A suivre...
(7 octobre 2010)
Les chercheurs d'or bleu
n'ont pas tous la peau noire
Choisir entre le chauffage ou la viande? Les chaussures ou le dentiste?...
Sans entrer dans un inventaire à la Prévert, pour certaines familles, ce
sont des choix cornéliens qui se posent face aux cordons d'une bourse trop
maigre. Le Service de lutte contre la pauvreté en ajoute un, moins connu:
entre l'achat d'un cartable et le règlement de la facture d'eau. L'eau?
Mais, l'élément naturel comme le soleil ou l'air, n'appartient-il pas à tout
le monde? N'est-il pas un bénéfice gratuit de notre condition de terrestres?
Loin de là.
Boire, cuisiner, se
laver, tirer la chasse des toilettes… l’eau habite notre quotidien. Avec la
discrétion des habitudes; toujours là sans qu'on ne salue sa présence.
Hormis lors des fuites ou quand la tuyauterie coule. En moyenne, 120 litres
par jour font leur office pour le Belge: 3 à 5 litres pour l'alimentation et
les boissons, 5 litres pour le nettoyage et idem pour le jardinage, 8 litres
pour la vaisselle, 16 pour la lessive, 39 pour l'hygiène corporelle et 43
pour la chasse d'eau. Au regard de la consommation d'autres nations, cela
semble raisonnable. Les 147 litres des Français, les 203 des Suédois, les
251 des Italiens et plus fort encore les 380 litres des Américains nous
feraient passer pour des consommateurs responsables. Vraiment? Au regard des
20 litres des habitants du continent africain, c'est de sur-consommateurs
que nous devrions être taxés. Dans nos maisons, le robinet ouvert déversera
son dû. La chasse évacuera ce qu'il faut. La machine à laver enlèvera les
taches. L'eau coule, s'écoule, traverse et nettoie nos peaux, nos plats, nos
loques. C'est devenu naturel! Quelques-uns parmi nous seulement en ont
pleinement conscience.
Coupures d’eau
En Belgique, le Service
de lutte contre la pauvreté, la précarité et l’exclusion sociale a
enregistré 1.712 coupures d'eau dans des ménages en 2009
(1). Des coupures motivées par des difficultés de paiement. “Les
factures d’eau sont en hausse depuis plusieurs années: d’environ 35% en
Wallonie et en Flandre dans la période 2006-2009 et de 5% à Bruxelles”,
observe le Service. “Le montant moyen de la facture pour 100 m3
s’élevait, en 2009, à 332 euros en Flandre, 338 euros en Wallonie et 204
euros à Bruxelles”. L'augmentation des prix serait justifiée par la
forte croissance des coûts d’assainissement pour le transport et l’épuration
de l’eau. Et, remarque le Service, “Il y a de grands écarts d’un
distributeur à l’autre (en fonction des coûts de production et de
fourniture) et d’une commune à l’autre (en fonction du montant de la
redevance communale d’assainissement)”.
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Laurent Caro/BELPRESS |
Un certain
nombre de ménages connaissent des problèmes de mises en demeure
(rappel et injonction à payer) (2), ou sont
contraints de souscrire à un plan de remboursement
(3).”Pour l’électricité et le gaz, on a prévu des obligations
de service public, de même qu’un statut de client protégé, qui donne
droit à un plafonnement des prix (tarif social) [ndlr: voir pages
8-9]. Il est urgent d’engager un débat sur l’instauration
d’obligations de service public pour l’eau”, insiste le Service.
En Belgique toujours,
certains n'ont pas accès à l'eau. C'est que les points publics d'eau potable
ne courent pas les rues. SDF ou habitants d’un logement sous-équipé ne
trouveront à se désaltérer qu'au prix de l'eau en bouteille. Soit 178 fois
plus chère que l'eau du robinet, selon les estimations du Service de lutte
contre la pauvreté. Battons en brèche les a priori et rappelons au passage
que l'eau du robinet est bonne pour la santé, -- dans l’écrasante majorité
des cas --, tout autant que ses alter ego embouteillées.
La question sociale du XXème siècle
Les observateurs de
l'environnement et les intervenants de la coopération avec le Sud nous l'ont
souvent rappelé: l'eau est une ressource précieuse et qui peut se faire
rare. Car, à l'échelle de la planète, l'approvisionnement en eau potable
prend des dimensions encore plus inquiétantes. Habitants des zones rurales
en Afrique subsaharienne ou en Asie du Sud, résidants des bidonvilles aux
quatre coins du globe en sont les principales victimes. Soit que des
kilomètres doivent être parcourus pour s'abreuver, soit que l'eau accessible
est putride. Le taux d'équipement progresse mais, à lire Philippe Rekacewicz,
géographe, journaliste pour le Monde diplomatique, “il manquerait 700 à
800 millions de personnes (selon les projections démographiques)
correctement approvisionnées en eau propre et équipées de toilettes dignes
de ce nom, pour atteindre les Objectifs du millénaire pour le développement
(ndlr: fixés par l'ONU et visant à éliminer la pauvreté en 2015). Ce chiffre
ne tient pas compte des quelque centaines de millions d’autres personnes que
le pari onusien a ‘sacrifié’ en ne les incluant pas dans le panel...”.
L'ONU le reconnaît elle-même: en matière d'assainissement de l'eau, “la
cible de 2015 semble hors de portée”.
De l'avis d'un précieux
militant pour le droit d’accès à l’eau, le politologue-économiste Riccardo
Petrella, la question de l'eau est LA question sociale du XXIème
siècle (4). “Elle ne relève pas de la gestion
économique d’une ressource naturelle limitée en voie de raréfaction, mais
d’une politique globale de la vie, d’une politique de société. La vie, la
société, peuvent se passer du pétrole (elles l’ont fait pendant des
millénaires, elles le feront au cours des prochains millénaires) mais pas de
l’eau”. Pas étonnant, dés lors, qu'à l'approche du 17 octobre, journée
de mobilisation pour lutter contre la pauvreté – sous nos latitudes aussi –,
la question de l'eau rejaillisse sur la scène publique. L'économiser, moins
la polluer, militer pour qu'elle soit un véritable bien commun… formeraient
l'écume d'un indispensable changement.
// Catherine Daloze
(1) Service de lutte contre la pauvreté, la précarité et
l'exclusion sociale, rue Royale 138, 1000 Bruxelles : 02/ 212.31.73,
www.luttepauvrete.be
(2) Chiffres de 2009: 175.518 en Flandre (7,69% du total
des raccordements), 231.101 en Wallonie (15,95%) et 37.320 à Bruxelles
(13,99%).
(3) Chiffres de 2009 pour Bruxelles et Wallonie, de 2008
pour la Flandre: 32.898 (1,44%) en Flandre, 58.303 en Wallonie (4,02%) et
13.725 à Bruxelles (5,14%).
(4) Ricardo Petrella “Le Manifeste de l’eau pour le XXIème
siècle. Pour un pacte social de l’eau”, éd. Fides, coll. Les grandes
conférences, 2009.
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