A suivre...
(20 mai 2010)
Le soleil, la plage… et après?
Faire le Maroc ou
découvrir le Maroc? S'offrir la Thaïlande ou la visiter
de l'intérieur? Et si le simple vocabulaire de nos projets de vacances
traduisait notre appréhension du monde et des habitants du Sud?
Rester cloué au sol à
Rome, Barcelone ou Ténériffe à cause des nuages de cendres d'un volcan
islandais un tantinet capricieux n'a rien de particulièrement amusant. Si
contrariante soit-elle, cette expérience a pourtant le mérite de nous
interroger sur la puissance incontrôlable des éléments naturels dans un
siècle qu'on nous annonce climatologiquement perturbé et, dans la foulée,
sur l'évolution du tourisme à l'ère de la mondialisation.
30.000 avions sillonnent
chaque jour l'espace aérien européen. De 10 millions de touristes annuels en
1950, le nombre de nuitées passées hors frontières a aujourd'hui grimpé à un
milliard et on nous en annonce 1,6 milliard dès 2020. Ces chiffres
illustrent l'évolution vertigineuse d'un secteur – le tourisme – qui occupe
dorénavant le premier poste du commerce international, allant jusqu'à
devancer la vente d’automobile et d’ hydrocarbures.
Etonnant? Pas
complètement, car de telles activités brassent à la fois le transport,
l'hôtellerie, la logistique, l'artisanat, la communication et tant d'autres
activités connexes. “A la fois l'un des moteurs les plus déterminants de
la mondialisation et son principal bénéficiaire, le tourisme accélère
considérablement les flux humains et financiers à la surface de la planète,
souligne Bernard Duterme, sociologue et directeur du Centre Tricontinental
(1) à Louvain-la-neuve. Mais avec ce paradoxe d'être le
reflet à la fois de la démocratisation et d'inégalités criantes”.
Grâce aux compagnies low
cost, 60% des gens du Nord peuvent prendre leurs vacances à l'étranger. Ce
privilège reste néanmoins inaccessible à plus de 80% des populations du Sud.
“Un septième de l'Humanité est aujourd'hui en position économique,
culturelle et politique de visiter les six autres septièmes”, observe le
chercheur, décrivant cet étrange carrefour qu'est devenue la planète, où
“migrations d'agrément et migrants de désagrément se croisent aux
frontières, béantes pour les uns et grillagées pour les autres…”
Comme l'ont fait les
tours opérateurs et les grandes institutions internationales (OCDE, Banque
mondiale, PNUD…) dans les années soixante, ne peut-on se réjouir de cet
afflux de devises et des créations d'emplois touristiques dans des régions
souvent dépourvues de ressources minières, agricoles ou industrielles? La
réponse de la Banque mondiale elle-même est sans appel: seuls 10 à 40 % du
chiffre d'affaires du secteur bénéficient réellement aux pays visités. Le
reste retourne au Nord. Mieux: parmi les dix Etats que le tourisme enrichit
le plus par tête d'habitant, on trouve six paradis fiscaux…
Les années 70 et 80 ont
livré une autre justification au tourisme intensif, le jugeant faiseur de
paix et accoucheur de démocraties. L'après Franquisme serait né de l'essor
des cités balnéaires le long des playas espagnoles. Soit… Cela ne dispense
pas de s'interroger sur l'orientation politique adoptée par des pays aussi
touristiques que le Maroc, la Tunisie et le Myanmar (Birmanie). Anecdote
piquante, rappelée par Bernard Duterme: au Guatemala, pays très visité où un
enfant sur deux souffre de malnutrition, une affichette omniprésente décrète
que “le tourisme bénéficie à tous”…
En réalité, la
déferlante touristique dans les pays du Sud se traduit souvent par des
dégâts sociaux et environnementaux peu visibles par les visiteurs du Nord.
L'infrastructure hôtelière et les activités informelles qui l'accompagnent
(souvenirs, artisanat, taxis…) détournent souvent les familles de travaux
agricoles pourvoyeurs de revenus assez réguliers. Exemple édifiant: l’île de
Djerba (Tunisie) était autosuffisante dans les années septante; elle ne
produit plus aujourd'hui que 10% de ses besoins alimentaires. Lorsqu'un
simple pourboire ou un trajet en taxi vaut le salaire mensuel moyen du
résident local, la voie est ouverte à l'inflation et à la désorganisation de
la société toute entière.
On peut également
s'interroger sur le sens des spectacles qui folklorisent les habitudes
locales, où les ethnies visitées "surjouent" leur propre culture devant des
touristes plus ou moins dupes de ces spectacles “authentiques”. “Chaque
année, 300.000 personnes viennent en Tanzanie pour visiter le Ngorongoro,
s'emporte Alex Renton (2) dans un article récent du
Guardian. Mais les Massaïs ont seulement le droit de vendre leurs perles et
de danser pour les touristes”. Qui s'intéresse à leur
sous-représentation politique?
Les ressources
naturelles sont également mises sous haute pression par le tourisme. Raymond
de Chavez, spécialiste des peuples indigènes en Asie, cite quantité
d'exemples (1) où la multiplication d'hôtels et d'auberges
soumettent les populations locales à des pressions considérables sur l'eau.
Le tableau n'est pas très différent au Maroc, où il faut environ 6.500
mètres cubes d'eau par jour pour arroser un parcours de golf. Au Yucatan
(Mexique), le touriste consomme quarante fois plus d'or bleu que le résident
local…
Il serait évidemment
disproportionné de faire porter de tels maux au seul tourisme. Le secteur
s'est d'ailleurs ressaisi face aux accusations de ces dix ou vingt dernières
années, créant des filières de tourisme “équitable”, “solidaire”,
“responsable”, “intégré”, etc. Beaucoup d'auteurs en appellent cependant à
la prudence, nombre de voyagistes ayant récupéré et détourné ces initiatives
bienvenues ou pratiquant un peu vite l'auto-labellisation. En outre, à force
de vouloir tous pratiquer un tourisme exotique hors des sentiers battus,
n'érigeons-nous pas la différence en nouvelle norme, repoussant toujours
plus loin les frontières du tourisme alternatif? 200.000 touristes se
pressent déjà annuellement en Antarctique…
La juste réponse réside
peut-être dans l'organisation d'activités touristiques où les populations
locales seraient réellement associées à l'agenda, à l'itinéraire et à
l'organisation des visites autant qu'au partage des bénéfices. Il existe de
petites structures spécialisées où l'on trouvera des éléments de réponse.
Qui, peut-être, nous feront renouer avec l'idée, somme toute incontournable,
que rien – ni le livre, ni la TV, ni le Net – ne remplace jamais le contact
humain et la rencontre directe lorsqu'on veut s'ouvrir au monde.
// Ph.Lamotte
(1) “Expansion du tourisme: gagnants et perdants”. Points de
vue du Sud, Cetri. Ed. Syllepse – 2006
www.cetri.be – 010/48 95 60.
(2) Repris dans le “Courrier international”, n°1006, février
2010.
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