A suivre...
(5 août 2010)
Quand la caravane passe
Sans
passeport, sans frontières… L’Europe nous offre un vaste territoire à
découvrir. Le voyage est à nos portes. Mais notre hyper-mobilité a du mal à
accepter les nomades “de souche”...
Dour (Hainaut). Au cœur de l'été.
Les tentes occupées par de jeunes festivaliers fourbus de rythmes ont laissé
la place aux caravanes de familles du voyage en transit vers la Marne. Ceci
non sans émouvoir le propriétaire des prairies et les autorités communales,
sous les micros et caméras. Une rencontre de médiation plus tard, un accord
survient. Le séjour est permis pour quelques jours. Moyennant des
engagements dont celui, pour les pèlerins annuels, de ne pas renouveler leur
passage en 2011 et 2012. C'est dire qu'il n'est pas tout à fait inscrit
"bienvenue" pour eux à l'entrée des champs du Dour festival…
“Si l'on veut obtenir
un emplacement, on est souvent obligés de s'installer d'abord et d'attendre
la police ensuite. Il n'y a que comme cela que l'on parvient à négocier et à
trouver un arrangement…”, expliquait un témoin, en 2002, lors d'une
journée de réflexions consacrée à l'accueil des gens du voyage
(1). La tactique n'a donc rien de surprenant; elle est presque la
condition du succès. Car la démarche d’une demande préalable auprès du
bourgmestre signerait une fin de non-recevoir dans 80% des cas. Les
autorités locales ne sont pourtant pas sans incitants, outils à l'appui,
pour “organiser un accueil concerté des gens du voyage”. Un guide
pratique édité par la Région wallonne (2) balise le
terrain. Un Centre de médiation (3) peut venir en appui aux
acteurs locaux appelés à gérer le stationnement des caravaniers et ce qu'il
entraîne: accès à l'eau, à l'électricité, ramassage des déchets, relations
avec les riverains. Mais les terres d'accueil restent rares. Et les bonnes
volontés si réduites.
C'est qu'en matière
d'habitat, notre système juridique repose sur deux postulats: le logement en
dur et la vie sédentaire. Il est bien éloigné des aspects temporaires et
mobiles de la caravane. L'anormalité marque donc au fer rouge ces citoyens
nomades aux habitudes différentes de la majorité. Alors, quand la Loi entend
promouvoir le droit au logement des personnes vivant en caravane (pas
uniquement les Gens du voyage, d'ailleurs), elle propose des aides pour leur
permettre de quitter les lieux vers un appartement ou une maison plus
classique… En somme pour changer leur mode de vie, pour que leur voyage
s'arrête.
D'ailleurs, si le
nomadisme subsiste, “la plupart des Tsiganes se sont bel et bien
installés, les uns dans des conditions qui ne se distinguent guère des Gadjé
– ndlr: traduisez “les sédentaires, les non-Tsiganes” – les
autres à la marge, parfois à la limite du supportable”, remarque
l'ethnologue Alain Reyniers (UCL).
Paris. Au cœur du même été.
Les propos du Ministre de l'Intérieur et du Président de la République
française à propos des Gens du voyage font grand bruit. “Un festival des
clichés les plus éculés”, lance SOS Racisme en réaction outrée(4).
Pourtant, on aurait pu croire à une France davantage terre d'accueil que nos
contrées wallonnes: les mairies de plus de 5.000 habitants sont obligées de
viabiliser des sites pour les gens du voyage… Mais il semble qu'entre la Loi
et la réalité…
L'exclusion des Tsiganes
et voyageurs est multiséculaire, rappelle Alain Reyniers. On le sait, elle a
pris des accents effroyables à certaines époques, allant jusqu'à les
considérer comme “génétiquement criminels”. De longue date, “les
Européens furent de si grands massacreurs de nomades (…) qu'il n'en reste
presque plus ni dans leurs anciennes colonies, ni sur leur propre sol”,
affirme Jacques Attali parlant du nomadisme passé et à venir
(5). L’écrivain développeur d’utopie remarque – sans doute amer – que
l'Union européenne, “terre du mouvement organisé, de la libre circulation
des hommes et des marchandises, n'a pas inventé un statut destiné à
permettre à ses minorités nomades de maintenir leurs différences, tout en
participant à la vie commune”. Les Roms ou les Tsiganes n'ont pas été
reconnus comme les premiers citoyens européens dégagés de toute obédience
nationale.
Les Gens du voyage sont
confrontés à des préjugés tenaces. Les sentiments à l’égard des gens du
voyage sont marqués de contrastes et empreints d’imaginaire. Raison sans
doute du caractère passionnel des débats qui occupent, surtout pendant
l’été, les communes potentiellement accueillantes.
“Différents”, ils
sont “parfois désarçonnants mais authentiques”, disait ce médiateur de la
Ville de Namur. Et, pour le coup, leur mode de vie en fait rêver plus d'un.
Charmé par le manouche Django Reinhardt, hôte de Liberchies? Inspiré par
l'idée de vivre léger, moins encombré de propriétés? Fasciné par le style
roulotte, la vie en tribu et par la route comme le reflet d'un trajet
intérieur?…
Entraîné dans un
exercice de projection dans le futur, Jacques Attali nous prescrit une sorte
d’équilibre : vivre à la fois en sédentaire pour se construire et en nomade
pour s’inventer. “Alors que la mondialisation marchande s’est fondée sur
le pire du nomadisme (la précarité) et de la sédentarité (la fermeture), une
démocratie planétaire durable suppose de donner à chacun les moyens de vivre
l’enracinement comme une découverte et le voyage comme un répit, de se poser
en nomade et de se déplacer en sédentaire, d’errer même immobile, de méditer
même en bougeant”. Le défi est de taille.
// Catherine Daloze
(1) Voir L'observatoire, revue d'action sociale et
médico-sociale, n°38, juin 2003.
(2) “Guide pratique pour la gestion du séjour temporaire des
Gens du voyage en Wallonie”, 2009.
Voir cohesionsociale.wallonie.be
(3) Centre de médiation des gens du voyage en Wallonie –
081/24.18.14 – www.cmgv.be
(4) Dans le journal Le Monde, 29 juillet 2010.
(5) Jacques Attali, « L’homme nomade », éd. Fayard, 2003.
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