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A suivre... (4 novembre 2010)

 

Sans fleurs, ni couronnes

Toussaint. Visite au cimetière. “Il y aura des monticules où l'on ne se pressera pas, pour dire, avec des fleurs, qu'on n'oublie pas un cher disparu”.

Dans le cimetière de ce petit village sur les hauteurs de Namur, des enfants jouent. Ils jouent ? Est-ce bien le lieu ? Encore peu aguerris aux angoisses de la mort, ils déambulent entre les tombes comme ils se baladeraient dans la sapinière toute proche. Ils viennent saluer leur vieille voisine étendue maintenant sous une pierre tombale. Ils lui offrent quelques fleurs. Et pas à elle seulement. Car, tout en accomplissant une récolte d’escargots accrochés sous les couronnes mortuaires aux teintes un peu passées, ils rééquilibrent la répartition des fleurs pour les morts. A ceux qui n’en ont pas, ils apportent le surplus qui couvre d’autres. Ils ramassent çà et là des reliquats d’un montage floral pour agencer un petit bouquet à destination des oubliés.

Les oubliés. En termes funéraires, on parlera des indigents. “Une façon pudique, écrit le photographe Frédéric Pauwels, de nommer les SDF dont les corps sans vie sont retrouvés sur la voie publique. Les personnes âgées qui ont vieilli seules et rendu leur dernier soupir à leur domicile, au home ou à l'hôpital, sans un proche à leur chevet. Ou pour lesquels les familles sont trop désargentées pour payer les funérailles.Le photographe écrit, décrit surtout par l’image, des situations que l’on ne peut qu’imaginer. Son reportage est superbe. Intitulé “Non, Jan t’es pas tout seul”(1), il déroule le trajet suivi par le cercueil, de la morgue à la mise en terre, de deux de ces oubliés. Il affiche aussi la maigre présence, brève mais respectueuse, de ceux dont le métier est d’accompagner le mort. Ainsi, “Alain aura pour dernier entourage quatre porteurs de cercueil et le chauffeur du corbillard. L'employé de la morgue [le] salue une dernière fois (…)”

Alain rejoint la parcelle réservée par la commune à ceux qui, sous terre, entreront encore un peu plus dans l’anonymat. Une butte de terre marque la présence du corps. Un chiffre permet de retrouver dans les listings le nom et l’âge du décédé. “A Bruxelles-Ville, le nombre d’inhumations de personnes indigentes augmente chaque année, constatait en 2007 la Fondation Roi Baudouin(2). La moyenne annuelle est de 100 à 120 personnes. Le CPAS d’Anvers (en Flandre, bon nombre de communes délèguent leurs obligation en la matière à leur CPAS) finance entre 400 et 500 funérailles par an. Il y en a eu 107 à Liège en 2006. De grosses communes bruxelloises comme Schaerbeek, Ixelles, Forest ou Uccle recensent, chacune, entre trente et cinquante cas par an, soit un peu plus que Namur, Mons et La Louvière (respectivement 36, 24 et 23 inhumations en 2006)”. A mesure que l’on s’éloigne des grandes villes, les chiffres diminuent. Au point de n’être plus que situation exceptionnelle dans les campagnes. En trente ans de carrière, la responsable de l’enterrement des indigents à Beauvechain n’a connu que quatre cas. Ces parcelles de pauvres, ces terres communes, accueillent les corps pour une durée de cinq ans. Parfois un peu plus. Puis elles seront réaffectées… à d’autres sans doute.

En 2004 naissait à Bruxelles le “Collectif morts de la rue”. La découverte de deux corps sans vie dans le métro, morts à cet endroit depuis plusieurs mois, avait provoqué l’effroi, la révolte. Pouvait-on mourir sans que personne ne s’en rende compte ? Sans que personne ne s’en soucie ? A proximité immédiate de la vie débordante de la ville, des passages incessants de milliers d’autres gens ? Comme à Paris, le Collectif voudrait “qu’aucun être humain ne soit oublié” et que chacun soit enterré dignement. Et comme en témoigne ATD Quart Monde, membre du Collectif : “faire mémoire des personnes qui sont mortes dans la rue, rechercher et sauvegarder leur identité, leur vie est un travail quotidien”.

 

Anonyme et sans le moindre bruit

Pas d’annonce dans les journaux pour ceux que la mort sociale a déjà atteint. Les travailleurs sociaux, les compagnons de déboires peuvent apprendre des mois plus tard le décès de celui ou de celle qu’ils ont côtoyé. C’est une des premières actions du Collectif, d’associations(3), de prêtres : ils s’arrangent avec les communes pour être mis au courant et battre le rappel. Puis, rendre hommage. Par une présence, une cérémonie religieuse, une plaque pyrogravée placée sur la tombe de fortune, un recueillement, une bougie allumée un jour par an ou plus longtemps.

Depuis peu, l’hommage se fait solennel, comme à l’Hôtel de Ville de Bruxelles. Observateur d’un même mouvement à Paris, l’anthropologue Patrick Declerck juge sévèrement certaines cérémonies : “il sévit actuellement, en terre de France, une mode nouvelle, conviviale et charmante : celle de la mise en scène publique des larmes de crocodile que la République toute entière, par le truchement de quelques-uns de ses représentants attristés et pour l’occasion sobrement vêtus, verse régulièrement à la mémoire douloureuse de nos chers disparus de la rue”(4).

Certes, ils sont louables les efforts des communes pour offrir aux indigents une inhumation digne de ce nom. Mais, “les démarches pour améliorer les funérailles des défunts de la rue restent le souci d’une minorité d’hommes de terrain et des sans-abris eux-mêmes, constate Justine Moors dans son mémoire sur le sujet (4). (…) La prise de conscience des citoyens ‘insérés’ sur la dure réalité de ces morts, n’est pas encore d’actualité”. Si leurs parcours de vie sont décortiqués, si les possibilités de leur réinsertion sont soumises aux expertises, si leurs conditions de vie sont régulièrement médiatisées, le moment de leur mort et le devenir de leurs cendres, eux,  ne préoccupent fondamentalement pas grand monde.

François, ancien homme de la rue carolo, suggère : “Beaucoup de morts n’ont pas de famille. Je pense qu’il faudrait aller au cimetière, choisir une tombe de pauvre où il n’y a pas de nom et saluer le mort inconnu”.

 

(1) A regarder sur www.fredericpauwels.be/  - rubrique “presse”.

(2) “Un adieu digne pour tous. Les funérailles des personnes indigentes”, 2007. Document téléchargeable sur le site de la Fondation Roi Baudouin ● www.kbs-frb.be

(3) Citons l’Association pour l’inhumation et la crémation, qui à travers un réseau de bénévoles, assure une présence aux funérailles et dépose une fleur.

(4) Propos recueillis par Justine Moors dans son mémoire “Les sans-abri : de la mort sociale aux funérailles. Le retour vers la société des humains?”, année académique 2009-2010, ULG, Département des Arts et Sciences de la communication.

// Catherine Daloze

 


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