Éditorial
(20 janvier 2011)
// Alda Greoli//Secrétaire nationale
D’une
solidarité à l’autre,
l’échange d’expériences nous renforce
Le système de sécurité sociale tel que nous le connaissons en Belgique peut
inspirer bien des pays, y compris en Asie et en Afrique. Mais nous avons,
nous aussi, des enseignements à tirer d’initiatives qui fonctionnent (ou
pas) ailleurs. Ne fût-ce que pour interroger la nature et la solidité de nos
propres solidarités historiques.
Solidarité mondiale,
l’ONG du mouvement ouvrier chrétien, organise tous les deux ans une campagne
d’information et de sensibilisation destinée à la population, aux politiques
mais aussi aux acteurs sociaux, tant en Belgique que dans les pays
partenaires. Pour les deux années à venir le thème de la campagne est la
sécurité sociale. Un accent particulier est placé sur l’accès aux soins de
santé de qualité pour l’ensemble des populations, ici et là-bas. Nous
aurons l’occasion d’y revenir et d’approfondir les objectifs et les effets
de cette campagne dans les mois à venir.
C’est dans ce cadre
qu’une mission de plusieurs personnes d’horizons divers (ANMC, UCP, ALTEO,
J&S, MOC, Solidarité Mondiale) s’est rendue au Bangladesh. Au cœur de ce
journal (pp. 6 et 7), vous aurez découvert les articles consacrés à cette
importante mission dans ce pays. Notre implication dans le Mouvement ouvrier
chrétien se traduit par notre investissement, non seulement pour défendre
et renforcer notre système de sécurité sociale aux côtés des autres
mouvements (CSC, Vie Féminine, Equipes populaires, Solidarité mondiale, …),
mais aussi pour le promouvoir ailleurs en Europe et dans le monde. Il ne
s’agit pas de recréer à l’identique l’organisation, le financement ou le
mode de participation des différents piliers de la sécurité sociale tels que
nous les connaissons en Belgique. Notre mode de structuration s’est
construit sur base de notre propre histoire et s’est renforcé grâce à la
place accordée aux acteurs qui le gèrent tous les jours. Ceux qui veulent le
transformer feraient d’ailleurs bien de commencer par le comprendre en
profondeur. L’enjeu est plutôt de mettre la question de la sécurité sociale
à l’agenda politique et social de ces pays. Il consiste également à soutenir
les projets de tailles diverses qui, là-bas, participent à la réflexion et à
l’action, afin que partout progresse cette idée que le filet de la sécurité
sociale est essentiel pour les individus, mais aussi pour l’économie et la
performance de celle-ci.
Sensibiliser, débattre,
apprendre des autres, construire ensemble des projets locaux et des
perspectives à l’échelle d’un pays: voilà quelques-unes des pistes d’actions
de notre investissement.
Mais pourquoi se rendre
au Bangladesh ? Ce pays semble si éloigné de notre réalité. Ne vous y
trompez pas, n’allez pas simplement croire qu’il s’agit d’un pays pauvre,
surpeuplé, inondé, désœuvré… Il est tout cela, oui. Mais c’est aussi un
peuple qui vit la solidarité, qui se débrouille en toutes circonstances et
qui, comme partout en Asie, avance à grands pas.
Les écarts
insupportables entre les riches et les pauvres sont contrastés par les
nombreuses initiatives lancées entre les personnes mais aussi les ONG
locales ou internationales. La tristesse des bidonvilles est à mettre en
parallèle avec l’enthousiasme des enfants pour se rendre à l’école, et la
volonté des femmes qui bâtissent l’avenir de ce pays. L’extrême pauvreté aux
abords des villes est à mettre en miroir avec les plantations où grouillent
les familles travaillant de concert. Et, pour prendre un exemple étonnant,
l’état des soins de santé publics s’appréhende en total contraste avec
l’état impeccable des routes !
En effet, les routes au
Bangladesh sont dans un état parfait. Contrairement à certains pays d’Asie
ou d’Afrique, voire… à la Belgique, les moyens nécessaires sont mis pour que
les voies de circulation des biens et des produits jouent pleinement leur
rôle dans le développement économique …
Quel rôle se donne
l’Etat, le gouvernement du Bangladesh? C’est évidemment la question qui
vient à l’esprit quand on roule trop vite, trop dangereusement, sur des
routes qui paraissent trop bonnes et lorsqu’on vient de quitter une école
sans électricité, un hôpital dépourvu des équipements de base et dont les
seules installations, rudimentaires, sont le résultat d’années de travail
d’une ONG locale.
Les dirigeants du
Bangladesh se donnent pour seule mission la mise en place des conditions
nécessaires et suffisantes du développement économique. Toutes les personnes
que nous avons rencontrées, responsables politiques ou administratifs, sont
convaincues que c’est grâce à cela que le reste suivra. La santé et
l’éducation naitront de la réussite économique ! La santé et l’ éducation
sont donc strictement laissées aux mains du marché !
Dans la capitale, Dacca,
des avenues entières sont occupées par des hôpitaux privés, que l’on trouve
en nombre comme les universités. Des locaux somptueux y sont aménagés grâces
à des capitaux privés internationaux avec, comme seul objectifs, la
rentabilité et le bénéfice financier. Lorsqu’on quitte la capitale, on
découvre un véritable désert en matière de soins de santé et d’accès aux
écoles… Les parents doivent se débrouiller pour mettre sur pied des écoles,
payer les professeurs, entretenir les bâtiments. Toutes les associations
rencontrées nous ont dit qu’elles n’attendaient rien de l’Etat, que c’est à
la société civile de s’organiser. Le dialogue social et politique n’a aucune
place dans ce pays.
Se rendre dans un pays
doté d’une telle organisation (ou désorganisation) pourrait paraître vain et
inutile. Et pourtant il n’en est rien. Si l’exemple choisi peut paraitre
caricatural, il n’en reste pas moins illustratif des dérives extrêmes des
systèmes et des croyances libérales non régulées. Par ses excès, il nous
ramène à nos justes combats.
Ce beau pays est aussi
la preuve que les associations, les ONG et les populations sont capables de
faire preuve de la plus grande inventivité, de prendre des initiatives sans
borne, de comprendre en profondeur l’intérêt de la solidarité et de
l’organisation structurée de la société.
Terre de tous les
contrastes, de la négation et de l’affirmation de notre humanité, le
Bangladesh agit comme une loupe de nos dérives et de nos capacités
humaines ! Gageons que ses habitants trouveront la route et que nous ne la
perdrons pas…
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Lire aussi le
reportage sur le Bangladesh : Quand le
delta bouillonne
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