A suivre...
(3 juin 2010)
►
Lire aussi :
Rencontres avec des anonymes
A la recherche du temps couru
“Jamais dans l'histoire, nous n'avons disposé d'autant de temps, car nous
venons, en un siècle, de presque doubler notre durée de vie et diminuer de
moitié notre temps au travail”. Le constat de l'essayiste français
Jean-Louis Servan-Schreiber(1) a de quoi secouer. Il
interroge nos doléances à propos de ce temps que nous n'avons pas, qui nous
manque, qui file à toute allure.
Avec l'été, se profilent
nos souhaits de lever le pied, de profiter du farniente. Nous rêvons
d'assouplir nos horaires, de reléguer le réveil au placard, de nous libérer
des contraintes de l'agenda, de jouir du temps qui passe. Dans un mois, nous
nous imaginons flâner. Et, présageant de notre capacité à nous libérer de
certaines addictions, nous nous projetons en vacances sans montre au
poignet, sans gsm à l'oreille, sans plan d'actions au programme. La
délivrance ne pourra être que temporaire. Nos modes de vie sont loin d'être
organisés de la sorte. L'époque contemporaine respire l'affolement
permanent. La vitesse est devenue la norme. L'urgence est invoquée à tout
bout de champ et semble faire contagion.
Cette accélération, nous
l'avons construite, et nous poursuivons la tâche. Nous perfectionnons nos
modes de transport pour qu'ils nous assurent des trajets de moins en moins
longs. A l'absurde parfois… Les pointes de vitesse de nos automobiles ne
servent pas à grand-chose au regard des limitations en vigueur sur nos
routes. Nous adaptons nos modes de communication pour nous trouver au plus
proche de l'instantané. Le nez sur le vécu à l'autre bout de la planète. Au
point de vibrer à l'unisson sur des nouvelles qu'en d'autres temps, nous
n'aurions jamais connues.
Les
yeux rivés sur l’immédiat
Et nous voilà atteints
de “court-termisme”, comme le regrette Jean-Louis Servan-Shreiber. “La
recherche désormais instinctive du chemin le plus court, la primauté de
l'urgence sur l'importance, la pression des résultats sont toutes filles de
la vitesse, écrit-il. Ensemble, elles ont engendré une situation de
court-termisme généralisé dont nous ne sommes même plus toujours conscients”.
C'est l'immédiat qui prend le dessus. Le long terme est relégué à plus
tard…, à jamais. D'urgence en urgence, nous perdons le sens. Nous faisons
face également à un volume croissant de découvertes, de données à intégrer
mentalement. Les pensées pratiques prennent le pas sur la réflexion
abstraite. Et l’essayiste de décliner l'attitude dans différents domaines:
“les politiciens ont les yeux rivés sur la prochaine échéance électorale
ou le sondage de la semaine, les patrons de sociétés cotées (ndlr: en
bourse) sur leurs résultats trimestriels, les boursiers sur les statistiques
économiques de la journée, les managers sur le compte-rendu mensuel réclamé
par le siège social. Nous sommes trop occupés par l'immédiat pour prendre le
temps de nous projeter loin devant en pensée. Notre horizon temporel s'est
rapproché.”
L’angoisse du coup d’œil sur l’avenir
Avoir du mal à se
projeter dans l'avenir, être insouciant dans le présent sont des avatars de
l'enfance. Quelle n’est pas notre nostalgie, parfois, pour ces épisodes plus
confortables? Mais, il faudra nous y résoudre: grandir, mûrir, c'est
différer ses désirs, c'est savoir attendre, malgré le flot croissant
d'objets de consommation à jouissance immédiate qui ne nous soutient pas
dans cette voie. Savoir anticiper l'avenir – non le deviner, mais le
construire sur la durée –, semble être un atout majeur, un gage contre le
vacillement.
Avec une acuité
grandissante, les questions environnementales nous contraignent à penser
autrement. A envisager le “durable”, d'après le lexique adapté. Les prises
de conscience se multiplient et, avec elles, les actions soucieuses de
préserver la planète, d'envisager le long terme. D'aucuns prôneront le slow,
le décroissant… “L’heure du changement de logique semble venue, où le
“toujours plus”, effréné et insensé, laisse place à la sobriété heureuse,
consciente et responsable”, écrit le penseur Pierre Rabhi
(2). Mais il ne faudrait pas le nier: la tension de
l'action, l'adrénaline de l'urgence nous plaisent aussi. Et face à un avenir
plus qu'incertain, nous préférons nous tenir éloignés des angoisses
relatives au futur.
|
©
Philippe Poulet/Belpress |
Pourtant,
conclut le scrutateur du temps Jean-Louis Servan-Schreiber,
“chacun doit pouvoir remettre un peu plus de long terme dans la
pratique de sa vie”. Le défi est de taille. Et comme le rappelle
la rédaction de l’Appel (3): la période des
vacances peut être un bon moment pour commencer à lever le pied.
Quelques idées pour
amorcer le mouvement: ne pas s'affoler lorsqu'un message reste sans réponse
quelques heures, voire quelques jours; aller faire ses courses à pieds, et
préférer le marché; s'asseoir un moment dans ces lieux que l'on traverse
habituellement, éteindre les écrans… En somme, nous déparasiter de temps en
temps pour approcher notre long cours.
// Catherine Daloze
(1) Jean-Louis Servan-Schreiber, “Trop vite! Pourquoi
nous sommes prisonniers du court terme?”, éd. Albin Michel, 2010.
(2) Auteur entre autres de “La part du colibri. L’espèce
humaine face à son devenir”, éd. De l’Aube, 2006.
(3) “Magazine chrétien de l'événement”, juin 2010, n°328
– http://magazine-appel.be/
|