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Seniors (2 juin 2011)


>> Lire également : Voter, un acte qui a du sens

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Les oubliés de l’isoloir

Voter? Oui, mais pas tout le monde. Les résidents des maisons de repos sont les grands perdants des rendez-vous électoraux. Par facilité ou par désintérêt, le “système” les oublie ou va jusqu'à influencer lourdement leur vote. Tous les pensionnaires des homes ne sont pourtant pas atteints de démence ni de confusion! Et si le temps des alternatives était venu?

“Ne pas voter? Vous n’y pensez pas!” Coquet, intarissable et véritable pile électrique dans sa petite chambre de la maison de repos de Couquemont, à Dison, Roger Hennemont évoque avec verve sa participation, avec son père, aux grandes grèves des années trente à Verviers. A chaque scrutin, communal ou autre, ce rescapé du camp de concentration de Dachau, âgé aujourd’hui de 88 ans, s’efforce de convaincre les autres résidents de cette institution du CPAS de remplir leur bulletin électoral. “Il faut choisir nos hommes et nos femmes politiques et se rappeler régulièrement à leur souvenir. Si on leur laissait une totale carte blanche, ils feraient encore pire…!”

Combien sont-ils, comme cet octogénaire plein d’humour, à se mobiliser, dans les maisons de repos (MR) et les maisons de repos et de soins (MRS), pour aller voter? Peu, très peu… Les coups de sonde informels dans le secteur convergent: 10% des résidents, tout au plus. C’est que, dans beaucoup d’institutions d’hébergement, la règle du certificat médical généralisé est en vigueur : le médecin  traitant ou coordinateur, attaché à l’infrastructure, délivre  très facilement – voire systématiquement – un certificat à chaque pensionnaire. Ce qui permet à l’équipe soignante, souvent réduite le dimanche, jour d'élections, de ne pas s’épuiser à véhiculer les personnes âgées – la plupart à mobilité (très) réduite – vers le bureau de vote. “Beaucoup d’institutions ne disposent pas d’un véhicule adapté aux fauteuils roulants, résume avec pragmatisme cette directrice d’une MR brabançonne. Et puis, imaginez les difficultés d'accès au bureau de vote, les complications liées au vote électronique, les  files d’attente, l'impatience des assesseurs…. Personnellement, je m’en remets aux familles: c’est à elles d’organiser la participation de leur parent aux élections”.

Se couper en deux

Logique. Les maisons de repos ne peuvent pas tout  faire. Sauf que les familles doivent elles aussi voter, le jour J. Et que le temps manque souvent pour se préoccuper de l’aïeul, pas nécessairement domicilié dans la commune où il est hébergé. “Aller chercher Mémé pour la faire voter après soi-même, un dimanche, c’est dur…”, déplore un fin connaisseur du grand âge. Il faut dire que, même si certains seniors se sont battus pendant leur jeunesse pour le droit de vote (notamment celui des femmes, acquis seulement, pour le Parlement, en 1948…), les résidents eux-mêmes sont parfois peu enthousiastes  face au vote: fatigue (“Je suis trop vieux “), lassitude (“Ce n’est plus pour moi”), désintérêt pour un monde politique difficile à comprendre (“A quoi bon?”). Le tout dans un contexte d'engouement électoral frileux. “C’est ancré dans la tête des gens, regrette cette infirmière namuroise. Quand  on entre en maison de repos, on se place automatiquement en retrait de la vie sociale et politique. On désinvestit la vie. Donc, on ne vote plus (si on le faisait avant…)!”

L'exigence démographique

N'est-il pas temps, alors que la durée de vie de la population ne cesse de s’allonger, de secouer ce fatalisme ambiant? En Belgique, quelque 129.000 personnes occupent les lits de MR et MRS. Si l’entrée en institution est sans cesse retardée (actuellement 85 ans), le temps de séjour moyen y est tout de même de trois ans et demi: soit facilement le temps d’un à deux scrutins, qu’ils soient communaux, fédéraux ou régionaux. Certes, un résident sur trois, au moins, souffre de graves désorientations et/ou d’un manque de discernement compromettant toute démarche sensée de choix de mandataires. S'y ajoutent les indifférents viscéraux. Mais il reste tous les autres! “Dans les MR et MRS, il n'est plus rare de croiser des nonagénaires en bonne santé physique et mentale et sans dépendance vraiment invalidante”, constate un collectif d’auteurs de l’UCP, mouvements social des aînés, dans l’ouvrage “Envie de vivre”(1).

En juin 2004, Christian Brotcorne, député CDH, s’était inquiété auprès du Ministre de l’Intérieur de ce que des convocations électorales n’arrivaient même pas à leurs destinataires, dans les homes, alors que ceux-ci étaient parfaitement en état de voter.  Dans d’autres établissements, des résidents tout aussi aptes n’étaient même pas interrogés sur  leur intention - ou non - de voter : à leur insu, ils “bénéficiaient” du certificat médical accordé d'office! Regrettant, par ailleurs, que la publicité électorale ne pénètre que rarement l’enceinte des maisons de repos, le député humaniste avait réclamé – en vain – une directive ministérielle enjoignant les directions des MR et MRS à corriger ce “déni démocratique”.

Bientôt Mai 68…

Sept ans plus tard, rien ne semble avoir vraiment changé. Les résidents des troisième et quatrième âges semblent cantonnés à leur statut de citoyens électeurs de seconde zone. “Les certificats trop rapidement délivrés, ce n’est rien d’autre qu’une forme de paternalisme inacceptable, déplore Caroline Guffens, directrice de Saint-Joseph, à Suarlée. On dit à la personne âgée: ‘on peut penser à ta place’, alors que  voter est un droit fondamental”. Chez Respect Senior, une association de sensibilisation aux problèmes rencontrés par les personnes âgées, on n’hésite pas à parler de “maltraitance civique”, au même titre que le non-respect du droit à disposer de son argent ou à choisir son lieu d’hébergement. “La situation ne peut qu’évoluer, pronostique de son côté Marie-Pierre Delcour, directrice d’Infor Home Bruxelles. Les acteurs de Mai 68 vont petit à petit entrer en MR… On ne pourra plus éternellement invoquer les problèmes d’organisation pratique ou les difficultés cognitives pour s'en désintéresser”.

Le constat est d’autant plus interpellant qu’en marge d’un “système” indifférent ou déresponsabilisant, des pratiques électoralistes pas toujours très glorieuses se déroulent dans l'arrière-cour du secteur. “En période pré-électorale, les agendas des hommes politiques s’allègent mystérieusement, raille une directrice de MR de la Basse Sambre. Ils trouvent soudain du temps pour rendre visite à nos résidents”. Que la campagne électorale déborde sur le secteur de l’hébergement des seniors, c’est de bonne guerre. Et même sain! Mais comment? Via des discussions animées par une personne indépendante et bienveillante? Ou via un climat de flatteries et de petites pressions plus ou moins amicales: “Vous voterez pour moi, n’est-ce pas…?” ou “j’ai des amis qui viendront vous chercher pour aller au bureau de vote”. “Pour un peu, certains n’hésiteraient pas à entrer dans les chambres des résidents, s’indigne une directrice de MR de la région verviétoise. Pas une seule concierge, dans un immeuble à appartements, n'autoriserait cela!” Et de s’inquiéter des pratiques rencontrées dans certaines maisons de repos publiques,  où les directions ont bien du mal à maintenir les portes fermées face aux candidats politiques intrusifs. Situation particulièrement délicate: les campagnes électorales les plus disputées. Là, soudain, chaque voix compte plus qu'avant…

Le “routage” électoral

Au prix d’une énorme dose de bonne volonté ou de bénévolat, des maisons de repos veillent à véhiculer leurs résidents, s'ils le souhaitent, vers le bureau de vote. Mais que penser des transports organisés par les candidats eux-mêmes – ou leurs sympathisants – parfois jusque dans l’isoloir (ce que la loi permet)? “Personnellement, je ne leur demande pas pour qui elles votent”, commente un bourgmestre wallon la main sur le cœur. Soit... “Ne soyons pas naïf, rétorque Jean-Benoît Pilet, professeur de sciences politiques à l’ULB. Il y a, dans ce système, l’espoir d’un ‘retour sur investissement’…”  En 2002, la loi a changé : alors qu’on pouvait auparavant disposer d'une procuration pour son parent malade jusqu’au troisième degré, le lien familial avec la personne empêchée, aujourd'hui, n'est plus nécessaire. Le résultat? “Magouiller est devenu plus facile”, reconnaît ce bourgmestre d’une grande ville. Il suffit de disposer d’une armée de sympathisants. Qui peuvent alors “endosser” les procurations signées en blanc par les résidents. Dans cette maison de repos bruxelloise, on cite le cas de ce médecin coordinateur qu’il a fallu licencier car il figurait lui-même sur une liste électorale et était soupçonné d’accorder trop facilement des certificats médicaux aux pensionnaires affichant une sympathie pour un parti différent du sien…

Dans la partie francophone du pays, Thimister est l’une des rares communes à avoir pris le taureau par les cornes. Comment? En déplaçant carrément le bureau de vote à l’intérieur même de la maison de repos locale. Résultat: un quadruplement des votants, dont plusieurs nonagénaires. “En plus, la convivialité en est ressortie gagnante, explique Patricia Moxhet, la directrice: des pensionnaires profitent de cette occasion pour inviter des gens du village, anciens ou familles. L'entrée en MR en est ressortie grandement dédramatisée”. A Watermael Boitsfort (Bruxelles), l'une des MR abrite un bureau de vote depuis vingt-deux ans: à chaque scrutin, environ 40 pensionnaires (sur 133) choisissent de voter, aidés – il est vrai – par de nombreux bénévoles. Dans d’autres homes, le personnel tente vaillamment, mais avec les moyens du bord, de convaincre les résidents – ou leurs proches (via la procuration) – de voter. “D’office, je pars du point de vue que chaque résident va voter, explique l’assistante sociale de Saint Joseph, à Suarlée (Namur). Ce n’est que petit à petit, au fil des discussions avec eux, la famille et le médecin que la liste se rétrécit”. Prix à payer, à chaque scrutin: deux jours entiers de boulot!

D’autres maisons innovent à leur manière. A Mariemont (Morlanwez), les élections fédérales de 2010 ont servi de tremplin à l’élection du conseil des résidents, interne à la MR: une autre façon d'enclencher la dynamique participative. Dans plusieurs communes bruxelloises (Ixelles, Etterbeek…), les résidents sont sensibilisés au vote électronique. On n’en est pas encore, comme en Suède ou au Canada, à organiser des bureaux de vote mobile, ciblant les groupes les plus faibles de la société ou à mobilité défaillante. Mais - qui sait ? – cela pourrait bouger bientôt(1).

// Philippe Lamotte

 

(1) Le vote des personnes âgées en maisons de repos sera le thème la campagne de l'UCP, mouvement social des ainés, lors des élections communales de 2012.


Vues de Genève

Tant de choses à dire

S’émanciper socialement à plus de 80, voire 90 ans, en mettant à profit les échéances électorales. C’est l’expérience étonnante vécue par les résidents d’une poignée de maisons de repos suisses. Une source d’inspiration pour les institutions d’accueil en Belgique.

La Suisse aurait-elle une longueur d’avance sur la Belgique dans le domaine du vote des personnes âgées placées en maisons de repos et, au-delà, dans leur conscientisation sur les enjeux politiques de la vie société? On ne peut qu’être tenté de le croire à la lueur du projet mené avec une centaine de résidents, en 2007 et 2008, dans six institutions du canton de Genève.

Au départ, le constat est identique à celui qu’on peut dresser dans nos régions (lire “Les oubliés de l’isoloir). Beaucoup de résidents vivent leur arrivée en EMS (établissement médico-social, l’équivalent suisse de nos maisons de repos et maisons de repos et de soins) comme une forme de relégation. Ils s’interrogent sur le sens que peut avoir le vote pour eux et sur l’opportunité ou la légitimité d’encore exprimer leur voix via les urnes. De plus, certains seniors ressentent un trouble à l’idée d’être influencés, dans leur choix électoral, par des membres de leur famille ou le personnel de l’EMS.

Le contexte du travail professionnel en EMS ne semble pas très différent des réalités belges. Le personnel s’y plaint de la pénibilité, de la fatigue, du manque de temps accordé aux résidents, etc. Face à la question électorale, ce malaise ne fait que s’amplifier car, comme en Belgique, les “enveloppes de vote” (qui contiennent les convocations électorales) ne sont pas systématiquement distribuées aux pensionnaires. Ou, autre scénario interpellant, elles sont suivies par un vote qui reflète moins l’avis de la personne âgée elle-même que celui de ses enfants ou petits-enfants. On note aussi “des formes larvées d’infantilisation” (1). Il arrive ainsi que les équipes soignantes doutent de la capacité des résidents à encore voter ou à être encore politiquement compétents pour comprendre les enjeux du scrutin.

Face à ce tableau, à l’initiative d’une animatrice en gérontologie et d’une politologue, six établissements médico-sociaux ont pris le taureau par les cornes en collaboration avec l’Université de Genève. Pendant plus d’un an, une bonne dizaine de politologues ont animé quinze tables rondes (nonante minutes chacune), à l’occasion des votations fédérales et cantonales, en partenariat avec des animateurs motivés. Objectif: évaluer comment l’expression des résidents et leurs débats internes peuvent renforcer la participation aux votations mais, surtout, permettre aux résidents de se (re)forger une citoyenneté à part entière.

Petits arrangements familiaux

Concrètement, deux jeunes politologues, aidés par un membre du personnel de l’EMS, animent de petits groupes de résidents, venus volontairement discuter autour du thème de la votation. Au départ, l’échange peut se révéler assez difficile, car les résidents rechignent à parler de la politique, perçue comme un sujet qui fâche. Beaucoup de femmes  – elles constituent, comme en Belgique, à peu près 80 % des pensionnaires des EMS – affirment ne pas avoir d’opinion politique ou ne pas vouloir la donner. A ce stade, la tâche des animateurs consiste à créer un climat de confiance entre les politologues et les résidents, mais aussi parmi ces derniers. Pendant les échanges, les participants posent naturellement des questions sur les origines, les objectifs et les conséquences des votations. Ils se situent politiquement par rapport aux enjeux soumis au vote.

Mais les tables rondes sont aussi l’occasion d’évoquer leurs expériences sociales ou politiques passées. Ainsi, les femmes abordent souvent les préférences politiques de leur défunt mari et, à travers celles-ci, laissent entrevoir la famille comme une institution complexe où les rapports de force étaient - ou sont encore - parfois très puissants. “Les arrangements politiques entre ces femmes et leurs époux, mais aussi leurs enfants ou petits-enfants, émergent au grand jour, expliquent Barbara Lucas, coordinatrice du projet, et Anouk Lloren, qui a participé aux tables rondes. Ils sont parfois remis en question”. Et de citer le cas de cette pensionnaire qui remarquait avoir dû batailler avec son fils afin de pouvoir voter selon sa propre opinion au propos du PACS homosexuel (2). “J’ai voté, oui, bien sûr, mais c’était dur! Cela fait cinquante ans que je veux divorcer. J’ai vécu séparée de mon mari mais rien à faire: je n’avais pas le droit au divorce. Alors eux, ils s’aiment (NDLR: les jeunes homosexuels) et vivent ensemble. Ils faut qu’ils puissent le faire dans la légalité”.

Une émancipation bienvenue

De telles tables rondes, qui se prolongent systématiquement après la votation, permettent donc aux résidents de reconquérir une forme d’autonomie en se réappropriant leur capacité à s’affirmer et à s’exprimer. “Pour les femmes âgées, tout particulièrement, ces rencontres peuvent être l’occasion d’une certaine émancipation, certes tardive mais ô combien précieuse”, estime Barbara Lucas, soulignant le rôle “absolument décisif” joué par les maisons de repos dans ce processus.

L’effet de ces “rencontres politiques” n’a pas été évalué quantitativement par les chercheurs suisses. On ignore donc dans quelle mesure exacte elles ont décidé les résidents des EMS à participer aux votations. Mais on a clairement observé qu’au lieu de s’abstenir de voter ou de faire remplir leur bulletin électoral par leur fils ou leur fille, ils ont voté d’une façon indépendante ou… pour la première fois de leur vie. “Une certaine citoyenneté a pu être reconquise, explique Barbara Lucas. Instrumentale (décoder un bulletin de vote, saisir les enjeux…), sociale (oser débattre, s’affirmer, nouer de nouveaux liens…) et existentielle (redevenir citoyen au lieu d’être considéré comme de la « veille ferraille »)… ” (3)

Aux yeux des chercheurs helvètes, il importe finalement assez peu de savoir si cette expérience a augmenté le nombre de votants, et dans quelles proportions. En effet, bien au-delà de la lutte contre l’abstentionnisme  électoral, l’objectif de ce projet pilote n’est autre que la reconnaissance de la personne âgée et sa réinsertion. “Discuter de politique n’est pas ce qui semble le plus important pour les vieillards rencontrés, commente Barbara Lucas. Ce qui compte, c’est l’intérêt que des ‘experts’ portent à leur parole, à leur expérience, à leur point de vue. Cette reconnaissance vient de personnes externes à l’institution de soins. En prenant au sérieux la citoyenneté civique des  personnes âgées, la participation politique leur offre la possibilité – modeste mais bien réelle – de reconquérir une forme d’autonomie. C’est particulièrement le cas pour les femmes qui, en Suisse, pendant très longtemps, n’ont pas été incitées à participer à la vie politique, à avoir ou exprimer leurs opinions, à débattre et – encore moins – à voter”.  Et de rappeler que, si la Suisse a été le premier pays européen à instaurer le droit de vote masculin, elle a aussi été le dernier à le faire pour le droit de vote féminin. C’était en…1971.

Même si les scrutins, en Suisse, se présentent différemment qu’en Belgique (on peut y voter par correspondance, les thèmes des votations sont souvent très délimités, les rendez-vous électoraux sont plus fréquents, etc.), on voit mal pourquoi  l’expérience helvète ne pourrait pas nourrir la réflexion et l’action dans les maisons de repos belges.

// Ph.L.

(1) Source: “La Vieille dame et le politique: la participation électorale des personnes âgées dépendantes”, par Barbara Lucas et Anouk Lloren, Ethique publique, vol.10, n°2, 2008. Barbara Lucas est chercheuse à l’Institut de recherche sociale et politique (Resop) et chargé de cours au Département de science politique de l’Université de Genève (RESOP). Anouk Lloren est assistante en comportement politique au département de science politique de la même université et a participé activement au projet “Voter en EMS”.

(2) PACS: Pacte civil de solidarité.

(3) Source : Sgier, Léa and al.,«Voter en EMS. Rapport d’évaluation». Département de science politique, Université de Genève, 2009, 41 p. Documentation disponible sur : http://www.unige.ch/ses/resop/projets-de-recherche/voter-ems.html


Vues de Thimister

Un isoloir à la maison (de repos)

A Thimister (province de Liège), le bureau de vote a été installé dans les murs mêmes de la maison de repos. Point d’orgue d’un climat communal attentif aux seniors, cette décision radicale a permis d’augmenter sensiblement les votants âgés. Un exemple trop  peu suivi en Wallonie.

Autrefois, les familles venaient chercher leur parent et l’emmenaient voter. Aujourd’hui, ça devient plus rare, même parmi celles qui habitent dans le quartier”. Patricia Moxhet, trente ans de métier avec les “adultes âgés” dont seize comme directrice de la maison de repos (MR) de la Sainte Famille du CPAS de Thimister, sait de quoi elle parle lorsqu’elle évoque la difficulté d’organiser le vote des résidents d’institutions. Elle a pourtant la chance de travailler dans l’une des rares communes wallonnes – sinon la seule? – qui a ait accepté, il y a quelques années, de déplacer l’un des bureaux de vote  à l’intérieur de la MR. Un concours de circonstances qu’elle n’a pas voulu laisser passer. “On venait de terminer la rénovation de salles communales adjacentes à la maison de  repos. L’occasion était trop belle. Depuis toujours, j’étais interpellée par cette contradiction: nous passons notre temps, en MR, à faire en sorte que nos résidents restent des citoyens à part entière. Or, pour des raisons bêtement logistiques, il est difficile de maintenir ce droit élémentaire qu’est l’acte de voter. Chez nous, par exemple, on n’arrivait pas à faire voter plus que 4 ou 5 résidents (NDLR: sur cinquante). Il n’est tout de même écrit nulle part qu’on arrête de choisir ses élus à 85 ans!”.

Quatre fois plus de votants

Le résultat ne s’est pas fait attendre. Depuis ce simple déménagement (en six mois, l’affaire était réglée sur le plan administratif), le nombre de votants a été multiplié par quatre ou par cinq. Paradoxal, pourtant: comme tant d’autres MR et MRS, la maison de repos de Thimister opte, peu avant le jour des élections, pour l’attribution systématique d’un certificat médical à chaque résident (lire “Les oubliés de l’isoloir”). Malgré cette possibilité d’exemption assez facile, le nombre final de votants reste élevé le jour du vote et les certificats médicaux sont peu utilisés. “Il est important de rassurer les personnes âgées. Le fait qu’elles peuvent toujours être couvertes par un certificat si, au dernier moment, elles sont dans l’incapacité à se rendre au bureau de vote, est une garantie précieuse à leurs yeux. Le respect de la loi (“je dois voter”) est assuré et cela les rassure. Mais, selon moi, le certificat c’est la solution de dernier recours”.

Peu coutumière de la langue de bois, Patricia Moxhet connaît ses résidents comme sa poche lorsqu’il s’agit de les convaincre de se rendre à l’isoloir. “Je leur rappelle qu’ils appartiennent à la génération de ceux qui, parfois, ont perdu leur époux ou leur épouse dans la lutte pour l’obtention du droit de vote. Il est vrai que ce droit est parfois lourd à porter, mais il vaut la peine”. Cela n’empêche pas l’équipe de cette petite maison de repos du CPAS de rappeler la possibilité de bénéficier d’une exemption ou d’une procuration au profit des enfants ou des proches. “Si on lève leur angoisse liée à la gestion administrative du vote, on parvient à les convaincre d’aller voter. L’important est que les résidents sachent qu’on ne les laissera pas tomber le jour J. Nous les accompagnerons jusqu’au bout.”

Une question de climat et… d’engagement

Convaincre de voter est aussi une question de climat, tant interne à la maison de repos qu’au sein de la commune. Ainsi, les élections sont plusieurs fois évoquées pendant la période préélectorale. Le jour du scrutin, la directrice est présente en personne dans la maison de repos, ce qui prolonge l’effet de stimulation.

De plus, la commune de Thimister dispose d’un Conseil consultatif communal des aînés (CCCA), ce qui n’est pas le cas de toutes les communes wallonnes. La ville est également de taille modeste, ce qui encourage les édiles à s’intéresser également à leurs citoyens âgés “placés”. Et puis, il y a toute la verve de la directrice  pour achever de convaincre. “Je n’hésite pas à les secouer de temps en temps, au conseil des résidents… Vous voulez des toilettes dans chaque chambre? D’accord! Vous voulez rénover certaines pièces de la maison de repos? Parfait! Mais, comme directrice, je ne peux  pas tout faire toute seule. Alors, choisissez des mandataires communaux qui écoutent vos besoins et interpellez votre bourgmestre. Ne me laissez pas toute seule face à eux”.

Viens chez moi, j’habite à la MR…

L’un des avantages majeurs de l’organisation d’élections à proximité immédiate de la MR réside dans l’image donnée par celle-ci à l’extérieur; surtout auprès des aînés de la commune qui, un jour, pourraient être appelés à y entrer à leur tour. “J’ai des résidents qui, le jour du scrutin, rencontrent d’anciennes connaissances venues voter avec leur famille. Ces petits moments constituent une occasion de socialisation très importante. Il arrive que nos résidents leur proposent de visiter la maison, ce qui peut contribuer à dédramatiser l’entrée dans un tel lieu de vie: un moment traditionnellement difficile. Les visiteurs peuvent également se rendre compte, ce jour-là, que vivre en institution n’implique pas nécessairement qu’on n’a plus rien à dire et qu’on devient soudain un numéro parmi d’autres. J’ai même entendu, un jour, les membres d’une famille s’étonner de ce qu’ ‘on peut encore voter dans le home!’… »

// Ph.L.


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