A suivre...
(2 août 2012)
>> Lire le
dossier spécial vacances : autant d’invitations à ouvrir nos oreilles à des sons choisis.
Ce bruit qui court à
perdre haleine
Le bruit de
l’été – son doux chuchotement – résonne-t-il à nos oreilles? Le marchand de
glace ambulant carillonne dans le quartier. Le clocher sonne les heures et
parfois remplace la stridence du réveil à l’heure d’un lever plus tardif.
Les grillons chantent. Les cigales fredonnent au soleil. Idyllique! Pourtant
il ne faut pas tendre l’oreille pour remarquer qu’on est loin du compte.
Ils se font rares
les lieux où échapper à la rumeur grondante de l’activité humaine. Même
l’été. Les autoroutes remplies de vacanciers impatients vrombissent sur des
kilomètres à la ronde. Les pistes de décollage expulsent sur un rythme
soutenu les plus pressés d’arriver. Un vacarme insoutenable pour les
riverains, transformé en sifflement lointain, quand le bruit du moteur
s’amortit dans le ciel bleu. Les climatiseurs battent leur plein et ajoutent
au chahut ambiant. Sans compter les sonos sorties au jardin, les autoradios
qui rugissent plein pot, toute fenêtre ouverte, ou les conversations
téléphoniques qui envahissent l’espace public.
Boum, boum, boum,
boum…
Aujourd’hui, nos
oreilles sont littéralement bombardées, sans crier gare. Rien avoir avec les
bruits d’il y a quarante ou cinquante ans. Le son est devenu permanent.
L’agression sonore est constante, au point de ne plus la considérer. Celui
qui s’étonnera de la musique de fond dans un restaurant passera pour un
loufoque. Les maisons mères des chaînes de restaurant comme des supermarchés
allant jusqu’à déterminer le niveau sonore en vigueur dans leur succursale,
parole de serveur. Celui qui souhaitera ne pas entendre les conversations
téléphoniques de ses co-passagers de tram, train et autres transports
collectifs, ne trouvera plus d’espace pour s’isoler. A moins de circuler à
partir de la mi-septembre dans les deux maigres wagons “silence” de
l’Eurostar mais qui sont Business Class.. C’est dire que le calme est une
forme de luxe.
“En ville, on ne s’entend même plus marcher”, remarque
l’acousticien français Christian Hugonnet. “La ville nous masque”, elle
couvre le bruit des pas, nous anonymise. Pourtant une ouïe attentive dans un
environnement plus silencieux disposerait de pas moins de 24 signifiants
dans le pas pour identifier le marcheur. De la semelle qui tinte, au rythme
de la foulée, en passant par le clopinement éventuel.
Plus encore que nous
cacher dans le brouhaha, les sons nous asphyxient, explique cet acousticien,
aussi ingénieur du son, très inquiet pour notre santé auditive.
L’environnement sonore ne nous permet plus de respirer, ne nous donne plus
le temps de réfléchir, voire de comprendre. Les titres des journaux parlés
sont déclamés sur fond de jingles nerveux. Les annonceurs rivalisent de
sonorités stridentes pour capter l’attention de l’auditeur distrait. Les
publicités semblent branchées sur le bouton “volume”. Les décibels ne sont
pourtant pas plus élevés pour les pubs, explique le Conseil supérieur de
l’audiovisuel. Par contre, les publicitaires “recourent à la technique dite
de ‘compression dynamique du son’ pour gonfler artificiellement le volume de
leurs spots”, en augmentant le niveau des fréquences basses.
Tactactactac
La pratique de
“compression sonore” est devenue courante, et ne concerne pas que la pub. La
plupart des radios s’y emploient et les fichiers MP3 tant usités en sont le
fruit. Compresser un fichier audio permet en fait d’en réduire la taille.
C’est là son principal avantage : cela facilite l’échange par internet, la
sonorisation de site, réduit d’espace de stockage… “Toutefois le gain de
place et de ressource se fait au détriment de la qualité du son, expliquent
des spécialistes du bruitage(1). Même si beaucoup de personnes ne perçoivent
pas de différence à l’écoute d’un wav ou d’un MP3, une oreille avertie
entend immédiatement l’absence de certaines fréquences se traduisant par
moins de brillance, de rondeur ou de chaleur et éventuellement l’ajout d’un
bruit parasite. La compression (…) supprime une partie des sons les plus
graves et des plus aigus.” Avec la compression, les sons sont tassés vers le
haut ; les nuances s’effacent, les “piani” véritables plages de repos pour
l’oreille disparaissent(2).
Tiiiiiiiiiiit… bang
!
Quand l’écoute se
fait nomade, que les oreilles ne se séparent pas – de longues heures durant
– du baladeur masquant le bruit ambiant, l’atteinte des tympans est
inévitable. Les sons compressés, amplifiés, qui plus est sans discontinuer,
génèrent un cocktail explosif pour l’ouïe et des dégâts irréversibles. Sans
véritable alerte, on augmente le son, toujours un peu plus. “Dans une étude
réalisée en France auprès de 6.000 élèves de 17 ans, l’examen audiométrique
a montré que plus de 25% présentaient un déficit auditif reconnu comme
grave, soit une perte auditive égale ou supérieure à 20 décibels”(3). Une
perte bien trop précoce, qui inquiètent les ORL aux consultations ainsi
rajeunies.
Les appels à la prudence se font jour, là où les sons vibrent
allègrement. Festivals et discothèques voient fleurir les distributions de
bouchons d’oreilles ou de casques de protection pour les plus jeunes, les
chartes relatives aux décibels, également. Mais de néo-malentendants
semblent avoir pris possession de certaines tables de mixage. En Flandre,
l’an dernier, la Ministre de la Culture, Joke Schauvliege, a voulu élaborer
une loi limitant à maximum 100 décibels le volume sonore des événements
musicaux, soit 20 décibels au-dessus des 80 décibels considérés comme
acceptables pour nos oreilles. Le secteur concerné a vivement réagi en
scandant qu’une telle exigence était impossible à appliquer. Le projet de
loi a été reporté...
Boum, chut, tac,
chut...
“L’oreille n’a pas
de paupière”, rappelle Christian Hugonnet. Une évidence pourtant bien utile
à réentendre. En créant la semaine du son en France – dont une déclinaison
existe en Belgique(4) – ce gourmet de la sonorité appelle de ses vœux la
rééducation de nos oreilles, altérées par les hautparleurs permanents, trop
éloignées du plaisir des variations de timbres, de la richesse entre les
graves, les médiums et les aigus.
//CATHERINE
DALOZE
(1)
http://bruitages.be
(2) Propos recueillis par Radio
Campus, de Daniel Léon, professeur à l’INSAS et ingénieur du son.
(3) Décibels. Protégez vos oreilles, Brochure réalisée dans le cadre du projet
Quality Nights, téléchargeable sur
www.belgiqueacouphenes.be
(onglet “prévention”).
(4)
Du 21 au 27 janvier 2013. Voir
http://lasemaineduson.be
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