Santé publique
(17 novembre 2011)
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Pour la première fois, une enquête sur la santé bucco-dentaire de la
population belge a été menée à grande échelle. Si les résultats sont
globalement satisfaisants, notamment en termes de caries dentaires chez les
jeunes, ils cachent de grandes disparités.
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© Philippe Turpin/Belpress
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Le traitement des affections bucco-dentaires représente un coût
important tant pour le patient que pour la collectivité. Or, la plupart
d’entre elles (carie, inflammation des gencives, déchaussement de dents…)
peuvent, en grande partie, être prévenues par une bonne hygiène
bucco-dentaire, des comportements alimentaires adéquats et un suivi régulier
chez le dentiste. D’où l’importance de contrôler attentivement cet aspect de
la santé publique.Avoir des dents saines, c’est important,
non seulement pour pouvoir manger et parler, mais
également pour l’estime de soi, la qualité de vie et la santé générale. Les
aspects esthétiques et sociaux ne sont, en effet, pas négligeables. Et les
problèmes de santé buccale sont souvent associés à d’autres troubles de la
santé. Des recherches récentes ont montré un lien entre des problèmes
dentaires et des affections comme l’arthrite, les maladies
cardio-vasculaires, le diabète, l’emphysème pulmonaire, l’hépatite C,
l’obésité et les accidents vasculaires. A l’inverse, les affections
générales ou leur traitement peuvent avoir des répercussions dans la bouche.
Le traitement des
affections bucco-dentaires représente un coût important tant pour le patient
que pour la collectivité. Or, la plupart d’entre elles (carie, inflammation
des gencives, déchaussement de dents…) peuvent, en grande partie, être
prévenues par une bonne hygiène bucco-dentaire, des comportements
alimentaires adéquats et un suivi régulier chez le dentiste. D’où
l’importance de contrôler attentivement cet aspect de la santé publique.
Dès lors, l’INAMI a
décidé de mener une enquête à grande échelle pour avoir une vue d’ensemble à
la fois sur l’état de santé bucco-dentaire de la population, les
comportements en la matière, l’incidence sur la qualité de vie et la
consommation de soins médicaux (voir “Des données croisées”, pour en savoir
plus sur les modalités de l’enquête). L’objectif du “système
d’enregistrement et de surveillance de la santé bucco-dentaire de la
population belge” est d’aider à la prise de décisions politiques dans
l’organisation des soins dentaires.
Un état de santé
en dents de scie
Fruits d’une politique
active de prévention et d’information, les constats, en termes de caries,
sont très encourageants chez les plus jeunes : 56% des enfants de 12 ans
sont exempts de caries, alors qu’ils étaient seulement 17% dans les années
80. “Avec plus de la moitié d’enfants de 12 ans indemnes de caries et un
indice de dent cariée, absente et obturée (indice CAO) de 0,9 à cet âge (qui
avoisinait 3,24 dans les années 80), nous nous situons en très bonne
position aux côtés des pays nordiques ou des Pays-Bas, observe le Professeur
Jacques Vanobbergen, de l’Université de Gand, un des co-auteurs de la
recherche. Cependant, le pourcentage de personnes ayant une denture intacte
diminue avec l’âge. Et l’on constate, pour ce qui concerne les caries non
soignées, des disparités frappantes selon le niveau d’instruction”.
Les autres indicateurs
sont moins réjouissants : seulement un tiers des personnes interrogées ont
des gencives saines. Plus d’un quart présentent une légère forme de
gingivite (inflammation de la gencive) et plus de 18% sont atteintes d’une
gingivite grave. L’usure des dents, qui augmente avec l’âge, a été
enregistrée chez plus d’un tiers des personnes examinées (surtout chez les
hommes). Et 15,5% n’ont plus leurs dents(1). Ce pourcentage
augmente chez les personnes handicapées (19%) et chez les plus de 65 ans
(33,4%). Les personnes peu diplômées ont un risque accru d’être édentées et
sont aussi plus nombreuses à porter une prothèse amovible complète ou
partielle. Mais toutes les personnes édentées ne portent pas une prothèse,
loin s’en faut.
Comportements et habitudes
Se brosser les dents
deux fois par jour: la moitié des personnes interrogées disent appliquer
cette recommandation, 40,4% affirmant pratiquer le brossage une fois par
jour. Près de 10% avouent ne jamais se brosser les dents ou seulement de
temps en temps. Les hommes se brossent moins souvent les dents que les
femmes, et les personnes âgées moins souvent que les jeunes. Par ailleurs,
près de 40% disent utiliser un fil dentaire ou des brossettes
inter-dentaires. “Ces résultats sont certainement surévalués, commente
le Professeur Vanobbergen. Une partie des gens répondent en fonction d’un
comportement idéal qu’ils ne pratiquent pas nécessairement. Mais, a
contrario, beaucoup aussi (16% des répondants) prétendent ne jamais avoir
reçu de conseils. Il est vraiment important de promouvoir un changement
d’attitude”. A cet égard, l’enquête montre que le dentiste représente
la source d’information principale, loin devant les médias et même, loin
devant l’école(2). Des résultats qui ne manquent pas
d’interpeller quant à la politique de prévention et de sensibilisation menée
en milieu scolaire.
Adopter une bonne
hygiène bucco-dentaire, c’est indispensable. Mais l’on sait combien les
habitudes alimentaires ont un impact élevé sur les dents. Sont ainsi
néfastes: une trop faible consommation de produits laitiers ou à base de
calcium, une consommation importante de sodas, jus de fruits et aliments
sucrés, l’ingestion de biscuits, pâtisseries, bonbons, chips et autres
produits salés ou sucrés entre les repas, une consommation fréquente
d’alcool, etc. L’étude a permis de conclure que trois personnes sur quatre
ont des habitudes alimentaires mauvaises pour les dents. “Même en
compensant par un brossage des dents, les risques de caries et d’érosion
dentaire sont fortement accrus si l’on grignote tout au long de la journée
et si l’on adopte de mauvaises habitudes alimentaires”, met en garde le
Professeur Vanobbergen qui pointe aussi le tabagisme comme facteur
aggravant.
Du reste, plus de 40%
des personnes interrogées se plaignent d’au moins un problème. Le plus
courant est le saignement des gencives. Le mal de dents et une douleur au
niveau de la bouche ou du visage sont fréquemment cités.
De là à consulter le
dentiste, il n’y a qu’un pas que beaucoup de personnes hésitent à franchir.
Les données relatives aux soins dentaires attestés pour les personnes
interrogées montrent qu’à peine plus d’une personne sur deux consulte
régulièrement le dentiste. Les femmes y vont plus souvent que les hommes, et
les contacts réguliers sont plus fréquents chez les 12-14 ans, probablement
en raison d’un traitement orthodontique. “Seulement 25% des enfants de 5
à 7 ans et 32% des plus de 74 ans consultent régulièrement le dentiste”,
regrette le Professeur de l’Université de Gand qui plaide pour une meilleure
information des parents sur la gratuité des soins dentaires préventifs
jusqu’à l’âge de 18 ans. Il recommande également un relèvement de l’âge fixé
pour le remboursement de l’examen buccal annuel afin d’inciter les plus âgés
à faire contrôler régulièrement leurs dents et leur éviter de devoir y
recourir en urgence(3).
Pourquoi le dentiste
est-il si peu régulièrement consulté? Près d’une personne sur deux dit ne
pas avoir de raison valable. Le fait de ne pas avoir mal aux dents, le
manque de temps (surtout chez les 15-45 ans) et la peur (surtout chez les
femmes) sont les motifs les plus souvent invoqués. Quant aux motifs d’ordre
financier, ils ne sont cités que pour 11% des personnes. Un résultat assez
surprenant car les chercheurs s’attendaient à ce que le coût des soins
dentaires soit davantage signalé comme un obstacle majeur à leur
accessibilité. Mais sans doute l’approfondissement de cette question par la
pratique d’interviews aurait-il permis d’affiner les résultats...
Des défis pour le futur
Comme l’a mis en
évidence le Professeur français Denis Bourgeois, chef de projet du “European
Global Health Indicators Project”, le combat contre la carie, mené depuis
les années 70 sous l’impulsion de la politique de surveillance de l’OMS, a
largement porté ses fruits. Si en 1964, à 12 ans, les Européens avaient en
moyenne 12 caries et 40 faces cariées, en 2006, ils n’ont plus qu’1,7 carie
et 2 faces cariées. C’est surtout à l’utilisation du dentifrice fluoré,
développée à partir des années 80, et aux politiques de prévention et de
sensibilisation, que l’on doit cette formidable amélioration.
Si cette situation
laisse présager de bonnes perspectives de santé bucco-dentaire pour les
jeunes générations, il ne faut pas se réjouir trop vite et baisser la
vigilance : de nombreux enfants et adolescents, essentiellement dans les
milieux défavorisés, ont encore beaucoup de caries et l’on ne constate pas
d’amélioration ces dix dernières années. Tout est d’ailleurs toujours à
recommencer avec les générations naissantes, et la politique de prévention
doit plus que jamais être renforcée. A l’instar de ce qui se pratique au
Québec ou en Suisse, un nouveau métier doit être mis en place, celui
d’hygiéniste dentaire, chargé de la prévention des maladies des dents et des
gencives. Son rôle : apprendre aux jeunes et moins jeunes les soins
d’hygiène nécessaires, et effectuer minutieusement les nettoyages,
polissages et détartrages pour éliminer la plaque et les dépôts de tartre à
l’origine des caries et des maladies gingivales.
Autre raison de ne pas
se réjouir trop vite: à l’autre extrémité de la pyramide des âges, la santé
parodontale est loin d’être bonne(4). Elle implique des
soins curatifs importants qui ne feront que croître dans les prochaines
années, en raison du vieillissement de la population. Un meilleur
financement des traitements parodontaux est donc certainement nécessaire.
On le voit à l’analyse
de ces chiffres: la surveillance de la santé bucco-dentaire trouve tout son
sens et toute sa légitimité. Elle doit être une aide à la décision
politique. Mais les indicateurs sont très réactifs et il importe donc que
l’enquête qui vient d’être menée soit reproduite régulièrement à l’avenir.
//Joëlle Delvaux
>> Le rapport du
projet
“Système d’enregistrement et de surveillance de la santé bucco-dentaire de
la population belge 2008-2010” est téléchargeable sur
www.inami.be
(rubrique Voulez-vous en savoir plus? > Etudes et recherches).
(1)
Il s’agit ici de la perte des dents définitives et non des dents de lait.
(2)
En Wallonie, l’école est mentionnée beaucoup moins souvent comme source de
conseils qu’en Flandre.
(3)
Un examen buccal annuel est remboursé pour les adultes jusqu’à l’âge de 65
ans.
(4)
Les maladies parodontales sont des infections bactériennes qui affectent et
détruisent les tissus qui entourent et supportent les dents (le parodonte).
Ces pathologies sont appelées gingivites si elles concernent uniquement la
gencive et parodontites si les tissus sous-jacents - en particulier l’os
alvéolaire- sont atteints.
Des données croisées |
L’enquête, représentative de la population,
a été menée auprès de 1.330 ménages, soit
3.057 personnes (de plus de cinq ans) sous
l’égide de la Cellule interuniversitaire
d’épidémiologie. Les résultats ont été
collectés entre septembre 2009 et novembre
2010 par des dentistes-enquêteurs qui se
sont rendus au domicile des ménages ayant
accepté de participer à cette étude.
Quatre personnes au maximum par ménage ont subi un
examen buccal et rempli un questionnaire
abordant les comportements liés à la santé
bucco-dentaire et la qualité de vie. Les
informations récoltées ont été croisées avec
les données de consommation de soins
bucco-dentaires, fournies par les
mutualités. Un puzzle qui n’a pas été facile
à reconstituer mais dont les résultats sont
très intéressants.
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