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Ethique (5 juillet 2012)

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Aider à mourir, c’est d’abord prendre soin

Faut-il étendre
l’application de la loi ?

Des enquêtes estiment à quelque 50% les demandes d’euthanasie refusées par des médecins, parce qu’elles n’entrent pas dans les conditions prévues par la loi. Ce chiffre sert d’argument à ceux qui envisagent d’accorder l’euthanasie à des malades qui ne seraient pas en phase terminale ( des gens “fatigués de vivre”) ou à des personnes reconnues juridiquement “incapables” (démence, ou diminution grave et irréversible des fonctions cérébrales). D’autres propositions visent aussi à étendre la loi aux mineurs, à des situations que l’on peut connaître en néonatalogie, aux personnes porteuses de handicap, aux personnes en situation d’inconscience irréversible.

Le fait que la loi sur la dépénalisation de l’euthanasie fonctionne depuis dix ans a suscité le positionnement de ceux qui veulent étendre la loi ou, au contraire, en revenir à des règles plus strictes. Mais pour l’instant, il ne semble pas que beaucoup souhaitent remettre l’ouvrage sur le métier dans l’immédiat.

Rappelons seulement les paroles du professeur Léon Cassiers, ancien membre du Comité consultatif de bioéthique qu’il présida en 1998 : la loi sur l’euthanasie “n’est acceptable qu’en raison de cette limite qui fait droit à la liberté de chacun sur son destin. En voulant étendre la loi, on change totalement de registre…” Ce n’est plus le patient qui demande à mourir. Ce sont les proches (des tiers) qui seraient amenés à juger si la vie du malade a encore de la valeur en fonction de ses souffrances, ou des souffrances que son maintien en vie imposera à l’entourage ou à la société. On entrevoit alors le danger de toutes les dérives possibles. Il convient, poursuit le Pr Cassiers, de garder surtout à l’esprit que “le désir de vivre des personnes est lié au fait qu’elles se sentent estimées et, mieux, aimées de leur entourage. La dignité humaine se lit dans le regard de l’autre”.

© Laetizia Bazzoni/Reporters

Il y a dix ans, la Belgique devenait le deuxième pays au monde à dépénaliser le fait de “donner intentionnellement la mort à une personne qui en fait la demande”, après les Pays-Bas. Aujourd’hui, l’adoption de la loi sur l’euthanasie ne fait toujours pas l’unanimité. Le débat tend malheureusement à s’enliser dans une confrontation centrée sur la légitimité d’un individu à “demander la mort”. Mais l’essentiel n’est-il pas que le patient reçoive les soins et l’accompagnement adéquats?

Une “commission fédérale de contrôle et d’évaluation a été chargée de vérifier a posteriori, sur la base des déclarations des médecins, la conformité à la loi des procédures suivies. Que disent les statistiques établies par cette commission après dix ans de pratique?

La progression du nombre d’euthanasies acceptées est constante d’année en année. L’an dernier (2011), a été franchi le cap symbolique des 1.000 cas annuels. Les 1.133 cas enregistrés représentent 1% du total des Belges décédés en 2011. Plus de 80% des déclarations d’euthanasie sont rédigées en néerlandais. 52% des euthanasies touchent les 60-79 ans, un âge bien plus précoce que le décès naturel qui ne frappe que 40% de cette tranche d'âge. Par contre, alors que 46% des gens meurent à plus de 79 ans, ceux-ci ne représentent “que” 26% des décès par euthanasie. “En d’autres termes, commente le quotidien Le Soir, on ne constate pas une vague d’élimination des plus âgés que certains brandissaient lors des débats antérieurs au vote de la loi”. L'âge des patients concernés s'explique encore mieux quand on constate que huit euthanasies sur dix sont dues aux suites d'un cancer et que dans l'écrasante majorité (92%), le décès était attendu à brève échéance. Cependant, il subsiste toujours des doutes sur ces données que certains estiment être en-dessous de la réalité. De rapport en rapport, la commission d’évaluation répète qu’elle n’a pas “la possibilité d’évaluer la proportion du nombre d’euthanasies déclarées par rapport au nombre de celles réellement pratiquées”. Mais au moins, dit-elle, il semble que les euthanasies connues se font bien dans le cadre légal. Jusqu’à présent, aucun dossier n’a été transmis à la justice.

Ce constat ouvre la porte à ceux qui estiment que la loi n’est pas sous contrôle, qu’elle peut être interprétée de manière large et subjective, notamment quand on parle de “souffrances psychiques” ou de “pathologies multiples” (voir “Faut-il étendre l’application de la loi ?”). Avec le temps, cette loi qui devait rester une loi d’“exception” n’en serait-elle plus une? Les partisans de la loi balaient ces craintes et considèrent comme un fait positif qu’aucune violation de la loi n’ait été mise en évidence depuis dix ans. Aucun médecin, disent-ils, n’oserait recourir à cette “exception” à la légère.

Un conflit de valeurs

Le débat sur l’euthanasie tend malheureusement à “s’enliser dans une confrontation centrée sur l’individu demandant à mourir”, observe le médecin suisse Claudia Mazzocatto(1) alors qu’il faudrait aussi se demander: “Pourquoi est-ce maintenant que nous envisageons de légaliser l’euthanasie alors que nos sociétés occidentales l’ont prohibées pendant deux millénaires?

L’allongement de l’espérance de vie, l’efficacité croissante de la science médicale, la médicalisation galopante, la faiblesse de notre tissu social, le désir d’autonomie et de liberté individuelle… ont créé de nouvelles conditions culturelles, de nouveaux modes de vie et manières de voir la mort. On est à la fois dans le déni de la mort qui contrarie le bonheur, qui entrave la performance promise par la modernité, et dans l’exigence individuelle qui impose de regarder la mort en face. En levant l’interdit de “donner la mort”, la nouvelle législation donne en effet priorité au respect de la volonté du patient et à sa responsabilité personnelle sur le respect absolu d’un principe fondamental de toute société humaine.

L’éthique contemporaine, explique le philosophe Michel Dupuis, vice-président du Comité consultatif de Bioéthique, génère de plus en plus souvent des situations conflictuelles entre les valeurs en jeu. Si l’interdit du meurtre reste un des principes régulateurs de nos sociétés démocratiques, “il ne tient son sens que d’une donnée positive première, le devoir d’accompagnement et de soulagement… L’éthique de la fin de vie, écrit Michel Dupuis, ne repose pas d’abord sur l’interdit du meurtre mais plutôt sur le devoir positif du soin adéquat au patient(2). A partir de là, précise le philosophe, il faut souhaiter que se développe une véritable culture médicale des soins palliatifs, efficace et accessible à tous. Il faut aussi “prévoir les situations où manifestement les soins ne répondent pas adéquatement à la souffrance du patient et poser à ce moment la possibilité de l’euthanasie. Voilà, qui me paraît équilibrer davantage les devoirs de soins et la liberté individuelle. Chacun percevra que le patient se trouve alors dans un état de nécessité qui présente un conflit irréductible de valeurs et d’intérêts. Dans ce cadre précis, la transgression sera envisagée comme un ultime recours mais jamais d’entrée de jeu.

//CHRISTIAN VAN ROMPAEY

(1) Claudia Mazzocato : “Débat sur l'euthanasie et le suicide assisté: Et si nous ne nous posions pas toutes les questions?”, Revue internationale de soins palliatifs 4/2002.

(2) La dimension éthique du problème de l’euthanasie, Michel Dupuis, Louvain Médical 2002.

Une loi sous conditions

Entre 1999 et 2002, trois années de débat auront été nécessaires pour aboutir à la loi qui, contrairement à l’expression souvent utilisée, n’ouvre pas le “droit à l’euthanasie” mais donne droit à la demande d’euthanasie. Parmi les opinions en présence dans les débats(1), certains se sont déclarés adversaires inconditionnels de l’euthanasie, qu’ils estimaient en contradiction avec la valeur inaliénable de la vie d’une personne humaine. D’autres ont pensé que l’euthanasie devait être admise, par compassion et par respect pour l’autodétermination de la personne. D’autres encore se sont situés à égale distance de ces deux thèses. Ils proposaient que l’euthanasie soit autorisée dans des cas de force majeure, lorsque deux devoirs du médecin s’opposent: préserver la vie et soulager des souffrances insoutenables.

Dans la loi, l’euthanasie reste une “exception” à l’interdit fondamental de tuer (en dehors du cas de légitime défense). Ainsi l’euthanasie est dépénalisée pourvu qu’elle soit pratiquée par un médecin, après avis d’un confrère indépendant, sur un patient majeur ou mineur émancipé, conscient, dans une situation médicale sans issue, c’est-à-dire confronté à des “souffrances physiques ou psychiques constantes, insupportables et inapaisables”, ou sur un patient irréversiblement inconscient, ayant rédigé une “déclaration anticipée” depuis moins de cinq ans. Dans cette définition, tous les termes sont importants.

En adoptant cette loi, le législateur voulait sortir des nombreux recours clandestins à l’euthanasie, assurer la sécurité juridique aux médecins comme aux patients en demande d’euthanasie. Cette loi, le 28 mai 2002, n’est pas la seule qui concerne la fin de vie. Celle sur les droits du patient, adoptée également en 2002, donne la possibilité d’invoquer, dans le cadre de sa relation avec les prestataires de soins, certains droits tels que : le droit à la prestation de soins de qualité visant à prévenir, traiter et soulager la douleur physique et psychique dans le respect de sa dignité humaine et de son autonomie, le droit à tout information sur son état de santé, le droit de consentir librement à toute intervention du praticien...

Le jour même du vote de la loi sur la dépénalisation de l’euthanasie, le Parlement promulguait aussi la loi sur le développement des soins palliatifs. La symbolique n’est pas négligeable. Mais il reste que les soins palliatifs auraient pu être plus clairement considérés comme devant être la première réponse aux souffrances de celui qui est mourant, et le recours à l’euthanasie, la dernière option. Dans la discussion sur le projet de loi relatif à l’euthanasie, les soins palliatifs n’y étaient mentionnés que de manière marginale, rappelle l’Institut Européen de Bioéthique(2).

//CVR

(1) Avis n° 1 du 12 mai 1997 concernant l’opportunité d’un règlement légal de l’euthanasie – www.health.belgium.be

(2) “Dix ans d’application de la loi en Belgique”, dossier de l’Institut Européen de Bioéthique – www.ieb-eib.org


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