goût pour le “people”
nous atteint tous – petits et grands. Avec dévotion pour certains, avec
distance pour d’autres. Avec constance ou à d’une façon occasionnelle.
“Mi-sérieux, mi-amusés”, ne cédons-nous pas tous à la curieuse indiscrétion
d’un potin mondain? Et ce, depuis la nuit des temps, rappelleront certains
dans la suite du sémiologue Roland Barthes ou du sociologue Edgar Morin.
Tous deux avaient établi une analogie entre les potins modernes et la
mythologie antique, entre les stars contemporaines et les dieux de
l’Olympe.
“Les aventures de
héros sont un opérateur de constitution du rapport à soi, aux autres, au
monde”, explique la sociologue des médias Sabine Chalvon-Demersay. Et
Jean-François Dortier d’expliquer: discuter de la vie privée de ces héros
serait une manière d’expérimenter mentalement des situations de vie, de
juger de comportements, d’émettre des jugements moraux, d’affronter des
épreuves en pensée, d’explorer des situations inconnues. De se construire,
en somme.
Alors, causons-en! Moins
en fonction des bruits de couloirs, qu’au gré de ce que leurs œuvres
suggèrent. Bieber rend pop l’amour adolescent fait de “toujours” et de
“jamais”. Brassens chantait qu’il n’y a pas d’amour heureux. Balavoine
demandait qui pouvait remplacer le besoin par l’envie… La matière ne manque
pas.
// Catherine Daloze
(1) “Fan un jour… fan toujours?”, article paru dans La
Libre, 31 mars 2011.
(2) “Les peoples, pourquoi ça marche?”, dossier de la revue
Sciences humaines, mai 2009.
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