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Éditorial (15 mars 2001)

 

Un conflit exemplaire (1)

 

Exemplaire est le conflit qui oppose aujourd’hui 40 grandes sociétés pharmaceutiques mondiales à l’Afrique du Sud. Au même moment, à l’initiative des Etats-Unis, l’Organisation mondiale du commerce (OMC) poursuit le Brésil pour non-respect de la loi sur les brevets dans le domaine pharmaceutique.

 

Les deux événements ne seraient que des épisodes dans des guerres commerciales si 

la vie de millions de personnes n’était en jeu. Des millions de personnes malades du SIDA dans des pays pauvres incapables de se payer les produits pharmaceutiques aux prix où ils sont produits par les grandes multinationales.

 

Depuis 1997, le Brésil a réduit de moitié la mortalité due au SIDA. Cela a été possible parce que ce pays a autorisé des laboratoires nationaux brésiliens à fabriquer, en passant outre aux brevets, les médicaments contre le SIDA et notamment les fameuses trithérapies, qui sont des traitements efficaces associant trois médicaments anti-viraux. Grâce à cela, les personnes qui en ont besoin peuvent être soignées gratuitement. Le prix de ces produits a diminué de 80 % et le Brésil espère que le traitement par trithérapie sera ramené à 700 dollars par an (environ 30.000 FB) au lieu d’environ 8.800 dollars (soit 380.000 FB ) dans nos pays.

 

Le Ministère de la Santé publique brésilien a lancé un énorme programme de lutte contre le SIDA et la thérapie gratuite en était un élément essentiel. Le financement public d’une campagne de soins aussi gigantesque n’a été possible que par cette politique de fabrication au niveau national, permettant d’obtenir ces produits à des prix très bas. De ce fait, les experts estiment que les économies de dépenses générées par la campagne de lutte contre la maladie ont largement financé le coût de cette prise en charge.

 

Mais voilà que le Brésil offre de transférer ses technologies de fabrication locale et les formations qui y sont liées. L’Afrique du Sud emboîte le pas et s’autorise par une loi à importer des médicaments bon marché au grand dam des propriétaires de brevets. Il faut dire que l’Afrique subsaharienne est confrontée à un gigantesque problème puisqu’on estime que 4 millions de personnes souffrent du SIDA sans avoir la possibilité de se soigner à cause du prix des traitements.

 

Et c’est dans une telle situation de détresse de ces populations africaines que les laboratoires pharmaceutiques, dont Merck, Glaxo Smith Kline, Bristol, ainsi que Janssens pharmaceutica, interviennent pour contester cette loi autorisant l’Etat sud-africain à importer à meilleur prix les médicaments essentiels à la survie de ces malades.

 

L’Etat américain emboîte le pas des compagnies pharmaceutiques, ce que les observateurs estiment peu étonnant dans la mesure où l’industrie pharmaceutique est un lobby qui est très puissant aux Etats-Unis, et qui a largement contribué au financement de la campagne du nouveau président. Plusieurs personnalités influentes de l’industrie pharmaceutique occupent d’ailleurs des postes importants dans l’entourage immédiat du Président Busch.

 

Rarement pourtant la question éthique n’a été poussée à une telle extrémité en cette matière : faut-il donner priorité à la production des traitements à des prix abordables ou aux droits des brevets des industries pharmaceutiques ?

 

D’un côté le droit et le devoir des Etats à soigner leurs populations dans une situation d’extrême urgence. De l’autre le droit du commerce mondial avec en arrière-plan le financement de la recherche et le dynamisme des industries, mais aussi les plantureux bénéfices réalisés. Les taux de profits des multinationales pharmaceutiques sont les plus élevés de tous les secteurs industriels et l’influence politique de ces groupes est de plus en plus énorme et les rend politiquement incontrôlables.

 

Tant qu’il s’agit de Monsieur Napster, condamné parce qu’il a mis sur pied un système qui permet, via internet, de copier la musique sans payer des droits d’auteur, il est possible de contempler le combat quelque peu amusé. Mais quand il s’agit de la vie de millions de personnes, la portée est tout autre. Et les règles du commerce mondial qui semble s’imposer comme des évidences font voir leurs limites éthiques. Pourtant, l’article 31 des accords sur les droits de propriété intellectuelle conclus dans le cadre de l’OMC prévoit : “Un membre (un pays) pourra déroger à cette prescription (le respect des brevets) dans des situations d’urgence nationale ou d’autres circonstances d’extrême urgence”.

 

C’est cette circonstance qui est évoquée à juste titre par l’Afrique du Sud et le Brésil. C’est cette circonstance que les Etats-Unis et les 40 laboratoires pharmaceutiques contestent. Ceux-ci ont peut-être pris conscience de l’énormité de leur action et de son impact néfaste dans l’opinion publique mondiale car on vient d’apprendre que le procès en Afrique du Sud est ajourné.

 

Même si le problème ne se pose pas avec une telle acuité chez nous, il faut bien constater cependant qu’il n’est pas absent de notre pays. Ainsi, nous aussi sommes régulièrement confrontés à des médicaments introduits sur le marché par les firmes pharmaceutiques à des prix très élevés, que rien ne justifie, et qui grèvent lourdement le budget des soins de santé. De plus en plus souvent l’influence politique forte des firmes pharmaceutiques interfère avec nos efforts visant à faire affecter les ressources disponibles aux besoins prioritaires. Nous venons encore d’en avoir la preuve avec l’admission au remboursement, accordée par le Ministre des Affaires sociales, F. Vandenbroucke, à deux médicaments, Iscover et Plavix, proposés par deux firmes pour la prévention d’accidents vasculaires. En effet, cette décision du ministre, introduisant le remboursement de ces spécialités, qui plus est suivant une réglementation tout à fait inadéquate, a été prise malgré l’avis négatif préalable du Conseil technique des spécialités pharmaceutiques, et contre l’avis du Comité de l’assurance de l’INAMI.

 

Cette décision incompréhensible n’aura d’autre portée que financière, mais elle indique comment les influences de l’industrie peuvent déborder les décisions rationnelles proposées par les experts.

 

Edouard Descampe

Secrétaire général ANMC

 

(1) Le n° 37 du 22.02.2001 de l'hebdo Courrier international publie un dossier complet sur cette question.  

Disponible sur internet : www.courrierinternational.com

Lire aussi : Pas d’apartheid dans les soins de santé  (En Marche - 3 mai 2001)