Éditorial
(7 mai 2009)
L’Europe
de la santé,
menace ou opportunité?
Dans
un mois, nous élirons nos députés régionaux et européens. Si l’Europe nous
paraît lointaine, son impact ne cesse de croître y compris dans le secteur
de la santé. Elle peut être une menace ou une opportunité pour notre modèle
social. Cela dépendra principalement de la place laissée aux “règles” du
marché pour réguler les soins de santé. C’est une question de choix
politique!
Bien
que l’organisation et le financement des soins de santé relèvent de la
compétence de chaque pays, l’impact des législations, de la Cour de justice
européenne, de la Commission européenne pèse de plus en plus sur les
politiques de santé nationales. Construite sur le principe de la libre
circulation, l’Europe prône les principes du marché dans tous les domaines.
Mais, dans le champ de la santé, une libéralisation non régulée des soins
risque de déstabiliser l’équilibre des systèmes de santé nationaux et de
réduire l’accès aux soins, aggravant ainsi encore les inégalités en santé.
Par contre, une approche européenne de la santé basée sur la coordination et
la coopération peut signifier une vraie valeur ajoutée et contribuer au
développement de la santé des populations.
La mobilité des patients
avec ou sans régulation?
Grâce à une bonne
coordination européenne des systèmes de sécurité sociale nous bénéficions
tous de la couverture des soins lorsque nous voyageons en Europe. La libre
circulation des personnes en est facilitée. Mais faut-il promouvoir le
tourisme médical et la circulation des patients financée par la collectivité
nationale sans restrictions? Est-ce la vocation de l’Union de devenir un
grand marché de soins de santé pour ceux qui en ont les moyens.
Réguler est mieux que libéraliser, et pour le patient, et pour les
finances de la collectivité. |
C’est l’enjeu de la
proposition de directive sur les droits des patients en matière de soins
transfrontaliers actuellement en débat au sein du Conseil et du Parlement
européens. Telle quelle, cette directive risque d’installer, pour les soins
hospitaliers, une médecine à deux vitesses et rendre la planification de
l’offre des soins sans effet. Ce projet de directive devrait être
redimensionné. Il devrait accorder plus de place à la coopération entre
Etats-membres offrant des soins de qualité et de proximité à tous les
patients résidant dans les territoires transfrontaliers. La mobilité des
patients ne peut être une fin en soi mais elle doit être encadrée par un
dispositif permettant une prise en charge plus efficace et optimale des
problèmes de santé. Pour ce faire, elle doit être régulée.
Une politique des médicaments pour l’industrie ou pour les
patients?
L’Europe joue aussi un
rôle essentiel dans la politique des médicaments. Grâce à l’agence
européenne d’enregistrement des médicaments située à Londres (EMEA), un
médicament peut bénéficier d’une mise sur le marché valable dans toute
l’Europe. La Commission européenne soutient aussi la recherche de manière
importante. Mais qu’en est-il de la transparence des prix, de l’information
aux patients et d’études portant sur la sécurité des médicaments?
L’industrie souhaite la
libéralisation de la publicité sur les médicaments. Or, nous savons que la
publicité va accroître la vente, les consommations inutiles et grever
lourdement les budgets de la santé. C’est pourquoi la Mutualité chrétienne
s’est coalisée avec des représentants des médecins, pharmaciens, patients et
consommateurs, pour s’opposer au projet de la Commission visant à favoriser
la publicité des médicaments par les firmes pharmaceutiques. Nous sommes
pour une information objective des patients, organisée par les autorités
publiques et non par l’industrie du médicament. Encore un exemple où
réguler est mieux que libéraliser, et pour le patient, et pour les finances
de la collectivité.
Les services sociaux d’intérêt général reconnus ou ignorés?
Si les services sociaux
d’intérêt général, tels que les soins de santé, ne sont pas reconnus dans
une directive spécifique, ils pourraient être soumis au droit de la
concurrence. Et les règles actuellement d’application en Belgique pour
organiser notre système de soins de santé pourraient être remises en
question. Peut-on limiter le nombre d’appareillages médicaux lourds?
Peut-on fixer des accords tarifaires pour les prestations médicales
d’application dans tout le pays? Peut-on octroyer des subsides uniquement
aux institutions sans but lucratif? Qu’en est-il des services organisés sur
le principe de la solidarité par les mutualités?
Aujourd‘hui à défaut de
directives spécifiques, plusieurs affaires initiées par des plaintes
conduisent à des mises en demeure de la Commission européenne ou des arrêts
de la Cour de Justice européenne, engendrant beaucoup de craintes et de
confusion. A nouveau, quelle valeur doit conduire la politique européenne:
la dérégulation mettant les services sociaux d’intérêt général en
concurrence ou la reconnaissance de la plus value sociale de ces services
par une directive cadre?
La politique des
personnes handicapées, les problématiques de l’alimentation et de
l’environnement, la démographie médicale, les centres d’excellence, la
promotion de la vie associative et de volontariat, autant d’autres domaines
et chantiers où l’Europe peut apporter un plus pour les citoyens.
La
politique européenne a un impact sur l’organisation des soins de santé dans
chaque Etat membre. Nous ne pouvons pas y rester indifférents. C’est
pourquoi la Mutualité chrétienne a déposé un mémorandum basé sur les valeurs
d’universalité, d’équité et de solidarité pour promouvoir une politique
européenne de la santé et non les valeurs du marché et de la concurrence.
C’est en œuvrant dans cette direction que l’Europe deviendra une véritable
opportunité pour la santé de chaque citoyen.
Jean
Hermesse
Secrétaire général
Elections européennes : les enjeux pour la santé
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