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Coopération (3 octobre 2002)

 

Inégaux devant les médicaments

 

 

Dans le secteur de la santé, le fossé n'a cessé de se creuser entre le Nord et le Sud. Ainsi, les pays du Nord disposent aujourd'hui des technologies, du savoir-faire et jouissent de nombreux monopoles d'exploitation dans le domaine des produits pharmaceutiques, confortés par les lois sur la protection des brevets, tandis que les pays du Sud qui rassemblent la majorité des malades ne peuvent toujours acquérir ou produire à des prix convenables les médicaments dont ils ont un besoin urgent.

 

 

On se rappellera que la production sur place et la vente de médicaments génériques contre le Sida avait provoqué un conflit exemplaire entre l’Afrique du Sud et les grandes firmes pharmaceutiques (1). Celles-ci avaient fini par consentir à retirer leurs plaintes. Et, il y a presque un an, à Doha au Qatar, les représentants de 142 pays faisant partie de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) adoptaient plusieurs déclarations dont l’une sur la santé publique. Celle-ci est d’importance puisque l’OMC reconnaissait que l’Accord sur les droits de propriété intellectuelle (ADPIC) n’empêche pas et ne devrait pas empêcher les Membres de prendre des mesures pour protéger la santé publique (…) et en particulier de promouvoir l’accès de tous aux médicaments.” (2). Encore fallait-il reconnaître la gravité des problèmes de santé publique qui touchent de nombreux pays en développement.

 

Épidémies et pauvreté

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) estime à 40 millions dans le monde le nombre de personnes infectées par le virus VIH et sur ce chiffre, 95 % vivent dans les pays en développement. Dans le domaine des soins et des médicaments, l’OMS rappelle que la grande majorité des personnes vivant avec le SIDA dans les pays en développement n’ont pas accès à un traitement, soit du fait des infrastructures sanitaires insuffisantes, soit à cause du coût élevé des médicaments. Les experts estiment à 7 milliards de dollars par an le montant nécessaire pour enrayer l’épidémie dans les pays à faible revenu.

Les chiffres sont tout aussi alarmants pour la tuberculose et la malaria, sans parler des infections typiques d’Afrique ou d’Asie. Au-delà des conséquences en termes de mortalité (un million de décès par an pour la malaria, deux millions pour la tuberculose, sans parler des autres maladies), les grandes épidémies ont des effets sur la vie économique du pays : lorsqu’une personne est malade, elle ne peut pas travailler ou alors sa rentabilité est plus faible. Si le père de famille meurt, les autres membres de la famille doivent prendre la relève et ramener de l’argent à la maison. L’OMS donne un exemple chiffré dans son rapport annuel 2001 : “ Lorsque le taux de prévalence du VIH atteint 8 % de la population, comme c’est le cas dans au moins 21 pays d’Afrique, la croissance par habitant recule de 0,4% chaque année. Vu que le taux de croissance annuel par habitant était en moyenne de 1,2% ces trois dernières années en Afrique, la perte est loin d’être négligeable. ”

 

Bras de fer

La première difficulté rencontrée par les pays en développement pour distribuer les médicaments aux malades qui en ont besoin concerne le prix de ces traitements pharmaceutiques.

Ce prix n’est pas seulement calqué sur le coût de production, il dépend surtout du rapport de force entre laboratoires et gouvernements. Comme l’explique le porte-parole des industries pharmaceutiques européennes, “le prix du médicament se décompose comme suit : 60 % va aux industries pharmaceutiques, 20 % au grossiste, 10 % à l’État et les 10 % restants au pharmacien (distributeur). La part qui revient à l’industrie se calcule de manière approximative en fonction de ce que les gens sont prêts à payer. Un même médicament vendu en des lieux différents coûtera un prix différent. Le prix dans un pays est de toute façon fixé par le gouvernement, après une négociation avec le laboratoire.”

Face aux industries pharmaceutiques, le ministère de la santé peut utiliser certains arguments pour faire baisser le prix du médicament : l’arrivée d’un produit concurrent sur le marché par exemple, la fin du brevet protégeant la composition du médicament ou la menace d’une licence obligatoire.

Avec ces trois arguments, l’État fait sentir au fabricant le risque d’une concurrence et donc la nécessité de proposer un prix raisonnable pour convaincre et obtenir le marché. Comme les pays ne bénéficient pas tous du même poids et d’arguments convaincants, cela aboutit à des variations de prix de 1 à 70 sur certains traitements notamment dans la lutte contre le VIH. Les industries pharmaceutiques divisent également l’opposition en accordant à des pays des réductions de prix ou des donations de médicaments qui ne profitent pas aux pays voisins.

 

Le droit des fabricants

Dans ce bras de fer entre fabricants et clients, ceux qui peuvent produire les médicaments disposent d’atouts considérables. Après la recherche, les essais cliniques et la mise au point d’un produit, le laboratoire pharmaceutique peut le vendre librement pendant plusieurs années. Le brevet attaché à un médicament assure un monopole d’exploitation pendant 20 ans à partir de son dépôt. C’est l’un des avantages obtenus par les pays occidentaux en 1995 dans le cadre de l’OMC avec l’accord sur les droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC). Officiellement, les industries pharmaceutiques justifient l’existence de ce monopole d’exploitation comme une compensation des efforts fournis pour chercher et développer de nouveaux médicaments. A partir du dépôt du brevet, elles consacrent souvent près de 12 ans à mettre au point un nouveau produit et elles entendent le rentabiliser rapidement lors de sa commercialisation.

Entre l’entrée en vigueur de l’ADPIC et aujourd’hui, les positions ont évolué. La voix des pays en développement qui souffrent des grandes épidémies a enfin été entendue, les arguments des ONG pour faire le lien entre brevets et prix élevés sont désormais pris en compte. Cela s’est produit grâce à deux évènements principaux.

 

Première étape : la conférence ministérielle de l’OMC réunie du 29 novembre au 4 décembre 1999 à Seattle (États-Unis) s’est soldée par l’échec du lancement d’un nouveau cycle de négociations. Rappelons que l’OMC rassemble différentes catégories de membres (pays développés, pays en développement et pays moins avancés) et que les décisions y sont prises par consensus. Les réticences d’un groupe suffisent à bloquer toute avancée. Le groupe, constitué en particulier des pays en développement, ne voulait pas intégrer de nouveaux sujets environnementaux, sociaux ou sanitaires dans les négociations tant que les accords commerciaux précédents n’avaient pas été totalement appliqués. En marge de ce sommet, les organisations non gouvernementales avaient manifesté bruyamment dans les rues de Seattle.

 

Deuxième étape : le procès de Prétoria (Afrique du Sud) au printemps 2001. Trente neuf industries pharmaceutiques avaient déposé une plainte en 1998 contre le gouvernement sud-africain pour fraude aux brevets des médicaments. La loi de ce pays permettait en effet de passer outre les droits conférés par la propriété intellectuelle sur les molécules pour les importer, les copier à meilleur prix et pallier ainsi aux crises sanitaires. A l’occasion de ce procès, les ONG demandaient aux compagnies pharmaceutiques de justifier le prix des médicaments qu’elles produisent. Sous la pression des militants, le front des industriels s’est fissuré ; ils ont retiré leur plainte et ont pris à leur charge les frais de défense pour le gouvernement sud-africain. Le désistement des entreprises pharmaceutiques a ouvert une brèche dans laquelle les gouvernements des pays en développement se sont engouffrés.

Sans doute la pression des pays en développement sur les discussions commerciales amorcée à Seattle et renforcée par le coup d’éclat de Prétoria, a-t-elle donné des fruits. Ainsi, les militants des ONG disent “merci aux industries pharmaceutiques d’avoir porté plainte” car désormais la difficulté d’accéder aux médicaments est connue de l’opinion publique des occidentaux.

Depuis la réunion de l’OMC à Doha, en novembre 2001, de plus larges exceptions sont accordées aux pays en développement pour produire eux-même les médicaments, même s’ils sont sous brevet. Toutefois, tous les pays ne peuvent pas fabriquer sur place ce dont ils ont besoin. Il manque également des traitements spécifiques à certaines infections (maladie du sommeil par exemple) et des infrastructures sanitaires véritablement efficaces. Il reste encore de nombreux obstacles à l’égalité des malades à travers la planète.

Anne-Françoise de Beaudrap

 

(1) Un conflit exemplaire, Edouard Descampe, Secrétaire général de l’ANMC

(En Marche 15 mars 2001),

Pas d’apartheid dans les soins de santé, (En Marche 3 mai 2001),

Santé, commerce et mondialisation (En Marche 5 septembre 2002) Christian Van Rompaey.

Les diktats de l’industrie pharmaceutique, Philippe Gomrée (En Marche 6 avril 2000)

Lire aussi : Les firmes pharmaceutiques organisent l’apartheid sanitaire, Martine Bulard (Le Monde Diplomatique, janvier 2000).

(2) Les textes complets sont disponibles Internet de l’OMC : http://www.wto.org 

 

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