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A suivre... (17 mai 2012)

Femme cherche un emploi,
par temps de crise

La crise est partout et fait le siège de nos esprits. On la quantifie, on la combat, on s'en plaint. Dans le livre “Le quai de Ouistreham”, la journaliste Florence Aubenas offre un regard très particulier sur ceux qui la vivent de plein fouet dans le monde du nettoyage. A la lecture de l'ouvrage, on en arrive à ressentir le bouillonnement intérieur de ces travailleurs précaires et la violence des procédures. A méditer, en ces temps d'austérité.

De l’effondrement aux signaux de reprise en passant par l’austérité, la crise donne le ton des débats politiques, des conversations à tout le moins. Il y a cependant plus d’une manière d’en parler. Avec des chiffres, où les pourcentages invitent les intelligences mathématiques à suivre les chutes et les essais de corrections à la hausse. Avec des paroles militantes, tentant de convaincre d’un nécessaire changement de modèle. Avec le silence, aussi.

Le quai de Ouistreham”, récit de la journaliste Florence Aubenas(1), parle de la crise, de la précarité au travers du vécu de ceux qu’elle touche. Il ancre dans le réel cette crise aux contours volatiles. Il donne chair aux dégâts que la crise entraîne dans la vie de travailleurs précaires. L’idée originelle de la journaliste est – relativement – simple : elle se fera passer pour une femme à la recherche d’un emploi avec pour seul bagage son bac (diplôme de fin de secondaire). Comme l’ont fait d’autres avant elle, Günter Wallraff qui s’est glissé dans la peau d’un Turc à la recherche d’un boulot (“Tête de turc”, 1986) ou Hubert Prolongeau qui s’est mué en SDF (”Sans domicile fixe”, 1997).

Immersion jusqu’à l’embauche

Elle s’installe ainsi à Caen, ville normande de taille moyenne. Durant plusieurs mois, elle va expérimenter la recherche d’un job en CDI (contrat à durée indéterminée). Là est son objectif, la proposition d’un CDI marquera la fin de l’expérience. Et la quête ne sera pas évidente. Inscription à “Pôle emploi” (Forem/Actiris français), visites aux agences d’interim, ateliers d’apprentissage dont l’incontournable stage de rédaction de CV ou la plus cocasse formation consacrée aux maniements des “auto-laveuses”… jusqu’à l’obtention d’un contrat (deux mois plus tard) de deux heures comme agent de propreté puis le cumul alambiqué de petits contrats temporaires de nettoyage : deux heures par-ci, trois heures par-là.

Tout accepter, même l’inacceptable

Dès le départ, elle le comprend: pour trouver du boulot dans sa “nouvelle situation”, il faut tout accepter. D’autant qu’elle n’est pas classée parmi les “risques zéro”, comme le lui précise un jeune homme dans une agence d’intérim: elle n’a pas d’expérience dans l’intérim. La conseillère de Pôle emploi ne respire pas non plus l’optimisme. “‘Vous avez un véhicule?’ ‘Non’.(…) ça commence mal. La voiture, c’est le premier critère des employeurs, même pour les activités qui ne l’exigent pas. ‘Femme seule? Plus de quarante-cinq ans? Pas de formation particulière, ni de fiche de paie récente?’ Dans les yeux de ma conseillère, tous les voyants rouges clignotent. Je viens d’entrer dans la zone haut risque statistique. Elle tente une dernière question : ‘Et vous avez des enfants à charge?’ Quand je lui réponds non, je la vois se détendre pour la première fois”. Les fonctionnaires de Pôle emploi ont en effet des quotas de mise à l’emploi à respecter.

Pour trouver un travail, il faut déjà un certain niveau de confort matériel: posséder une voiture, un téléphone portable et l’internet. L’équipement nécessaire pour être demandeur d’emploi est impressionnant”, découvre la journaliste. Plus encore, il faut accepter des périodes tests non rémunérées, des salaires minimaux, être “disponible à toute heure”. Surtout pour ces petites mains invisibles du nettoyage des bureaux ou des ferrys, actives une fois que tout le monde est parti, ou quand personne n’est encore arrivé. “De nos jours, pour refuser de travailler le dimanche, il faut déjà être embauché depuis longtemps. Ne vous y risquez pas.”, conseille une formatrice. Pas question non plus d’“effrayer” les directions du personnel avec un passé syndical ou de mobilisation. Aux ex-ouvrières de l’usine Moulinex à Caen, on recommande de dissimuler leur passé.

Des vécus méprisés et oubliés

Dans le ménage, les employeurs n’aiment pas embaucher au-delà de vingt heures hebdomadaires. Je l’ai souvent entendu dire, rapporte la journaliste. Les femmes sont plus rentables à vingt heures, qu’à quarante dans le ménage. Il ne faut pas leur donner plus. De toute manière, elles n’y arrivent pas physiquement”. Pour gagner leur vie un minimum, elles sont pourtant contraintes d’en faire beaucoup plus. Nettoyer de plus en plus vite, “avec la critique sans cesse répétée de travail mal fait(2). Sans broncher, de peur de perdre les maigres heures acquises. Tout au long du récit, le lecteur ressent le bouillonnement, le grondement à l’intérieur de ces hommes et ces femmes, confrontés à la violence sourde de procédures, du contexte qui les dépassent. Leur épuisement aussi. Il arrive que l’un ou l’autre sorte de ses gongs. Le voilà pris pour un fou. Mais rien, dans le système, ne semble en être ébranlé.

Le quai de Ouistreham” permet de partager le point de vue de ceux qui ne donnent pas d’interviews, qui ne s’expriment habituellement pas dans la presse, de ceux dont les mots ne sont pas nécessairement les armes. Le reportage rappelle, d’une autre manière, ce que “recherche d’emploi”, “précarité professionnelle” veulent dire. Trop souvent, nos têtes nous laissent tranquilles avec ces connaissances abstraites. “Quand on le vit, cela n’a rien à voir”, explique Florence Aubenas(3). Elle nous donne l’occasion de découvrir des situations rendues invisibles. Une lecture utile à l’heure où le renforcement de l’activation, l’augmentation de la durée de travail, la dégressivité du chômage, les restrictions concernant la définition d’un emploi convenable (impossible de refuser un emploi dans un rayon de 60 km) font partie des mesures d’austérité planifiées par le gouvernement belge.

// CATHERINE DALOZE

(1) Florence Aubenas, “Le quai de Ouistreham”, éd. Points (format poche), 2011, 256 p.

(2) Extrait de la chronique de Bernard Francq dans la Revue nouvelle, février 2011, sur www.revuenouvelle.be

(3) Voir entretien du 21 février 2010, pour le site Rue 89 : http://blogs.rue89.com/cabinet-de-lecture/


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