Éditorial
(18 septembre 2014)
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Jean Hermesse
//Secrétaire général © Matthieu Cornélis |
Un changement de modèle inquiétant
Pour revenir à l’équilibre budgétaire en Belgique, nous devrions combler un déficit variant entre 17 et 20 milliards d'euros. À cette fin, différentes pistes peuvent être envisagées. Les partis réunis au sein de la "Suédoise" semblent privilégier la voie des économies. Ce choix politique risque pourtant de ruiner les fondements de notre modèle d’assurance sociale.
Les chiffres du Bureau fédéral du Plan sont clairs : le déficit des pouvoirs publics s'élève à 17 milliards et la dette totale dépasse 100% du produit intérieur brut. Face à ce constat se posent des choix politiques d'importance. Sur la table, les options discutées consistent à réduire ce déficit rapidement et à appliquer de solides mesures d’austérité. Certains économistes, constatant les conséquences dramatiques des plans d’austérité dans des pays où ils sont appliqués avec force comme en Grèce, plaident pour une approche plus étalée dans le temps. D'aucuns se demandent même s’il ne faudrait pas travailler au consensus entre pays européens pour - tout simplement - effacer cette dette qui va lourdement peser sur l’économie et les générations futures.
Par ailleurs, les options politiques annoncées envisageraient la réduction du déficit public au travers de mesures d’économies ou via de nouvelles recettes voire par un mélange des deux. Dans ce débat, les partis de la "Suédoise" semblent d’accord : ils veulent réduire le déficit rapidement et ce, en agissant d’abord sur les dépenses. Quelles pourraient être alors les conséquences
de ce choix politique en soins de santé ?
L’enjeu autour de la norme
de croissance
Ces cinq dernières années, les
dépenses en soins de santé ont augmenté à un rythme de 2,2% par an. Ce taux
de croissance est modéré grâce, entre autres, aux nombreuses mesures
d’économie prises surtout dans le secteur des médicaments. Pour l’avenir, la
"Suédoise" envisage de limiter encore le taux de croissance admis, en fixant
la norme à 1,5% pour les cinq prochaines années. Si tel était le cas, cela
impliquerait de réaliser entre 600 millions et 1 milliard d'euros
d'économies, sur un budget de 25 milliards d'euros. Il serait aussi question
de diminuer encore les frais d’administration des mutualités alors que
ceux-ci sont gelés depuis 2011, malgré l’inflation et malgré l’augmentation
continue de la charge de travail.
Les choix politiques envisagés par le gouvernement fédéral en formation risquent de réduire notre système d’assurance sociale, de le transformer en un système d’assistance sociale où les prestations seraient dépendantes du niveau de revenu, et finalement d’étendre sournoisement la pratique d'une médecine privée à deux vitesses.
Attention aux conséquences sociales d’un budget trop étroit
Le gouvernement fédéral s'apprête donc à prendre des mesures d’économies linéaires et brutales. Les risques sont grands de le voir réduire le remboursement de certains soins, ne plus rembourser certaines prestations, baisser les budgets des institutions de soins… Avec ce type de mesures d'économies, on pousse notamment à supprimer du personnel soignant. Surtout, c'est vers le patient que le poids financier est transféré. Sans aucun doute, le coût à charge des patients augmentera sous la forme de tickets modérateurs plus élevés, de prestations non remboursées ou de suppléments. Dans un tel cas de figure, la conclusion d’un accord médico-mutualiste sera difficile. Et rappelons que sans accord entre mutualités et prestataires de soins, c'est l'insécurité tarifaire qui règne pour les patients. Le système de conventionnement est mis à mal et les tarifs sont alors fixés librement, en proie à la privatisation. Face à cette menace, certains répondent qu’on protègera les catégories des patients qui ont de faibles revenus, comme les BIM (bénéficiaires d’intervention majorée), en imposant aux prestataires de soins le respect des tarifs pour ces personnes. Mais qu'en sera-t-il des autres? Ils devront financer eux-mêmes une plus grande partie de leurs soins ou recourir à une assurance complémentaire. Or, si la couverture sociale et la solidarité régressent, les assurances privées progressent avec davantage de sélectivité des risques, davantage d'exclusion.
Une alternative plus solidaire
Pourtant un choix politique plus solidaire est possible. Certes, compte tenu du contexte économique et de la croissance du PIB, le taux de croissance des soins de santé devra être revu. Et les soins de santé doivent aussi contribuer à l’effort général. Mais nous plaidons pour un taux de croissance raisonnable - au moins 2%. Un taux qui permet aux acteurs de la santé d'assurer des soins de qualité tout en réalisant des économies. Pour réussir cette maîtrise des dépenses, la Mutualité chrétienne mise sur la responsabilisation des acteurs et sur la concertation. Comme nous l’avons démontré, lors de la crise gouvernementale de 2010-2011.
Enfin, nous demandons avec insistance la conduite d’une politique de santé basée sur une perspective à moyen et long terme, avec quatre priorités.
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Un : réorienter l’offre des soins trop centrée sur les soins aigus hospitaliers.
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Deux : changer les mécanismes de financement qui incitent à la surconsommation.
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Trois : organiser la première ligne de manière structurelle.
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Quatre: mieux assurer des besoins essentiels pour tous en soins dentaires, en psychothérapie, en optique.
L’enjeu budgétaire domine les débats dans la constitution du gouvernement fédéral. Mais si les choix politiques conduisent à des économies linéaires et drastiques dans les soins de santé, notre système d’assurance sociale pour tous pourrait progressivement et silencieusement, glisser vers un système dual : assistance sociale pour les faibles revenus et assurances privées pour les autres. Est-ce bien le choix des citoyens ?
Jean Hermesse//Secrétaire général
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