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Les chantiers d’une économie juste

“Economie juste”. L'association des deux mots est séduisante; elle qualifie l'essentiel des travaux de l'économiste François Maniquet. Ce dernier vient d'être gratifié par le prestigieux jury du Prix Francqui (1). Une récompense pour ses talents de scientifique, qui est aussi l'occasion de découvrir ses recherches et les enjeux qui les animent. A l'heure où l'économique s'est mué en préoccupation majeure pour le commun des mortels…, voici quelques considérations d'expert glissées à nos oreilles de néophyte.

Avec les recherches de François Maniquet, on entre dans le champ de la justice économique. Parce qu'”il y a des manques de justice flagrants, observe-t-il. Laisser des gens vivre dans l'extrême pauvreté, c'est injustifiable. L'injustice est manifeste; or les solutions ne sont pas évidentes. Cela fait des dizaines d'années que l'on se bat contre l'extrême pauvreté. Le constat est évident: il y a moyen de faire mieux en matière de justice sociale, et il y a matière à réfléchir, ce n'est pas simple”. Voilà ce qui mobilise l'économiste belge: la combinaison entre des perspectives d'amélioration et une vraie gageure pour l'esprit.

 

Une question d’équité

L'économie serait juste – ou plus juste -, estime le chercheur, si l'on égalisait les ressources dont dispose chaque citoyen pour réaliser ce qui lui semble être une existence réussie. Mais force est de constater que les ressources se distribuent d’une manière inégalitaire, dès la naissance. Et, quand il parle de ressources, François Maniquet ne se limite pas à l'aspect financier. Comme il le précise, les ressources sont “multidimensionnelles”. Il s'agit tant de legs monétaires ou immobiliers, que de la santé, de la région où l'on réside, du statut social de nos parents… “Tout égaliser est par nature impossible, remarque-t-il. Certaines ressources sont intransférables. Or, rien ne justifie qu'une personne porte sur elle les conséquences de la faiblesse de moyens dont elle dispose au départ”. Pour tenter de contrebalancer les inégalités et aller vers plus de justice sociale, l'économiste préconise de jouer sur les dimensions transférables: transferts financiers, financement de l'éducation et des soins de santé…

 

Une histoire de gain et de perte

Mais il le sait: s'intéresser à l'économie de la justice, c'est redistribuer. Il y en a donc qui vont gagner et d'autres qui vont perdre. La question centrale est alors “de savoir à partir de quand, aux yeux de la société, le gain pour un groupe de personnes a plus de valeur que la perte pour un autre groupe”. Si certains économistes estiment que ce n'est pas leur mission d'en juger, c'est bien leur rôle, rappelle François Maniquet que d'éclairer les mécanismes économiques à l'œuvre. Un exemple? La politique d'allocations familiales. “Un système d'allocations familiales consiste à prélever du revenu des familles sans enfants pour le redistribuer aux familles avec enfants. L'effet redistributif sera complètement différent dans une société où les familles nombreuses sont surtout des familles pauvres et dans une société où ce sont les familles riches qui ont le plus d'enfants. A la limite, un (mauvais) système d'allocations familiales peut augmenter les inégalités, alors que l'objectif était tout autre”. Mais attention, "l'économiste éclaire sur les choix, il ne les pose pas”, précise François Maniquet, qui insiste sur le respect des choix des citoyens, des politiques… Son métier est d'attirer l'attention sur les incohérences qui existent parfois entre les objectifs poursuivis et les réalisations; voire entre plusieurs objectifs eux-mêmes que l'on voudrait mener de front mais qui seraient incompatibles.

 

En dehors des choix moraux

Les critiques portées à l’économie de marché se multiplient. Certains évoquent la nécessité de changer fondamentalement le système, notamment en parlant de décroissance. De l’avis de François Maniquet, quand les avocats de la décroissance militent pour modifier les préférences de citoyens, ils se positionnent dans un débat relatif à la morale personnelle. Et ce débat est tout à fait distinct de la question de la justice sociale : celle de savoir quelles sont les institutions qui sont le plus à même de garantir aux gens les ressources dont ils vont pouvoir disposer pour mener la vie qu'ils estiment être une bonne vie. “Se poser la question des institutions sociales qui vont mener à une économie juste, c'est commencer par se dire: ‘laissons les gens responsables et libres de définir ce qui est bon pour eux’”, avance le professeur Maniquet. Sans négliger bien entendu, le respect minimal des règles de vie dans la société et le fait que l'on n'a pas le droit de “polluer” – au sens large du terme – les autres. “Mais s'il y en a qui veulent manger bio, et d'autres qui ne sont pas dérangés par des aliments produits à grande échelle, c'est leur affaire. Ce n'est pas le rôle des institutions sociales de dire qu'il y a une manière de consommer qui est la bonne. Il y a lieu de reconnaître que les gens répondent différemment aux questions individuelles de moralité et que tout le monde a le même droit de vivre en société selon ce qu'il estime être une bonne vie”. D’autant que, sous la casquette d’économiste, le chercheur se basera sur des faits – les choix des individus – davantage que sur des intentions.

Au sein des discours sur la décroissance, le chercheur pointe l’aspect de la justice inter-générationnelle, l’enjeu de la répartition d'une ressource rare et non renouvelable entre les générations. “C'est une question sur laquelle il ne faut pas laisser faire les marchés, peu préoccupés de demain”, affirme-t-il. “En théorie, la question semble facile à résoudre. L'équation de base de la justice entre les générations serait d'échanger des choses de même valeur. Par exemple, du pétrole consommé aujourd’hui et épuisé demain, contre des ressources nouvelles non disponibles aujourd’hui mais accessibles demain. Cette équation est théoriquement possible au regard des avancées de la connaissance. Mais la difficulté se trouve davantage dans la mise en pratique. A partir de quand estime-t-on que la connaissance créée recèle la même valeur que les biens consommés? C'est extrêmement complexe à déterminer, remarque l’économiste. Cela exige de trouver la bonne manière d'évaluer les ressources que l'on consomme à perte aujourd'hui, et d'évaluer les ressources que l'on crée.”

Voilà encore matière à recherche pour le lauréat 2010 du Prix Francqui, bien conscient que la question de nos attitudes – envers les générations futures notamment - va au-delà de l'économie.

// Catherine Daloze

 

(1) Le Prix Francqui – du nom du diplomate belge Emile Francqui (1863-1935) - est attribué chaque année à un Belge, successivement dans le domaine des Sciences exactes, humaines, biologiques et médicales.

 


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