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Coopération (20 janvier 2011)

Les femmes aux avant-postes du développement


 

Bangladesh

Tant par sa démographie que sa géographie, le Bangladesh est le pays des extrêmes. Avec l’ONG “Solidarité mondiale”, la Mutualité chrétienne s’intéresse de près à ce pays du bout du monde. Dans cette région de grande pauvreté, quelques pionniers ont ouvert avec succès le chantier d’une politique de santé pour tous et de la lutte contre la pauvreté. “En Marche” était du voyage.

 

Quand le delta

bouillonne

Que sait-on du Bangladesh, en Belgique ? Que ce pays est l’un des plus pauvres de la planète. Qu’il est régulièrement victime de catastrophes dévastatrices en vies humaines : cyclones, inondations, tremblements de terre. Qu’il est le principal berceau du textile européen, du fait de sa main d’œuvre féminine à - très - bon marché (encore moins chère que les petites mains chinoises). Qu’il est aussi l’une des principales victimes, comme quelques îles perdues du Pacifique ou de l’Océan Indien, du bouleversement climatique. Ses immenses plaines fertiles, plates comme  les polders flamands, ne sont-elles pas coincées entre les glaciers de l’Himalaya, menacés de fonte, et le Golfe du Bengale dont le niveau des eaux a commencé de monter?

© Solidarité mondiale

Et pourtant, ce pays très jeune (sa guerre d’indépendance avec le Pakistan s’est clôturée en 1971), trop souvent assimilé à son puissant voisin indien, mérite mieux que ces quelques clichés injustes. Qui sait, en Europe, que le Bangladesh a fourni des efforts colossaux, ces vingt ou trente dernières années, en matière de planning familial et de vaccination des enfants? En près de trente ans, l’indice de fécondité y a chuté de 6,8 à 2,3 enfants par femme. L’espérance de vie y est aujourd’hui de plus de soixante ans, ce qui la situe bien au-delà d’autres pays en développement. Véritable fourmilière d’ONG, le pays bout littéralement de dynamisme et d’une farouche volonté de s’extraire de la pauvreté. Loin des images fatalistes de pays maudit (partagées avec Haïti), il a mis sur pied, par exemple, un vaste réseau d’alerte météorologique, constitué de bénévoles, qui a probablement épargné des dizaines de milliers de vies lors des derniers déferlements des éléments naturels.

Bien des observateurs internationaux considèrent ce pays de plus de 150 millions d’habitants (le plus densément peuplé de la planète) comme un laboratoire socio-économique susceptible d’intéresser d’autres nations à l’heure des grandes crises : alimentaire, démographique, énergétique et climatique. Ce terrain d’expérimentations à ciel ouvert est riche en contrastes et paradoxes – tour à tour insaisissables, fascinants ou inquiétants – qui ne manquent pas d’interpeller ou de scandaliser le visiteur européen. A Dacca, la capitale surpeuplée et éternellement congestionnée, les hôpitaux privés poussent comme des champignons, nantis des équipements cardiologiques et neurologiques occidentaux dernier cri ; mais les campagnes (sans parler des bidonvilles, parmi les plus miséreux du monde) restent cruellement dépourvues de médecins de première ligne. La même ville de Dacca, où errent des cohortes d’enfants sans toit, compte depuis 2004 le plus grand complexe commercial de toute l’Asie du Sud-est (10 étages, 1.500 magasins, 100 cafeterias!), alors que le pays s’accommode de 63 millions de personnes vivant sous le seuil de pauvreté.

Si le Bangladesh a tant bien que mal réussi à atteindre une certaine sécurité alimentaire, 48% des enfants de moins de cinq ans souffrent d’insuffisance pondérale, et une personne sur cinq de malnutrition chronique. Quant au système politique et social, il ne cesse d’étonner. Très peu stratifié par les castes (à l’inverse de l’Inde), le Bangladesh souffre néanmoins d’un profond déterminisme social. “Ici, on naît pauvre ou seigneur… et on le reste!, résume Thérèse Blanchet, anthropologue d’origine canadienne, directrice du centre d’études Drishti à Dacca. Les lois existent, certes. Et la pression des institutions et des ONG internationales n’y est pas pour rien. Mais elles sont mal utilisées ou détournées. Dans cette société ultra compétitive, minée par la corruption, il faut généralement, beaucoup d’argent, pour avoir une chance de grimper dans la hiérarchie sociale”.

En Marche a choisi d’informer ses lecteurs sur ce pays lointain et trop peu connu, placé sous les projecteurs médiatiques uniquement lors des cataclysmes naturels. Pourquoi ? Parce que, fin de l’année dernière, une  petite délégation de la Mutualité chrétienne (MC) et de Solidarité mondiale, l’ONG du Mouvement ouvrier chrétien spécialisée dans la coopération au développement, s’est plongée dans la découverte de ce pays fascinant. Depuis 1998, Solidarité mondiale soutient l’ONG locale “Gonoshasthaya Kendra”. Mieux connue sous la dénomination “GK”, cette organisation bangladaise, débordante de créativité dans le domaine des soins de santé pour les plus pauvres mais aussi – c’est loin d’être un hasard dans ce pays très patriarcal et conservateur – dans le secteur de l’émancipation de la femme, dément à répétition, par ses réalisations, les clichés les plus misérabilistes sur cette région de l’Asie. Accumulant les réussites locales et les distinctions internationales, elle ne cesse de développer de nouveaux projets, au point qu’ 1,3million de Bangladais bénéficient aujourd’hui de ses services.

En conviant à cette mission deux partenaires africains gestionnaires de mutualités de santé, originaires du Bénin et de la République démocratique du Congo, la MC et Solidarité mondiale ont également voulu favoriser le partage d’expériences Nord/Sud et Sud/Sud. Non seulement dans le domaine de l’accès aux soins de santé mais, d’une façon plus générale, dans celui des mécanismes de protection sociale : deux thématiques dont les lecteurs d’En Marche et les affiliés à la MC entendront régulièrement parler en 2011 et 2012. (lire, aussi, l’éditorial en p.20).

 

L’arsenic, poison national

Au Bangladesh, il n’est pas rare de tomber sur des puits peinturlurés en rouge. L’avertissement coloré signifie que l’eau souterraine est contaminée à l’arsenic : on ne  touche pas ! Des problèmes ponctuels, ici et là dans le pays ? Loin de là… L’OMS estime que 28 à 35 millions de personnes boivent  de l’eau à forte teneur en arsenic dans le pays. Selon la revue médicale The Lancet, 21% des décès y sont dus au poison.

Le problème n’a été suspecté qu’au début des années nonante, mais il est bien plus ancien. Le pays compte au moins neuf millions de puits. Ceux-ci ont été creusés dans les années cinquante pour lutter contre des maladies comme le choléra. Mais ces forages ont ramené en surface l’arsenic issu des couches géologiques profondes. Sur les quatre millions de puits analysés, un quart s’est avéré contaminé. Or, cette eau souterraine est utilisée partout. Elle irrigue les cultures, elle alimente encore largement l’eau de distribution jusque dans les villes. Non détectable au goût, l’arsenic tue à petit feu, entraînant des lésions cutanées, des problèmes mentaux chez les enfants et divers cancers : peau, vessie, poumons.

Aidé par la Banque mondiale, le gouvernement a pris le  taureau par les cornes, installant des procédés de filtration, lançant des programmes de sensibilisation, etc. Mais le mal est fait et beaucoup de villages n’ont d’autre choix que de continuer à s’approvisionner à des sources contaminées. Le problème n’est pas uniquement médical. Les jeunes femmes manifestant les symptômes d’une intoxication sont ignorées par les hommes en âge de se marier ; ou, alors, elles doivent payer des dots considérables (au Bangladesh, c’est la femme qui paie la dot), ce qui accentue leur pauvreté ou celle de leur famille. “Entre stigmatisation et tabou, l’arsenic fait des ravages”, déplore l’anthropologue Thérèse Blanchet.

 

Le sel, signal du réchauffement du climat

A l’heure actuelle, l’impact le plus clair du réchauffement du climat sur le Bangladesh porte un nom : le sel. Une étude menée récemment par l’Imperial College of London a constaté que les femmes enceintes des zones côtières présentent une tension artérielle trop élevée. Celle-ci est liée à la consommation d’une eau douce qui se salinise progressivement à la suite de la montée du niveau de la mer. Il faut dire que ce pays est silloné par 3.000 rivières et quasiment plat partout.

Selon Atiq Rahman, directeur du bureau d’études BCAS, la montée du niveau de la mer dans le Golfe du Bengale ne fait plus de doute, attestée  par les mesures scientifiques et par des observations plus empiriques. “Depuis trois à cinq ans, des milliers de paysans ont élevé le niveau de leur maison”. Détail piquant : plus on est riche, plus les centimètres de “rehausse” sont nombreux. Dans certaines régions côtières, une mince pellicule blanchâtre recouvre de plus en plus régulièrement les cultures.

 S’il est trop tôt pour parler de défilés de “réfugiés environnementaux”, le scientifique, ne cache pas son inquiétude. “Certes fragile, l’autosuffisance alimentaire est un acquis important pour le pays. Mais nous pourrions sombrer à nouveau dans la malnutrition. D’ici à 2050, la production de riz et de blé pourrait chuter respectivement de 8 et 32%! Ceux qui, à force de lutte et de courage, ont réussi à quitter la pauvreté vont y basculer à nouveau”. En outre, l’expert craint que la hausse du niveau de la mer se réalise plus vite que les prévisions officielles du GIEC. 17% du territoire actuel(!) serait alors plongé, dès 2050-2075, sous l’influence directe de l’eau salée.

Certes, le Bangladesh met en œuvre divers plans de lutte contre les catastrophes naturelles et les bouleversements climatiques. Mais les cyclones et les inondations augmentent en fréquence et en intensité. Si, à terme, des millions de gens devaient chercher refuge à Dacca (la ville accueillerait déjà plus de 30.000 personnes supplémentaires par mois!), le phénomène pourrait se transformer, estime Atiq Rahman, en “bombe sociale”.

 

Les femmes aux avant-postes du développement

Audacieuse, créative, révolutionnaire, voire provocante… Les mots font défaut pour décrire l’action de l’ONG bangladaise “Gonoshasthaya Kendra” (GK), active depuis quarante ans au Bangladesh. Son principal levier? Les femmes! Plein feu sur une initiative kaléidoscopique qui pourrait faire tache d’huile dans d’autres pays en développement.

Wasim parle surtout avec le regard. De sa bouche ne sortent que des sons inintelligibles, sauf pour sa sœur aînée qui, bienveillante, ne le quitte pas des yeux. Il est né il y a trente ans, affublé d’une déformation de la mâchoire qui lui dévore une partie du visage et fait apparaître ses dents disposées dans le désordre total, le condamnant à un monstrueux rictus permanent. Pourtant, calmement assis sur son lit d’hôpital, le jeune conducteur de rickshaw (un vélo-taxi très fréquent au Bangladesh) semble apaisé. Demain, il subira une intervention chirurgicale qui lui procurera une nouvelle figure et un mode d’alimentation plus aisé. Une deuxième vie commencera.

© Solidarité mondiale

Dans son village de Panijumi, situé à douze kilomètres, il a entendu parler des soins chirurgicaux rendus par GK. Comme 70% des Bangladais qui ne doivent leur subsistance qu’à une occupation dite informelle (agriculture familiale, petit commerce, vente en rue, etc.), il n’a pas les moyens  – loin s’en faut – de s’offrir une intervention qui lui coûterait 20 à 50.000 takas (225 à 550 euros) dans une clinique conventionnelle. Une fortune ! Ici, à Savar, à l’Hôpital de référence de GK, il déboursera au pire une quarantaine d’euros. Avec deux garanties à la clef : celle d’être bien soigné malgré sa condition modeste et celle d’échapper aux pots de vin glissés sous la table d’une équipe soignante.

Wasim ne rencontrera sans doute jamais Zafrullah Chowdhury, mais il lui doit une fière chandelle. Avec quatre compères bengalis, ce médecin âgé aujourd’hui de 72 ans et toujours très actif a réussi à implanter dans ce pays, au lendemain de l’indépendance, l’une des initiatives de santé les plus performantes et les plus accessibles à toutes les couches de la société bangladaise. Après avoir soigné les derniers belligérants dans une simple unité de soins de campagne, Chowdhury et ses comparses décident de se lancer dans un combat d’une toute autre dimension : la lutte contre la maladie et la malnutrition qui frappe la majorité des habitants du récent pays. Tout est à faire ! A peine né, le Bangladesh est ravagé par les maladies et meurtri par les séquelles de la guerre. Les infrastructures de soins sont quasiment inexistantes. L’Etat et son administration émergent à peine.

Comment s’y prendre? Le coup de génie du petit groupe de médecins est double. D’une part, il met sur pied un système simple et pratique de cotisations de soins de santé, adaptées aux populations visées : chacun paie à une caisse commune une contribution variable, même très réduite, selon de ses revenus. En cas de soins, la rémunération payée par le malade varie selon de la catégorie de bénéficiaires à laquelle il appartient. Au bas de l’échelle, les “destitutes”, dénués de tout. Puis, les “ultra pauvres”, les pauvres et les classes moyennes. Tout en haut de l’échelle, les riches. L’appartenance à ces catégories est revue tous les cinq ans, en fonction de critères nombreux et précis : nombre d’enfants, type de logement et d’alimentation, accès (ou non) au crédit, à l’eau, à l’école, etc. En cas de contestation, chacun peut faire appel. A noter: le système n’est jamais exclusif ; celui qui ne cotise pas est admis aux soins de santé, mais il payera plus cher.

 

Des crachats... aux louanges

Deuxième trait de génie : dès le départ, GK met l’accent sur l’émancipation des femmes. Dans une société à 90 % musulmane, foncièrement patriarcale, un tel parti pris relève de la mini-révolution. Recrutées dans les villages, des jeunes filles sont formées à prodiguer les soins de base, avec une attention toute spéciale pour les femmes enceintes et les enfants. Baptisées “paramedics”, ces jeunes travailleuses médicales polyvalentes, capables de travailler également dans les hôpitaux, circulent à vélo dans les campagnes et vont directement au devant des besoins. Les premières réactions sont dures : crachats, jets de pierre, insultes, boycott… Mais, au bout de quelques années, les autorités politiques et religieuses comprennent que les communautés ne retirent que des bénéfices d’une telle surveillance médicale rapprochée.

© Solidarité mondiale

Les animateurs de GK voient loin. Pour eux, le développement du pays passe par une attitude radicale : briser l’isolement et la dépendance des femmes. Dans la foulée des « paramedics », l’ONG prépare un autre tremblement de terre : former les femmes bangladaises, traditionnellement confinées aux tâches domestiques, aux métiers les plus divers, y compris ceux qui sont réservés aux hommes. Elles deviennent ainsi manufacturières, enseignantes, boulangères, mais aussi soudeuses, menuisières, mécaniciennes, chauffeurs, etc. L’objectif : valoriser l’image que les femmes ont d’elles-mêmes et, à travers ce bouleversement, leur donner des outils pour revendiquer l’exercice de leurs droits et s’affranchir de la suprématie masculine.

La dynamique de GK accouche de succès divers et parfois inattendus. A Dacca et ailleurs dans le pays, on commence à croiser des femmes au volant de camionnettes et d’engins agricoles. Dans la foulée, GK crée des dizaines de groupements coopératifs agricoles et d’écoles primaires. Ces dernières sont 200 à ce jour, accessibles à 18.000 enfants, donnant la priorité à l’engagement d’enseignantes handicapées et/ou issues de couches défavorisées. GK coopère avec la Grameen Bank, pionnière du microcrédit, fondée par Muhammad Yunus, Prix Nobel de la Paix. Mais tout cela n’est pas gratuit et l’aide d’ONG européennes ne suffit pas. Conciliant ces objectifs sociaux et des visées plus commerciales, l’ONG se lance dès lors, dans les années quatre-vingt, dans la fabrication de médicaments de première nécessité pour la population du pays, se spécialisant dans les antibiotiques. Au passage, elle fait pression auprès des autorités centrales bangladaises pour diminuer l’emprise des multinationales pharmaceutiques et assurer la production industrielle de médicaments génériques directement axés sur les capacités financières de la population. Des actions de boycott, momentanées, assombrissent le tableau.

En 1998, l’ONG inaugure à Savar sa propre université privée, la seule du pays où le port de la burka est prohibé. Depuis treize ans, des centaines d’étudiants y ont appris la médecine, la pharmacie, la physiothérapie, la dentisterie et les sciences de l’environnement. Après s’être lancée récemment dans la préparation industrielle de kits alimentaires nutritionnels, GK s’apprête, en 2011, à ouvrir une unité de recherche et une usine de commercialisation de médicaments intervenant dans le traitement des cancers.

 

Dacca : la démesure

Véritable fourmilière humaine minée par la pollution atmosphérique et les embouteillages cacophoniques, Dacca (en anglais Dakha) comptait 400.000 habitants en 1950. Elle en dénombre aujourd’hui plus de 16 millions, dont 250.000 enfants abandonnés à la rue (1)! Sa population explose. L’exode rural pousse des cohortes de paysans à s’entasser dans d’énormes bidonvilles. Au palmarès des plus grandes mégapoles du monde, la ville pourrait passer de la dixième (aujourd’hui) à la quatrième place, dès 2025, avec 22 millions d’habitants, voire devenir la deuxième plus grande ville de la planète en 2030 derrière Tokyo, avec près de 30 millions de personnes devant Bombay, Delhi et Mexico. Sur un territoire dépassant, alors, une province belge…

(1) “La pauvreté durable? Au Bangladesh, à Dakha et dans le monde”, Joël Le Quément. Coll. L’Harmattan, 215 p (2010)

 

Tous aux champs!

Au fil du temps, des institutions comme l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et la Banque mondiale se sont intéressées au cycle vertueux initié par GK. Les récompenses internationales ont afflué : le Prix Magsaysay – le “Nobel de l’Asie” – (1985), le Right Livelihood Award - Prix Nobel alternatif – (1992), etc. Il faut dire que les indicateurs de santé sont là pour démontrer son succès. Un exemple : dans les zones sillonnées par les « paramedics », la mortalité des enfants et des femmes à la naissance est aujourd’hui trois fois plus faible que dans les zones non couvertes par l’ONG. Le travail en faveur de l’égalité des sexes et de la démocratisation de la société bangladaise est évidemment plus difficile à quantifier. Il faut dire que cet important volet d’activités de “l’empire GK” se niche parfois dans des détails les plus anodins. Ainsi, chaque travailleur de l’ONG (15.000 personnes en 2010), ouvrier comme directeur, est tenu de consacrer une heure de sa journée aux travaux agricoles. De même, lorsqu’un stagiaire ou un visiteur extérieur vient découvrir une implantation de GK, il est prioritairement logé chez l’habitant afin de favoriser sa compréhension des conditions de vie des populations aidées. Cela s’appelle : agir sur tous les tableaux.

// Reportage : Philippe Lamotte

 

Objectif 2015 : 3 millions de cotisants

GK n’est pas la seule ONG “mammouth” à avoir développé, au Bangladesh, un système de micro assurance de santé. Dans les années nonante, pas mal d’organisations actives dans le microcrédit s’y sont lancées à corps perdu. En marge de préoccupations purement philanthropiques, elles avaient constaté que les problèmes de santé et les accidents constituaient les principales raisons du non-remboursement des prêts, même minimes. Même si elle reste tributaire de l’aide internationale (exclusivement privée), GK est probablement l’une des rares qui ait réussi à faire percer une telle assurance jusque dans les couches les plus pauvres de la société, touchant à la fois la ville et la campagne et réussissant à garder le cap de l’accès pour tous, y compris ceux qui ne possèdent rien.

Près d’1,3 million de personnes bénéficient aujourd’hui des services de l’ONG. Son cofondateur, Zafrullah Chowdhury, nous a confié viser trois millions de bénéficiaires d’ici à 2015. Enorme ? Oui, vu d’Europe. Mais si modeste dans un pays qui compte pas loin de 160 millions d’habitants ! GK, du reste, n’est pas irréprochable. La qualité des formations dispensées aux « paramedics » dans certaines zones reculées du pays laisse parfois à désirer. Les idéaux démocratiques et participatifs ne semblent pas percoler à tous les échelons de l’organisation. Bien structurée, l’ONG ne semble pas pour autant vouloir exercer un lobbying auprès des autorités centrales du pays pour faire évoluer les structures de santé. Enfin, elle peine à convaincre les classes moyennes, en expansion au Bangladesh, à rejoindre son système de cotisations à cinq catégories. Il faut dire que la concurrence des hôpitaux privés, en plein essor faute de cadre contraignant imposé par l’Etat bangladais, fait de l’ombre aux structures à vocation résolument philanthropique comme GK.

Il reste donc à voir si les autorités bangladaises, sorties vaille que vaille de graves tensions politiques en 2009, seront prêtes à s’inspirer des réalisations de l’ONG qui, forte de son succès, tient à son indépendance comme à la prunelle de ses yeux. On peut la comprendre : la Banque mondiale ne relevait-elle pas, il y a peu, que les principaux obstacles à la croissance du Bangladesh résident dans la faiblesse de ses institutions publiques et sa mauvaise gouvernance ?

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