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A suivre (5 septembre 2002)

Santé publique, commerce et mondialisation

A la fin du mois d’août, l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) et l’Organisation mondiale du Commerce (OMC) annonçaient la publication d’une “étude conjointe” sur les accords de l’OMC et la Santé publique (1). Quelle logique commune pouvait donc surgir de la rencontre de ces deux grandes Organisations internationales poursuivant des objectifs aussi différents que la libéralisation du commerce international et le développement de la Santé publique ?

Incontestablement, commerce et santé se retrouvent régulièrement “à la une” de l’actualité et suscitent de nombreux débats. Ainsi, la logique de santé publique, qui est de favoriser l’accès aux soins pour tous, se voit régulièrement contrecarrée par des exigences commerciales. Par exemple, dans la polémique internationale qui a surgi autour des médicaments contre le sida, la protection conférée par les brevets de produits pharmaceutiques ne permet pas à tous de se faire soigner à un prix abordable. On assiste par ailleurs au développement d’un commerce international des services de santé, des opérateurs d’hôpitaux ou des compagnies commerciales d’assurance maladie, avec le risque d’exacerber les problèmes d’équité et d’accès à ces services. Autres exemples : la puissance du marché des cigarettiers peut réduire à néant les efforts des États dans leur lutte contre le tabagisme, les toxico-infections alimentaires (les résidus de dioxine dans l’alimentation ou l’épidémie d’encéphalité spongiforme bovine) ont des conséquences évidentes sur le commerce mondial… Il y a donc, selon les dirigeants de l’OMC et de l’OMS, intérêt à mieux comprendre les questions fondamentales qui se posent quand des objectifs commerciaux et des objectifs de santé sont mis en compétition afin “de faire en sorte que le système commercial fondé sur des règles soit compatible avec les intérêts en matière de santé publique”.

Depuis les débuts du GATT, en 1948, l’article XX de l’Accord général sur les tarifs douaniers garantissait déjà que “rien dans le présent Accord ne sera interprété comme empêchant l’adoption ou l’application par toute partie contractante des mesures nécessaires à la protection de la santé et de la vie des personnes, ou des animaux, ou de la préservation des végétaux”. Par la suite, les membres de l’OMC (qui succède au GATT en 1995) reconnaîtront eux aussi à diverses reprises dans différents Accords (2) que les Etats membres peuvent légitimement subordonner des considérations liées au commerce à d’autres objectifs comme ceux de la santé. La jurisprudence de l’OMC reconnaît aux membres le droit de déterminer le niveau de protection sanitaire qu’ils jugent le meilleur, la santé des personnes étant “importante au plus haut point”.

Cela dit, pour autoriser les exceptions en matière de santé, les accords de l’OMC exigent que les mesures sanitaires “ne soient pas plus restrictives pour le commerce qu’il n’est nécessaire” et soient prises “sur base de données scientifiques”. Mais l’expérience montre qu’il n’est pas facile de défendre l’exception pour des raisons de santé ! Il suffit d’évoquer les discussions sur le bœuf aux hormones, la diffusion des organismes génétiquement modifiés, l’usage des pesticides, l’impact des ondes électro-magnétiques… pour se rendre compte de la résistance des marchés à adopter un comportement prudent qui s’inspirerait davantage du principe de précaution.

L’étude conjointe de l’OMS et de l’OMC se veut consensuelle, mais ne peut toujours masquer la difficulté qu’il y a à marier l’eau et le feu. Le comble de la contradiction est atteint au chapitre sur le tabac ! Alors que l’étude constate que “depuis 1950, plus de 70.000 études scientifiques ont prouvé que le tabagisme est source de maladies, de handicaps et de décès”, les auteurs considèrent cependant qu’il serait “contraire à l’objectif général de la libéralisation des échanges” (qui est d’abaisser et de supprimer les droits de douane) de relever ces droits sur le tabac… alors même que l’on sait que “l’ouverture des marchés aux produits étrangers entraîne une hausse de la consommation de cigarettes”.

 

La santé au-dessus de tout ?

Il ne fallait évidemment pas s’attendre à trouver des idées tranchées dans un rapport où l’on s’obstine à “réduire au minimum les risques de conflit entre le commerce et la santé et maximiser leurs avantages réciproques”. Comment, par ailleurs, ne pas constater que les bénéfices potentiels d’un complexe pharmaco-médical en plein développement s’annoncent colossaux et qu’il serait malvenu que les politiques de santé publique gênent sa croissance ? Peut-on penser raisonnablement que l’OMS se soit prêtée à cette stratégie inspirée par de puissants lobbies qui s’ingénient à libéraliser le marché de la santé aussi discrètement que possible ? En tous les cas, Mme Bruntland, Directrice de l’OMS avait manifesté dès le début de son mandat en 1998 devant l’Assemblée mondiale de la santé que l’OMS devait s’ouvrir aux principales organisations multilatérales telles que la Banque Mondiale, principal bailleur de fonds de l’OMS, le Fonds monétaire international et l’Organisation Mondiale du Commerce dont on sait qu’elles sont surtout les bras de la libéralisation mondiale.

Toute autre fut l’attitude de Peter Piot, directeur de l’ONUSIDA qui soutint le droit des gouvernements à développer des licences obligatoires (3), des importations parallèles de médicaments ou la concurrence des génériques pour permettre aux malades d’accéder aux soins: “Les règles de l’économie libérale, disait-il, sont désormais devenues incompatibles avec la mondialisation de l’économie de sida. Il faut désormais un nouveau pacte entre l’industrie et la société.” (4)

 

Christian Van Rompaey

 

(1) Les accords de l’OMC et la santé publique. Étude conjointe de l’OMS et du Secrétariat de l’OMC. Le texte complet de cette étude (190 pages) est disponible sur Internet : http://www.who.int/fr/index.html

(2) Pour faire le point rapidement sur l’OMC et les débats en cours, consulter www.ladocumentationfrançaise.fr  (Rubriques “Dossiers internationaux”). Avec de nombreuses suggestions de lectures et des liens vers des sites tant officiels que contestataires.

(3) C’est-à-dire le droit pour un gouvernement d’émettre d’office, en cas d’urgence, une licence d’exploitation d’un brevet, sans la permission de son détenteur.

(4) Quand l’OMS épouse la cause des firmes pharmaceutiques, Jean-Loup Motchane. Le Monde Diplomatique (juillet 2002). A lire sur www.monde-diplomatique.fr