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Tourisme (2 juillet 2009)

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Voyager à en perdre la raison

Le voyage rend-il fou? Heureusement non! Quoique... Il arrive que certains touristes perdent la tête lors de leur périple. Le phénomène est connu des médecins, principalement des psychiatres. Ses diverses manifestations, parfois étranges, sont rassemblées sous le terme général du syndrome du voyageur...

© REPORTERS

 

 

 

 

On voyage pour s’éprouver,

ressentir des sensations nouvelles,

briser la glace de notre quotidien.

En Inde, le dépaysement est absolu.

 

Le voyage forme et transforme. Lorsque l’on est dans un autre pays, un contexte différent, hors du train-train quotidien, on prend en général un peu plus le temps d’être en relation avec soi. On se rend aussi plus réceptif aux autres et aux choses qui nous entourent. En voyage, la lumière, les sons, les odeurs, l’ambiance nous touchent de manière diverse, avec plus ou moins de force. Quel qu’il soit et où qu’il soit, le voyage est une expérience. «On croit que l’on va faire un voyage mais bientôt, c’est le voyage qui vous fait ou vous défait», dit Nicolas Bouvier(1). Certains voyageurs se “défont” un peu plus que d’autres à la vue d’une merveille artistique, au contact d’un lieu empli d’histoire et de religion ou parce qu’ils découvrent une contrée culturellement fort éloignée de la leur.

 

Le syndrome de Stendhal

Léonard de Vinci, Botticelli, Michel-Ange... De la Galerie des Offices à la Galerie des Académies, Florence regorge d’œuvres d’art majeures. Plusieurs fois par an, les gardiens de musée de la ville sont confrontés à des visiteurs qui tombent littéralement en extase devant l’une des œuvres. Cela prend des formes diverses et étonnantes pour les non avertis: une accélération du rythme cardiaque, des vertiges, des suffocations voire des hallucinations, une perte du sentiment d’identité et du sens de l’orientation, de violentes douleurs à la poitrine. Certains s’évanouissent, d’autres seraient même pris d’une crise d’hystérie allant jusqu’à la volonté de destruction de l’œuvre d’art.

Ces touristes aux comportements étranges, choqués émotionnellement et pris de confusion ont intrigué la psychiatre Graziella Magherini de l’hôpital Santa Maria Nuova de Florence. Elle s’est lancée dans une étude de 106 cas et a décrit, en 1989, un syndrome surprenant lié au voyage dans les villes d’art. Elle lui donne le nom de “syndrome de Stendhal” en référence à l’expérience de l’auteur contée dans son carnet de voyage “Rome, Naples, Florence”: «J’étais dans une sorte d’extase, par l’idée d’être à Florence, et le voisinage des grands hommes dont je venais de voir les tombeaux. Absorbé dans la contemplation de la beauté sublime, je la voyais de près, je la touchais pour ainsi dire. J’étais arrivé à ce point d’émotion où se rencontrent les sensations célestes données par les Beaux -Arts et les sentiments passionnés. En sortant de Santa Croce, j’avais un battement de cœur, la vie était épuisée chez moi, je marchais avec la crainte de tomber.»

Ce syndrome toucherait plutôt des personnes impressionnables, voyageant seules et très sensibles à l’art religieux. Le stress du voyage, le rythme infernal des visites et la rencontre exceptionnelle avec une ville surchargée par des œuvres de géants de la Renaissance ne seraient pas sans influence.

 

Le syndrome de Jérusalem

Le syndrome de Jérusalem est du même ordre que celui de Stendhal. Il ne se rapporte néanmoins pas aux œuvres d’art mais bien au sens religieux révélé lors de pèlerinages dans la ville sainte. Peut-être parce que Jérusalem est une ville qui combine le sens du sacré et de l’histoire. Elle exerce une attraction particulière pour les croyants Juifs, Chrétiens et Musulmans. Une chose est sûre, les psychiatres de Jérusalem sont confrontés à un nombre croissant de touristes qui souffrent de “décompensation psychotique”. Le voyageur ressent tout d’abord une inquiétude et une agitation particulière. Il s’isole ensuite du groupe – le syndrome de Jérusalem semble toucher plutôt le touriste en voyage organisé en groupe. Les jours suivants, il ressent le besoin impérieux de se purifier. Il se lave à outrance, développe des troubles obsessionnels compulsifs.

Les jours passent et c’est tout un engrenage qui peut s’enclencher jusqu’à l’extrême. Notre touriste change d’habillement: il s’enveloppe dans les draps blancs de l’hôtel, marche avec des sandales. Il crie, hurle, chante des psaumes à haute voix. Il processionne dans les lieux saints et enfin se lance dans des sermons en haranguant les foules...

Les personnes victimes de ce genre d’épisode se rétablissent spontanément assez vite. Une fois éloignés de la ville et de retour dans leur pays, dans leur environnement familier, les voyageurs retrouvent un comportement normal.

Il en va de même pour les personnes atteintes du syndrome de Stendhal. «Ces personnes n’ont pas de troubles psychiatriques graves. Leurs troubles sont ponctuels, liés à quelque chose d’exceptionnel dans leur vie, à une émotion intense», précise le Dr Gillain, psychiatre, chef de service à la Clinique Saint-Pierre à Ottignies (2).

 

Le syndrome de l’Inde

L’Inde est également le terrain de “perte de raison”. «L’Inde provoque chez les Occidentaux une émotion si intense qu’elle peut faire basculer certains voyageurs dans un délire qui régresse spontanément au retour dans le pays d’origine», explique le psychiatre Régis Airault. Il a fait ce constat alors qu’il travaillait comme médecin psychiatre au consulat de France à Bombay et, par la suite, lorsqu’il s’occupait de rapatriements sanitaires pour des compagnies d’assurances. Son expérience l’a amené à se pencher sur le syndrome indien et à y consacrer un ouvrage, “Fou de l’Inde, délires d’occidentaux et sentiments océaniques”(3), devenu une référence.

Il n’est pas rare que, dès son arrivée à l’aéroport, le touriste ressente une angoisse profonde qui ne cesse de s’amplifier au fil des jours. «Lorsqu’on arrive en Inde, le choc culturel est plus fort qu’ailleurs, explique Régis Airault et parfois les personnes restent bloquées, n’arrivent pas à aller plus loin. La foule, la multitude, l’omniprésence de la mort, le regard des Indiens, cette altérité radicale fait que certaines personnes ont envie de repartir tout de suite. La réalité dépasse souvent ce qu’elles ont imaginé et peut être à l’origine de toute une série de symptômes: angoisse, attaque de panique, sidération, effondrement dépressif, etc.»

Après plusieurs mois de voyage en Russie, en Chine et au Pakistan, Julien a “complètement peté les plombs” une fois arrivé en Inde. Dans un film consacré au syndrome de l’Inde(4), il raconte en détail son expérience pour le moins mystique... «Après quelques semaines de voyage dans ce pays, un soir, j’ai commencé à pleurer sans pouvoir m’arrêter puis j’ai été pris de tremblements. Ensuite, j’ai eu l’impression que m’était donnée la réponse à la raison de l’existence de l’humanité, du cosmos. Le phénomène a continué... les planètes, le système solaire, la galaxie, tout l’univers rentraient en moi, je me fondais avec Dieu. J’ai ressenti alors des pulsations que j’appellerai cosmiques. (...) Après je suis parti dans un délire paranoïa où j’étais persuadé d’avoir été identifié à Dieu pour sauver l’humanité. Mon incapacité à la sauver effectivement m’a entraîné dans une nouvelle chute. J’ai erré dans le pays, n’ai presque pas dormi pendant trois semaines, j’avais jeté tous mes dollars, seul un instinct de survie m’avait empêché de faire de même avec mon passeport. Un ami m’a retrouvé et m’a ramené en France auprès de mes parents. Ce délire mystique est la plus belle expérience qui me soit jamais arrivée car, désormais, je n’ai plus peur de la mort». Julien n’avait pris aucune drogue. Il ne souffrait d’aucun antécédent psychiatrique et, même si il lui a fallu un petit temps pour s’en remettre, il vit maintenant une vie normale en France.

Cette dépersonnalisation et ces accès de bouffées délirantes aigües, le plus souvent mystiques, touchent principalement les adolescents et les jeunes adultes venus se confronter à l’Inde. «Beaucoup d’Européens partent en Inde à la recherche du dépaysement absolu. On peut s’abandonner ainsi plusieurs mois sur les routes de l’Inde et vivre une sorte de rêve, d’utopie, voire une libération aux modes de pensée occidentale. Cette impression de liberté soudaine, c’est le sentiment océanique que Freud a décrit comme quelque chose d’illimité, d’infini, un sentiment d’union indissoluble avec le Grand Tout et d’appartenance à l’Universel. L’Inde semble être la terre promise de cette quête exaltante», commente-t-on dans le film consacré au syndrome de l’Inde (4). Très curieusement, une fois rentrés, les voyageurs gardent un très bon souvenir de leur séjour en Inde et n’ont plus qu’une envie: y retourner!

 

Le retour sur terre

Pour les victimes de ces différents syndromes du voyageur, le retour au pays est généralement salutaire et synonyme de “guérison”, de retour à la normalité.

Et pour ceux qui sont restés sains de corps et d’esprit durant leur périple?... Si le voyage s’est bien passé, l’atterrissage reste parfois douloureux. Une fois revenus chez eux, certains voyageurs connaissent bien plus qu’un abattement et font une véritable dépression, vaincus par l’anxiété de se retrouver à la maison parfois seuls. «Si les amoureux de vacances fondent en larmes lorsque l’avion se pose, ces états anxieux sont aussi bien connus de la médecine aéroportuaire, qui a parfois affaire à des individus incapables de quitter leur siège une fois l’avion posé», relate Jean-Didier Urbain (5). L’auteur nous décrit la déception du voyageur qui s’aperçoit à son retour que rien n’a changé en son absence. «Vous pensiez pourtant être parti assez loin et assez longtemps pour que ce monde se transforme, au moins un peu et vous voilà rattrapé par une réalité connue, si présente, si stable si forte que tout se passe comme si de rien n’était.» Et si c’était vous que le voyage avait transformé?

Françoise Robert

 

(1) Nicolas Bouvier in L’Usage du monde, éd Payot, 1992.

(2) Intervention lors d’une conférence sur le syndrome du voyageur organisée en juin dernier à Genval par le Centre de vaccination internationale de la Clinique Saint-Pierre d’Ottignies - Louvain-la-Neuve.

(3) Régis Airault, Fou de l’Inde, éd. Petite bibliothèque Payot n°437, 2002.

(4) Le syndrome des Indes. Sur la route du Soi, un documentaire de Philippe Vitaller visible sur Internet sur www.dailymotion.com (en 4 parties) en tapant “syndrome indien” en Recherche.

(5) Le voyage était presque parfait. Essai sur les voyages ratés, éd. Payot, 2008

 


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