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A suivre... (3 février 2011)

 

Appel à indignations

“Indignez-vous!” est le titre d’un opuscule en vogue, qu’il semble de bon ton d’avoir lu. Un tel succès s’explique assurément par la générosité des idées de son auteur, un nonagénaire engagé, au charisme certain. Sans doute s’explique-t-il aussi par son accessibilité, voire sa simplicité.

A peine quelques mois d’existence et “Indignez-vous!”(1) en est à sa onzième édition! C’est dire le succès que remporte le texte du nonagénaire Stéphane Hessel. Fin décembre, le livret avait déjà atteint un tirage plus qu’honorable, dépassant les 800.000 exemplaires. Mais, à entendre les libraires qui suivent de près le calendrier de livraison et font état de commandes en nombre, l’épisode glorieux est loin d’être terminé.

Certes, la petite brochure ne ruine pas son acquéreur qui ne doit débourser que trois euros pour l’acheter; certes, l’effort de lecture ne sera pas long, une petite vingtaine de pages seulement. Mais, pour certains observateurs, “Indignez-vous” relève moins d’une recette éditoriale miracle que d’un phénomène de société. “A la façon d’une chanson qu’on fredonne, d’un film qu’on recommande, ‘Indignez-vous!’ cristallise l’air du temps. L’acheter, c’est un acte militant, un geste de communion, la participation à une émotion collective”, écrit Eric Aeschimann, journaliste à Libération.

L’opus du résistant, ancien diplomate, est édité dans une collection au nom enchanteur: “ceux qui marchent contre le vent”. Une appellation que l’éditeur montpelliérain – Indigène – dit emprunter à un peuple indien des plaines d’Amérique du Nord, rattaché à la famille des Sioux: les Ohamas, “ceux qui marchent contre le vent”. La militance est au rendez-vous des autres titres déjà parus (2), “en faveur d’une révolution des consciences”.

 

L’insupportable existe encore

En quelques paragraphes, Stéphane Hessel appelle à garder vivante ce qu’il décrit comme une des composantes essentielles de l’être humain: sa faculté d’indignation et l’engagement qui en est la conséquence. “L’indifférence est la pire des attitudes”, déclare celui qui retrace brièvement les motifs de ses résistances: contre l’occupation allemande, pour la définition et le respect des droits de l’homme, pour une politique de l’immigration “intelligente”… S’appuyant sur ses engagements passés et ceux d’autres vétérans, il ne s’adresse pas moins au présent: “Les raisons de s’indigner peuvent paraître aujourd’hui moins nettes, ou le monde trop complexe. Qui commande, qui décide? Il n’est pas toujours facile de faire la distinction entre tous les courants qui nous gouvernent. Nous n’avons plus affaire à une petite élite dont nous comprenons clairement les agissements. C’est un vaste Monde, dont nous sentons bien qu’il est interdépendant. Nous vivons dans une interconnectivité comme jamais encore il n’en a existé. Mais dans ce Monde, il y a des choses insupportables.” Et le vieux monsieur au charme très gentleman de citer des défis de taille pour les jeunes générations: l’écart croissant entre les très pauvres et les très riches, la mise à mal des droits de l’homme comme le droit à une nationalité, le droit à la sécurité sociale...

S’il reconnaît les progrès engrangés depuis 1948 et l’élaboration de la Déclaration des droits de l’homme à laquelle il a participé de près, il fustige particulièrement les dix premières années du XXIème siècle. Une période de recul, d’après lui, où les opportunités de changement (face à la crise économique, lors du sommet de Copenhague, etc.) n’ont pas été saisies. Aux jeunes – et au moins jeunes aussi, sans doute – , il dit: “Regardez autour de vous, vous y trouverez les thèmes qui justifient votre indignation – le traitement fait aux immigrés, aux sans-papiers, aux Roms. Vous trouverez des situations concrètes qui vous amènent à donner cours à une action citoyenne forte”.

 

Préférer l’espérance

“Sisyphe heureux” titre un documentaire, sorte de portrait filmé dans lequel le résistant se raconte. C’est, en effet, en termes de “rocher à soulever” qu’il évoque les défis qui se posent aux sociétés humaines pour que nous en soyons “fiers”. Conscient des échecs et fort d’une certaine “audace de l’espoir”, il ne craint pas de remettre l’ouvrage sur le métier. Il prône l’insurrection pacifique, la conciliation, l’espérance plutôt que l’exaspération. Pourtant, indigné par la situation de Gaza qu’il décrit comme une “prison à ciel ouvert”, Stéphane Hessel observe que “lorsque l’on est occupé avec des moyens militaires infiniment supérieurs aux vôtres, la réaction populaire ne peut pas être que non-violente”. S’il qualifie le terrorisme d’inacceptable, il perçoit la violence comme “une regrettable conclusion de situations inacceptables pour ceux qui les subissent”. Ses prises de position sur la Palestine, sa condamnation de l’opération “Plomb durci”, lui valent des opposants farouches et des soupçons d’antisémitisme: piquant pour le fils d’un juif allemand. Comme l’écrivait le journal suisse Le Temps, “la  figure de Stéphane Hessel, résistant déporté à Buchenwald, confère une légitimité quasi intouchable à ses indignations”.

 

Un appel plébiscité mais aussi critiqué

Parmi les critiques à l’égard de cet agitateur aux allures de gentil, certains évoquent le risque de pratiquer la “politique de la pitié”; l’émotion devant la misère d’autrui prendrait le pas sur les questions de justice. Cependant, sans doute faut-il reconnaître que l’empathie – ou à tout le moins la sympathie – à l’égard des bafoués est nécessaire pour susciter la fraternité et la mobilisation. La raison seule ne pourrait  suffire.

Dans l’incitation à s’indigner de Hessel, d’aucuns verront encore le paradoxe d’une double contrainte. A l’égale d’un “sois spontané!”, sommer de s’indigner ne pourrait que mener au simulacre. Il y aurait alors un risque de s’indigner sur commande, de tomber dans le travers d’une recherche effrénée de l’intolérable, de pratiquer “la bonne conscience à bas prix”. Sans doute est-il de la responsabilité de chaque lecteur de prolonger sa brève plongée dans “Indignez-vous!”. Car, on l’aura compris, la vingtaine de pages ne peut être qu’une invitation à se positionner plus avant.

A l’heure où l’esprit rebelle se conçoit davantage comme une attitude à la mode, allant jusqu’à devenir un argument publicitaire, “Indignez-vous” entre en conformité avec les aspirations de nombre d’entre nous. Mais si l’indignation nous sied, elle n’est pas suffisante. Si nous pouvons partager la posture, encore faut-il en partager l’objet. Là, les suggestions de l’auteur restent plus timides.

// Catherine Daloze

(1) Stéphane Hessel, Indignez-vous!, éd. Indigène, 11ème édition, janvier 2011.

(2) Comme “Je suis prof et je désobéis”, de Bastien Cazals, mars 2009.

 


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