A suivre...
(2010)
Une grand-messe climatique : pour quoi faire?
(2 décembre 2010)
Après la gueule de bois de l’an dernier à Copenhague, le sommet pour le
climat à Cancun (Mexique) doit définir la stratégie mondiale de lutte contre
l’effet de serre. Encore une grand-messe? Non. Car, au-delà de leur ambition
de rendre la planète plus vivable, de telles conférences ont l’avantage de
nous interroger sur les notions d’éducation à la science, sur notre rapport
aux médias et sur l’exigence d’une solidarité mondiale.
En pleine crise
gouvernementale belge, la date du 28 octobre dernier est passée largement
inaperçue. Ce jour-là, pourtant, l'Académie des sciences, en France, a mis
fin au lamentable match de boxe qui s’était engagé plus d’un an auparavant
entre les scientifiques et les “climato-sceptiques”. Son rapport (qui
n'était pas le premier du genre en Europe) a rappelé que l’origine du
réchauffement climatique se situe, pour l’essentiel, dans les activités
humaines émettrices de gaz à effet de serre et non dans les phénomènes liés
aux activités solaires et volcaniques, dont le rôle reste secondaire.
Une révélation? Oh que
non ! Les premières manifestations scientifiquement détectées du
réchauffement climatique datent de 1988. Malgré diverses inconnues,
notamment sur les effets locaux de celui-ci, la réalité du réchauffement
fait l'objet d’un quasi consensus depuis 1995 dans la communauté des
climatologues. Cela, on le doit notamment aux travaux du Groupe d’experts
intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) qui, au travers d’un
méticuleux travail d’annotation et de commentaires critiques (90000 pour son
dernier rapport!), valide les conclusions de milliers d’experts de toutes
les disciplines penchés sur ce phénomène complexe et en perpétuelle
évolution qu’est le “changement climatique global”.
Ces deux dernières
années, le GIEC a eu fort à faire pour démentir le succès fulgurant des
climato-sceptiques(1). Il faut dire qu'il s'est rendu
coupable d'une négligence qui a donné lieu à des erreurs médiatiquement
retentissantes, mais sans portée sur le plan scientifique. Les
climato-sceptiques les ont habilement exploitées. Ils n'étaient pourtant –
et ne sont – qu'une poignée. L'ancien ministre français, Claude Allègre,
leur a donné une chambre d'écho inédite et néfaste. La bizarrerie de leur
succès – une telle force de persuasion et de diffusion dans la société,
malgré la somme de démentis sérieux – a récemment mené une brochette
d’experts des sciences humaines à se pencher, à Bruxelles et à Paris, sur
les rapports entre la politique et la science, notamment climatique. Ils ont
tenté d’expliquer les racines de ce qui, avec le recul, apparaît comme une
gigantesque opération de déni scientifique: rejet par l’opinion publique de
la science “d’en haut”, jugée trop technocratique? Complexité des modèles
climatiques? Refus d’entendre les voix qui, nous reflétant à la fois notre
culpabilité et notre impuissance, nous enjoignent de changer nos
comportements?
Certains ont en quelque
sorte battu leur coulpe, comme Hervé Le Treut, éminent climatologue
français. “Nous, les vulgarisateurs sommes tombés dans le piège : les
“sceptiques” nous ont renvoyé au visage nos processus scientifiques comme
s’ils constituaient la nature même de notre travail. Or, forcément, nous les
simplifions pour toucher le public!”. D’autres, à juste titre, ont
accusé les médias, qui “laissent dire des énormités sans réagir” et
permettent aux contrevérités, même clairement démystifiées par la suite,
d’imprégner les esprits pendant de longues années. D’autres encore ont
brillamment analysé comment les forces hyper-conservatrices américaines,
pour semer le doute sur le réchauffement, ont utilisé les mêmes ficelles –
et les mêmes acteurs ! – que lors des débats sur l’amiante ou le tabac pour
nier ou édulcorer la réalité du réchauffement; et pour, in fine, s’attaquer
à l’idée même d’une régulation des forces du marché qu’incarnent le
Protocole de Kyoto et les Nations unies. De là, cette question restée
ouverte: pour riposter aux “snippers” de la science, ne faudrait-il pas
reconstruire une culture générale autour de la démarche scientifique
elle-même et, en particulier, de la science du climat(2)?
Aujourd’hui, il faut
tirer un trait sur cette dramatique perte de temps et aller de l’avant. A
Cancun, au Mexique, les représentants politiques de l’ensemble de la planète
tentent ces jours-ci de définir un successeur au Protocole de Kyoto, qui
imposait des objectifs chiffrés de réduction des gaz à effet de serre
jusqu'en 2012. L’objectif à terme : maintenir à moins de 2 degrés
l’élévation moyenne de la température de la planète par rapport au début de
l’ère industrielle, sous peine de connaître des dommages graves et
irréversibles. Le défi est énorme car il bouleverse complètement nos modes
de consommation, d’alimentation, de mobilité, etc. A-t-il une chance d’être
relevé?
La récente raclée
électorale de Barak Obama, à la moitié de son mandat présidentiel, rendra
plus difficile l’émergence d’un leadership américain, déjà hypothétique,
dans ce domaine. Connie Hedegaard, la Commissaire européenne en charge du
climat croit peu au succès à Cancun(3). Dans un récent
appel à la mobilisation internationale, l'ONG WWF n’hésite pas à en appeler
tant aux “Grands” (Etats-Unis, Russie, Japon, Russie) qu’aux pays émergents
(Afrique du Sud, Brésil, Mexique, Inde…) pour relancer la dynamique
onusienne d’après Kyoto : un signe qui ne trompe pas sur le repositionnement
géopolitique majeur qui est en cours dans le monde. Et c’est sans parler,
ici, du “monstre” politico-économique qu’est devenue la Chine…
N’en déplaise aux
insouciants, le réchauffement est bel et bien là. “L’adaptation au
réchauffement climatique va devoir se faire beaucoup plus rapidement que ce
qu’on pensait jusqu’ici”, prévient Hervé Le Treut. L’été dernier, le
Pakistan a dû faire face à l’une des moussons les plus graves des cent
dernières années. Bilan: 18 millions de sinistrés. L’Arctique, lui, fond :
le passage maritime du Nord-Est, qui relie la mer de Barents au Japon, est
ouvert depuis cet été. Le Groenland commence lui aussi à se déliter. Quant
aux récentes inondations, chez nous, elles ne sont qu’un avant goût de la
multiplication annoncée d'événements climatiques extrêmes qui, eux, ne font
‘aucun doute’”(4). Ces crues font écho aux milliers de
morts comptabilisés en Europe lors des divers épisodes caniculaires de la
dernière décennie. La plus chaude depuis que les mesures climatiques
existent…
// Philippe Lamotte
(1) Interview du philosophe Dominique Bourg, “Le Temps”, 2
mars 2010, p.3
(2) Les actes du colloque international “Controverses
climatiques : science et politique” des 27, 28 et 29 octobre derniers seront
bientôt publiés sur http://controversesclimatiques.eventbrite.com
(3) Le Soir, 17 novembre. p.25
(4) Le Soir, 15 novembre, p.3
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