Seniors
(2 juin 2011)
>> Lire également :
Voter, un acte qui a du sens
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Les oubliés de l’isoloir
Voter?
Oui, mais pas tout le monde. Les résidents des maisons de repos sont les
grands perdants des rendez-vous électoraux. Par facilité ou par désintérêt,
le “système” les oublie ou va jusqu'à influencer lourdement leur vote. Tous
les pensionnaires des homes ne sont pourtant pas atteints de démence ni de
confusion! Et si le temps des alternatives était venu?
“Ne
pas voter? Vous n’y pensez pas!”
Coquet, intarissable et véritable pile électrique dans sa petite chambre de
la maison de repos de Couquemont, à Dison, Roger Hennemont évoque avec verve
sa participation, avec son père, aux grandes grèves des années trente à
Verviers. A chaque scrutin, communal ou autre, ce rescapé du camp de
concentration de Dachau, âgé aujourd’hui de 88 ans, s’efforce de convaincre
les autres résidents de cette institution du CPAS de remplir leur bulletin
électoral. “Il faut choisir nos hommes et nos femmes politiques et se
rappeler régulièrement à leur souvenir. Si on leur laissait une totale carte
blanche, ils feraient encore pire…!”
Combien sont-ils, comme
cet octogénaire plein d’humour, à se mobiliser, dans les maisons de repos
(MR) et les maisons de repos et de soins (MRS), pour aller voter? Peu, très
peu… Les coups de sonde informels dans le secteur convergent: 10% des
résidents, tout au plus. C’est que, dans beaucoup d’institutions
d’hébergement, la règle du certificat médical généralisé est en vigueur : le
médecin traitant ou coordinateur, attaché à l’infrastructure, délivre très
facilement – voire systématiquement – un certificat à chaque pensionnaire.
Ce qui permet à l’équipe soignante, souvent réduite le dimanche, jour
d'élections, de ne pas s’épuiser à véhiculer les personnes âgées – la
plupart à mobilité (très) réduite – vers le bureau de vote. “Beaucoup
d’institutions ne disposent pas d’un véhicule adapté aux fauteuils roulants,
résume avec pragmatisme cette directrice d’une MR brabançonne. Et puis,
imaginez les difficultés d'accès au bureau de vote, les complications liées
au vote électronique, les files d’attente, l'impatience des assesseurs….
Personnellement, je m’en remets aux familles: c’est à elles d’organiser la
participation de leur parent aux élections”.
Se couper
en deux
Logique. Les maisons de
repos ne peuvent pas tout faire. Sauf que les familles doivent elles aussi
voter, le jour J. Et que le temps manque souvent pour se préoccuper de
l’aïeul, pas nécessairement domicilié dans la commune où il est hébergé.
“Aller chercher Mémé pour la faire voter après soi-même, un dimanche, c’est
dur…”, déplore un fin connaisseur du grand âge. Il faut dire que, même
si certains seniors se sont battus pendant leur jeunesse pour le droit de
vote (notamment celui des femmes, acquis seulement, pour le Parlement, en
1948…), les résidents eux-mêmes sont parfois peu enthousiastes face au
vote: fatigue (“Je suis trop vieux “), lassitude (“Ce n’est plus pour moi”),
désintérêt pour un monde politique difficile à comprendre (“A quoi bon?”).
Le tout dans un contexte d'engouement électoral frileux. “C’est ancré
dans la tête des gens, regrette cette infirmière namuroise. Quand on entre
en maison de repos, on se place automatiquement en retrait de la vie sociale
et politique. On désinvestit la vie. Donc, on ne vote plus (si on le faisait
avant…)!”
L'exigence démographique
N'est-il pas temps,
alors que la durée de vie de la population ne cesse de s’allonger, de
secouer ce fatalisme ambiant? En Belgique, quelque 129.000 personnes
occupent les lits de MR et MRS. Si l’entrée en institution est sans cesse
retardée (actuellement 85 ans), le temps de séjour moyen y est tout de même
de trois ans et demi: soit facilement le temps d’un à deux scrutins, qu’ils
soient communaux, fédéraux ou régionaux. Certes, un résident sur trois, au
moins, souffre de graves désorientations et/ou d’un manque de discernement
compromettant toute démarche sensée de choix de mandataires. S'y ajoutent
les indifférents viscéraux. Mais il reste tous les autres! “Dans les MR
et MRS, il n'est plus rare de croiser des nonagénaires en bonne santé
physique et mentale et sans dépendance vraiment invalidante”, constate
un collectif d’auteurs de l’UCP, mouvements social des aînés, dans l’ouvrage
“Envie de vivre”(1).
En juin 2004, Christian
Brotcorne, député CDH, s’était inquiété auprès du Ministre de l’Intérieur de
ce que des convocations électorales n’arrivaient même pas à leurs
destinataires, dans les homes, alors que ceux-ci étaient parfaitement en
état de voter. Dans d’autres établissements, des résidents tout aussi aptes
n’étaient même pas interrogés sur leur intention - ou non - de voter : à
leur insu, ils “bénéficiaient” du certificat médical accordé d'office!
Regrettant, par ailleurs, que la publicité électorale ne pénètre que
rarement l’enceinte des maisons de repos, le député humaniste avait réclamé
– en vain – une directive ministérielle enjoignant les directions des MR et
MRS à corriger ce “déni démocratique”.
Bientôt
Mai 68…
Sept ans plus tard, rien
ne semble avoir vraiment changé. Les résidents des troisième et quatrième
âges semblent cantonnés à leur statut de citoyens électeurs de seconde zone.
“Les certificats trop rapidement délivrés, ce n’est rien d’autre qu’une
forme de paternalisme inacceptable, déplore Caroline Guffens, directrice
de Saint-Joseph, à Suarlée. On dit à la personne âgée: ‘on peut
penser à ta place’, alors que voter est un droit fondamental”. Chez
Respect Senior, une association de sensibilisation aux problèmes rencontrés
par les personnes âgées, on n’hésite pas à parler de “maltraitance civique”,
au même titre que le non-respect du droit à disposer de son argent ou à
choisir son lieu d’hébergement. “La situation ne peut qu’évoluer,
pronostique de son côté Marie-Pierre Delcour, directrice d’Infor Home
Bruxelles. Les acteurs de Mai 68 vont petit à petit entrer en MR… On ne
pourra plus éternellement invoquer les problèmes d’organisation pratique ou
les difficultés cognitives pour s'en désintéresser”.
Le constat est d’autant
plus interpellant qu’en marge d’un “système” indifférent ou
déresponsabilisant, des pratiques électoralistes pas toujours très
glorieuses se déroulent dans l'arrière-cour du secteur. “En période
pré-électorale, les agendas des hommes politiques s’allègent
mystérieusement, raille une directrice de MR de la Basse Sambre. Ils
trouvent soudain du temps pour rendre visite à nos résidents”. Que la
campagne électorale déborde sur le secteur de l’hébergement des seniors,
c’est de bonne guerre. Et même sain! Mais comment? Via des discussions
animées par une personne indépendante et bienveillante? Ou via un climat de
flatteries et de petites pressions plus ou moins amicales: “Vous voterez
pour moi, n’est-ce pas…?” ou “j’ai des amis qui viendront vous
chercher pour aller au bureau de vote”. “Pour un peu, certains
n’hésiteraient pas à entrer dans les chambres des résidents, s’indigne
une directrice de MR de la région verviétoise. Pas une seule concierge,
dans un immeuble à appartements, n'autoriserait cela!” Et de s’inquiéter
des pratiques rencontrées dans certaines maisons de repos publiques, où les
directions ont bien du mal à maintenir les portes fermées face aux candidats
politiques intrusifs. Situation particulièrement délicate: les campagnes
électorales les plus disputées. Là, soudain, chaque voix compte plus
qu'avant…
Le
“routage” électoral
Au prix d’une énorme
dose de bonne volonté ou de bénévolat, des maisons de repos veillent à
véhiculer leurs résidents, s'ils le souhaitent, vers le bureau de vote. Mais
que penser des transports organisés par les candidats eux-mêmes – ou leurs
sympathisants – parfois jusque dans l’isoloir (ce que la loi permet)?
“Personnellement, je ne leur demande pas pour qui elles votent”,
commente un bourgmestre wallon la main sur le cœur. Soit... “Ne soyons
pas naïf, rétorque Jean-Benoît Pilet, professeur de sciences politiques à
l’ULB. Il y a, dans ce système, l’espoir d’un ‘retour sur investissement’…”
En 2002, la loi a changé : alors qu’on pouvait auparavant disposer d'une
procuration pour son parent malade jusqu’au troisième degré, le lien
familial avec la personne empêchée, aujourd'hui, n'est plus nécessaire. Le
résultat? “Magouiller est devenu plus facile”, reconnaît ce
bourgmestre d’une grande ville. Il suffit de disposer d’une armée de
sympathisants. Qui peuvent alors “endosser” les procurations signées en
blanc par les résidents. Dans cette maison de repos bruxelloise, on cite le
cas de ce médecin coordinateur qu’il a fallu licencier car il figurait
lui-même sur une liste électorale et était soupçonné d’accorder trop
facilement des certificats médicaux aux pensionnaires affichant une
sympathie pour un parti différent du sien…
Dans la partie
francophone du pays, Thimister est l’une des rares communes à avoir pris le
taureau par les cornes. Comment? En déplaçant carrément le bureau de vote à
l’intérieur même de la maison de repos locale. Résultat: un quadruplement
des votants, dont plusieurs nonagénaires. “En plus, la convivialité en
est ressortie gagnante, explique Patricia Moxhet, la directrice: des
pensionnaires profitent de cette occasion pour inviter des gens du village,
anciens ou familles. L'entrée en MR en est ressortie grandement
dédramatisée”. A Watermael Boitsfort (Bruxelles), l'une des MR abrite un
bureau de vote depuis vingt-deux ans: à chaque scrutin, environ 40
pensionnaires (sur 133) choisissent de voter, aidés – il est vrai – par de
nombreux bénévoles. Dans d’autres homes, le personnel tente vaillamment,
mais avec les moyens du bord, de convaincre les résidents – ou leurs proches
(via la procuration) – de voter. “D’office, je pars du point de vue que
chaque résident va voter, explique l’assistante sociale de Saint Joseph,
à Suarlée (Namur). Ce n’est que petit à petit, au fil des discussions
avec eux, la famille et le médecin que la liste se rétrécit”. Prix à
payer, à chaque scrutin: deux jours entiers de boulot!
D’autres maisons
innovent à leur manière. A Mariemont (Morlanwez), les élections fédérales de
2010 ont servi de tremplin à l’élection du conseil des résidents, interne à
la MR: une autre façon d'enclencher la dynamique participative. Dans
plusieurs communes bruxelloises (Ixelles, Etterbeek…), les résidents sont
sensibilisés au vote électronique. On n’en est pas encore, comme en Suède ou
au Canada, à organiser des bureaux de vote mobile, ciblant les groupes les
plus faibles de la société ou à mobilité défaillante. Mais - qui sait ? –
cela pourrait bouger bientôt(1).
// Philippe Lamotte
(1) Le vote des personnes âgées en maisons de repos sera le
thème la campagne de l'UCP, mouvement social des ainés, lors des élections
communales de 2012.
Vues de Genève
Tant de choses à dire
S’émanciper
socialement à plus de 80, voire 90 ans, en mettant à profit les échéances
électorales. C’est l’expérience étonnante vécue par les résidents d’une
poignée de maisons de repos suisses. Une source d’inspiration pour les
institutions d’accueil en Belgique.
La Suisse aurait-elle une
longueur d’avance sur la Belgique dans le domaine du vote des personnes
âgées placées en maisons de repos et, au-delà, dans leur conscientisation
sur les enjeux politiques de la vie société? On ne peut qu’être tenté de le
croire à la lueur du projet mené avec une centaine de résidents, en 2007 et
2008, dans six institutions du canton de Genève.
Au départ, le constat est
identique à celui qu’on peut dresser dans nos régions (lire “Les oubliés de l’isoloir”). Beaucoup de résidents vivent leur
arrivée en EMS (établissement médico-social, l’équivalent suisse de nos
maisons de repos et maisons de repos et de soins) comme une forme de
relégation. Ils s’interrogent sur le sens que peut avoir le vote pour eux et
sur l’opportunité ou la légitimité d’encore exprimer leur voix via les
urnes. De plus, certains seniors ressentent un trouble à l’idée d’être
influencés, dans leur choix électoral, par des membres de leur famille ou le
personnel de l’EMS.
Le contexte du travail
professionnel en EMS ne semble pas très différent des réalités belges. Le
personnel s’y plaint de la pénibilité, de la fatigue, du manque de temps
accordé aux résidents, etc. Face à la question électorale, ce malaise ne
fait que s’amplifier car, comme en Belgique, les “enveloppes de vote” (qui
contiennent les convocations électorales) ne sont pas systématiquement
distribuées aux pensionnaires. Ou, autre scénario interpellant, elles sont
suivies par un vote qui reflète moins l’avis de la personne âgée elle-même
que celui de ses enfants ou petits-enfants. On note aussi “des formes
larvées d’infantilisation” (1). Il arrive ainsi que
les équipes soignantes doutent de la capacité des résidents à encore voter
ou à être encore politiquement compétents pour comprendre les enjeux du
scrutin.
Face à ce tableau, à
l’initiative d’une animatrice en gérontologie et d’une politologue, six
établissements médico-sociaux ont pris le taureau par les cornes en
collaboration avec l’Université de Genève. Pendant plus d’un an, une bonne
dizaine de politologues ont animé quinze tables rondes (nonante minutes
chacune), à l’occasion des votations fédérales et cantonales, en partenariat
avec des animateurs motivés. Objectif: évaluer comment l’expression des
résidents et leurs débats internes peuvent renforcer la participation aux
votations mais, surtout, permettre aux résidents de se (re)forger une
citoyenneté à part entière.
Petits arrangements
familiaux
Concrètement, deux jeunes
politologues, aidés par un membre du personnel de l’EMS, animent de petits
groupes de résidents, venus volontairement discuter autour du thème de la
votation. Au départ, l’échange peut se révéler assez difficile, car les
résidents rechignent à parler de la politique, perçue comme un sujet qui
fâche. Beaucoup de femmes – elles constituent, comme en Belgique, à peu
près 80 % des pensionnaires des EMS – affirment ne pas avoir d’opinion
politique ou ne pas vouloir la donner. A ce stade, la tâche des animateurs
consiste à créer un climat de confiance entre les politologues et les
résidents, mais aussi parmi ces derniers. Pendant les échanges, les
participants posent naturellement des questions sur les origines, les
objectifs et les conséquences des votations. Ils se situent politiquement
par rapport aux enjeux soumis au vote.
Mais les tables rondes sont
aussi l’occasion d’évoquer leurs expériences sociales ou politiques passées.
Ainsi, les femmes abordent souvent les préférences politiques de leur défunt
mari et, à travers celles-ci, laissent entrevoir la famille comme une
institution complexe où les rapports de force étaient - ou sont encore -
parfois très puissants. “Les arrangements politiques entre ces femmes et
leurs époux, mais aussi leurs enfants ou petits-enfants, émergent au grand
jour, expliquent Barbara Lucas, coordinatrice du projet, et Anouk Lloren,
qui a participé aux tables rondes. Ils sont parfois remis en question”.
Et de citer le cas de cette pensionnaire qui remarquait avoir dû batailler
avec son fils afin de pouvoir voter selon sa propre opinion au propos du
PACS homosexuel (2). “J’ai voté, oui, bien sûr, mais
c’était dur! Cela fait cinquante ans que je veux divorcer. J’ai vécu séparée
de mon mari mais rien à faire: je n’avais pas le droit au divorce. Alors
eux, ils s’aiment (NDLR: les jeunes homosexuels) et vivent ensemble. Ils
faut qu’ils puissent le faire dans la légalité”.
Une émancipation
bienvenue
De telles tables rondes, qui
se prolongent systématiquement après la votation, permettent donc aux
résidents de reconquérir une forme d’autonomie en se réappropriant leur
capacité à s’affirmer et à s’exprimer. “Pour les femmes âgées, tout
particulièrement, ces rencontres peuvent être l’occasion d’une certaine
émancipation, certes tardive mais ô combien précieuse”, estime Barbara
Lucas, soulignant le rôle “absolument décisif” joué par les maisons
de repos dans ce processus.
L’effet de ces “rencontres
politiques” n’a pas été évalué quantitativement par les chercheurs
suisses. On ignore donc dans quelle mesure exacte elles ont décidé les
résidents des EMS à participer aux votations. Mais on a clairement observé
qu’au lieu de s’abstenir de voter ou de faire remplir leur bulletin
électoral par leur fils ou leur fille, ils ont voté d’une façon indépendante
ou… pour la première fois de leur vie. “Une certaine citoyenneté a pu
être reconquise, explique Barbara Lucas. Instrumentale (décoder un bulletin
de vote, saisir les enjeux…), sociale (oser débattre, s’affirmer, nouer de
nouveaux liens…) et existentielle (redevenir citoyen au lieu d’être
considéré comme de la « veille ferraille »)… ” (3)
Aux yeux des chercheurs
helvètes, il importe finalement assez peu de savoir si cette expérience a
augmenté le nombre de votants, et dans quelles proportions. En effet, bien
au-delà de la lutte contre l’abstentionnisme électoral, l’objectif de ce
projet pilote n’est autre que la reconnaissance de la personne âgée et sa
réinsertion. “Discuter de politique n’est pas ce qui semble le plus
important pour les vieillards rencontrés, commente Barbara Lucas. Ce
qui compte, c’est l’intérêt que des ‘experts’ portent à leur parole, à leur
expérience, à leur point de vue. Cette reconnaissance vient de personnes
externes à l’institution de soins. En prenant au sérieux la citoyenneté
civique des personnes âgées, la participation politique leur offre la
possibilité – modeste mais bien réelle – de reconquérir une forme
d’autonomie. C’est particulièrement le cas pour les femmes qui, en Suisse,
pendant très longtemps, n’ont pas été incitées à participer à la vie
politique, à avoir ou exprimer leurs opinions, à débattre et – encore moins
– à voter”. Et de rappeler que, si la Suisse a été le premier pays
européen à instaurer le droit de vote masculin, elle a aussi été le dernier
à le faire pour le droit de vote féminin. C’était en…1971.
Même si les scrutins, en
Suisse, se présentent différemment qu’en Belgique (on peut y voter par
correspondance, les thèmes des votations sont souvent très délimités, les
rendez-vous électoraux sont plus fréquents, etc.), on voit mal pourquoi
l’expérience helvète ne pourrait pas nourrir la réflexion et l’action dans
les maisons de repos belges.
// Ph.L.
(1) Source: “La Vieille dame et le politique: la
participation électorale des personnes âgées dépendantes”, par Barbara Lucas
et Anouk Lloren, Ethique publique, vol.10, n°2, 2008. Barbara Lucas est
chercheuse à l’Institut de recherche sociale et politique (Resop) et chargé
de cours au Département de science politique de l’Université de Genève (RESOP).
Anouk Lloren est assistante en comportement politique au département de
science politique de la même université et a participé activement au projet
“Voter en EMS”.
(2) PACS: Pacte civil de solidarité.
(3) Source : Sgier, Léa and al.,«Voter
en EMS. Rapport d’évaluation». Département de science politique, Université
de Genève, 2009, 41 p. Documentation disponible sur :
http://www.unige.ch/ses/resop/projets-de-recherche/voter-ems.html
Vues de Thimister
Un isoloir à la maison (de repos)
A
Thimister (province de Liège), le bureau de vote a été installé dans les
murs mêmes de la maison de repos. Point d’orgue d’un climat communal
attentif aux seniors, cette décision radicale a permis d’augmenter
sensiblement les votants âgés. Un exemple trop peu suivi en Wallonie.
“Autrefois, les familles
venaient chercher leur parent et l’emmenaient voter. Aujourd’hui, ça devient
plus rare, même parmi celles qui habitent dans le quartier”. Patricia
Moxhet, trente ans de métier avec les “adultes âgés” dont seize comme
directrice de la maison de repos (MR) de la Sainte Famille du CPAS de
Thimister, sait de quoi elle parle lorsqu’elle évoque la difficulté
d’organiser le vote des résidents d’institutions. Elle a pourtant la chance
de travailler dans l’une des rares communes wallonnes – sinon la seule? –
qui a ait accepté, il y a quelques années, de déplacer l’un des bureaux de
vote à l’intérieur de la MR. Un concours de circonstances qu’elle n’a pas
voulu laisser passer. “On venait de terminer la rénovation de salles
communales adjacentes à la maison de repos. L’occasion était trop belle.
Depuis toujours, j’étais interpellée par cette contradiction: nous passons
notre temps, en MR, à faire en sorte que nos résidents restent des citoyens
à part entière. Or, pour des raisons bêtement logistiques, il est difficile
de maintenir ce droit élémentaire qu’est l’acte de voter. Chez nous, par
exemple, on n’arrivait pas à faire voter plus que 4 ou 5 résidents (NDLR:
sur cinquante). Il n’est tout de même écrit nulle part qu’on arrête de
choisir ses élus à 85 ans!”.
Quatre fois plus de
votants
Le résultat ne s’est pas fait
attendre. Depuis ce simple déménagement (en six mois, l’affaire était réglée
sur le plan administratif), le nombre de votants a été multiplié par quatre
ou par cinq. Paradoxal, pourtant: comme tant d’autres MR et MRS, la maison
de repos de Thimister opte, peu avant le jour des élections, pour
l’attribution systématique d’un certificat médical à chaque résident (lire “Les oubliés de l’isoloir”). Malgré cette possibilité
d’exemption assez facile, le nombre final de votants reste élevé le jour du
vote et les certificats médicaux sont peu utilisés. “Il est important de
rassurer les personnes âgées. Le fait qu’elles peuvent toujours être
couvertes par un certificat si, au dernier moment, elles sont dans
l’incapacité à se rendre au bureau de vote, est une garantie précieuse à
leurs yeux. Le respect de la loi (“je dois voter”) est assuré et cela les
rassure. Mais, selon moi, le certificat c’est la solution de dernier
recours”.
Peu
coutumière de la langue de bois, Patricia Moxhet connaît ses résidents comme
sa poche lorsqu’il s’agit de les convaincre de se rendre à l’isoloir. “Je
leur rappelle qu’ils appartiennent à la génération de ceux qui, parfois, ont
perdu leur époux ou leur épouse dans la lutte pour l’obtention du droit de
vote. Il est vrai que ce droit est parfois lourd à porter, mais il vaut la
peine”. Cela n’empêche pas l’équipe de cette petite maison de repos du
CPAS de rappeler la possibilité de bénéficier d’une exemption ou d’une
procuration au profit des enfants ou des proches. “Si on lève leur
angoisse liée à la gestion administrative du vote, on parvient à les
convaincre d’aller voter. L’important est que les résidents sachent qu’on ne
les laissera pas tomber le jour J. Nous les accompagnerons jusqu’au bout.”
Une question de climat
et… d’engagement
Convaincre de voter est aussi
une question de climat, tant interne à la maison de repos qu’au sein de la
commune. Ainsi, les élections sont plusieurs fois évoquées pendant la
période préélectorale. Le jour du scrutin, la directrice est présente en
personne dans la maison de repos, ce qui prolonge l’effet de stimulation.
De plus, la commune de
Thimister dispose d’un Conseil consultatif communal des aînés (CCCA), ce qui
n’est pas le cas de toutes les communes wallonnes. La ville est également de
taille modeste, ce qui encourage les édiles à s’intéresser également à leurs
citoyens âgés “placés”. Et puis, il y a toute la verve de la directrice
pour achever de convaincre. “Je n’hésite pas à les secouer de temps en
temps, au conseil des résidents… Vous voulez des toilettes dans chaque
chambre? D’accord! Vous voulez rénover certaines pièces de la maison de
repos? Parfait! Mais, comme directrice, je ne peux pas tout faire toute
seule. Alors, choisissez des mandataires communaux qui écoutent vos besoins
et interpellez votre bourgmestre. Ne me laissez pas toute seule face à eux”.
Viens chez moi, j’habite à la MR…
L’un des avantages majeurs de
l’organisation d’élections à proximité immédiate de la MR réside dans
l’image donnée par celle-ci à l’extérieur; surtout auprès des aînés de la
commune qui, un jour, pourraient être appelés à y entrer à leur tour.
“J’ai des résidents qui, le jour du scrutin, rencontrent d’anciennes
connaissances venues voter avec leur famille. Ces petits moments constituent
une occasion de socialisation très importante. Il arrive que nos résidents
leur proposent de visiter la maison, ce qui peut contribuer à dédramatiser
l’entrée dans un tel lieu de vie: un moment traditionnellement difficile.
Les visiteurs peuvent également se rendre compte, ce jour-là, que vivre en
institution n’implique pas nécessairement qu’on n’a plus rien à dire et
qu’on devient soudain un numéro parmi d’autres. J’ai même entendu, un jour,
les membres d’une famille s’étonner de ce qu’ ‘on peut encore voter dans le
home!’… »
// Ph.L.
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