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Familles (24 janvier 2013)

> Lire également : Une tradition mutilante

“Ma façon de dire non à l’excision”

© Christophe Smets

 Une pratique condamnée par la loi 

L’excision est condamnée par les conventions internationales des droits humains. En Belgique, comme dans de nombreux pays européens et africains, elle est punie par la loi (art. 409 du Code pénal) et les auteurs peuvent être poursuivis que l’excision soit faite en Belgique ou lors d’un séjour à l’étranger.

Quant à la religion, ni l’islam ni le christianisme ne prônent ni même tolèrent les MGF, même si certains responsables religieux prétendent le contraire.

Il leur a fallu du courage pour accepter de témoigner à visage découvert contre les traditions. Du courage et de l’espoir aussi : que cessent enfin les mutilations génitales féminines. Réunis sous le regard sensible du photographe Christophe Smets, 32 femmes et hommes d’Afrique et d’Europe ont confié leur parcours aux journalistes Céline Gautier et Marie Bryon. Touchantes, révoltantes ou inspirantes, leurs histoires nous rappellent que dire non à l’excision, c’est, en 2013 encore, un acte de bravoure. Des portraits à lire et à voir prochainement lors d’une exposition à la gare du nord de Bruxelles.

Bien qu’illégales dans la plupart des pays du monde, les mutilations génitales féminines (MGF) font encore trois millions de nouvelles victimes par an. On estime qu’environ 500.000 femmes excisées vivent en Europe et que 180.000 filles risquent de le devenir chaque année(1). En Belgique, c’est au début des années ’90, quand des familles somaliennes fuyant la guerre civile ont demandé l’asile, que les professionnels de la santé ont été confrontés pour la première fois à des patientes excisées et infibulées. Au 1er janvier 2008, on évaluait à plus de 6.000 le nombre de femmes excisées vivant en Belgique, et à environ 2.000 les filles menacées(2). Si aucun recensement n’a été entrepris depuis, l’on sait que le nombre de femmes excisées accouchant dans nos maternités ne cesse d’augmenter d’année en année.

Derrière ces chiffres se cachent le plus souvent des trajectoires brisées ; celle des filles “coupées”, mais aussi celle de leur entourage. Hémorragies, infections chroniques, séquelles psychologiques voire décès… Personne n’ignore les risques, mais les traditions perdurent : les filles doivent être “propres”, il en va de l’honneur de la famille.

Il existe pourtant des îlots réfractaires. Pendant plus d’un an, nous avons parcouru l’Europe (Belgique, France, Royaume-Uni) et l’Afrique (Djibouti, Sénégal, Guinée) à la rencontre de ces ex-petites filles trahies, désormais mères ou grands-mères, mais aussi d’exciseuses repenties, de maris révoltés, de médecins désemparés, d’avocats opiniâtres… Chacune, chacun, à sa façon, offre une réalité particulière de la lutte contre les mutilations génitales féminines, en lien avec sa culture, ses convictions religieuses et son pays d’origine ou d’adoption.

Tout un vécu à soigner

S’il est difficile de nier les conséquences désastreuses de l’infibulation(3) sur la santé, il n’est pas rare d’entendre les défenseurs des MGF affirmer qu’une “simple” excision(4), réalisée dans les meilleures conditions, n’est en rien dommageable. C’est oublier que l’ablation du clitoris reste une mutilation qui met en jeu toute l’identité d’une femme. Le Docteur Martin Caillet, gynécologue à la Clinique du Périnée du CHU St- Pierre, à Bruxelles, en sait quelque chose. Chaque mois, il y reçoit environ deux patientes qui lui demandent une reconstruction du clitoris : “Les femmes qui viennent me voir pour une telle opération placent tous leurs espoirs dans la chirurgie réparatrice. Le fait de ne pas être ‘entières’ est pour elles une source de mal-être permanent. Dès lors, elles sont persuadées que la reconstruction va résoudre tous leurs problèmes, des règles douloureuses aux conflits amoureux. Il est rare que ce soit aussi simple. Dans bien des cas, la prise en charge chirurgicale ne suffit pas à dépasser le traumatisme parce qu’on touche aussi à la psychologie, la sexologie… Idéalement, ces femmes devraient bénéficier d’un accompagnement multidisciplinaire car c’est tout un vécu qu’il faut soigner.

Quand il ne reste que la fuite

Comme 93% des femmes de son pays, Nadima a subi une mutilation génitale. Et comme la plupart des Djiboutiennes, c’est avec pudeur et dignité qu’elle évoque son infibulation.

J’avais six ans, je rentrais de l’école et un festin m’attendait. J’ai compris que c’était un jour de fête. Mais pas celui dont je rêvais. L’ambiance était tendue. Cinq personnes se sont approchées de moi pour m’immobiliser. A quoi servirait que je raconte ce qu’on m’a fait alors, et comment…? Ce jour-là, j’ai perdu beaucoup de sang et une grande part d’innocence. Quelques heures après, ma mère m’a dit : ‘prépare-toi, tes amies vont arriver’. J’ai eu droit au parfum et à un pagne magnifique. Devant elles, je me suis vantée… Pleurer aurait été me couvrir de honte. J’ai joué le jeu, comme les autres avant moi. Un jeu aux conséquences irréversibles: j’ai connu la dépendance aux médicaments pendant les règles, la violence de la nuit de noces malgré la douceur et la patience de mon mari, la coupure de haut en bas à l’accouchement…

Aussi, quand j’ai accouché de ma fille, je n’ai pas voulu qu’on la touche. Née prématurément, son état de santé était préoccupant. Pourtant, après trois jours, ma belle-mère voulait l’exciser. Dans mon pays, la mère ne décide pas de tout ; c’est mon amie qui me l’a appris. Elle non plus ne voulait pas que l’on touche à sa fille. Un après-midi, pendant qu’elle travaillait et que son enfant était gardée par la femme de ménage, sa mère et sa belle-mère sont venues chez elle. Elles ont fait ce qu’elles avaient à faire. Quand mon amie est rentrée, sa fille hurlait…

Moi j’ai supplié ma belle-mère d’attendre deux ans, le temps que ma fille recouvre la santé. Mais plus l’échéance approchait, moins j’étais prête et plus elle menaçait. Le jour où j’ai enfin osé lui dire non, seul mon mari m’a soutenue. Il a été ligoté, battu, chassé de son travail et de sa famille. J’ai réalisé que ma belle-famille était prête à tout pour que ma fille soit “propre”. Je vivais dans la crainte permanente qu’on me l’enlève, le temps de “faire ce qu’il faut”. Alors j’ai fui avec mes deux enfants. Cela fait deux ans que nous sommes en Belgique. Les débuts n’ont pas été faciles mais je ne regrette rien : ma fille est en sécurité.

© Christophe Smets
Ni barbares, ni sauvages

Aujourd’hui arrière-grand-mère, Coumba Touré, Malienne, a été mutilée à l’âge de 12 ans. A cette époque, dans son ethnie, la mutilation était un rite de passage vers l’âge adulte ; on était mariée une fois excisée. A cette époque, il existait des endroits interdits aux femmes ‘impures’, traduisez non excisées. Mais qui se serait opposé à la tradition? Du haut de ses 12 ans pourtant, elle se promet que si elle a des filles, on ne les touchera pas. Une conviction qui ne fait que se renforcer, avec l’indicible douleur des premières relations sexuelles et de son premier accouchement, à 15 ans. Obligée de fuir son pays après le coup d’Etat, elle se réfugie en France, en 1981, où elle découvre avec stupéfaction que là aussi, on mutile les petites filles. Et qu’il existe des Africaines en détresse, enfermées entre deux cultures. L’année suivante, elle devient co-fondatrice du GAMS France (groupe pour l’abolition des mutilations sexuelles) et entame son combat au mépris des difficultés et menaces.

Dans les années ’80, s’élever contre les traditions était impensable. Et en tant qu’Africaine, remettre l’excision en cause était la pire des trahisons. D’autant que parler du clitoris, c’était tabou. J’ai été insultée, agressée. Nous étions peu nombreuses à oser évoquer ce que nous avions subi et faisions subir…

Depuis, un travail énorme a été fait, mais les mentalités sont longues à changer. Il y a toujours des mères qui sont pour l’excision. Toute leur vie, on leur en a fait l’éloge, affirmant qu’elle est source de féminité, de fertilité, qu’elle donne un atout à la femme au moment des rapports, qu’une fille non excisée ne trouve pas de mari… Pour elles, faire couper leur fille est un acte d’amour. Elles ne se plaignent jamais, elles pensent que c’est la volonté de Dieu. Ce ne sont ni des sauvages ni des barbares. Elles ne connaissent que leurs coutumes. Elles ne savent pas que la différence fondamentale entre une femme excisée et une qui ne l’est pas, c’est la douleur. Toute une vie de douleur.

// MARIE BRYON

(1) Lire aussi dans En Marche, l’article “Une tradition mutilante” paru le 21 juin 2012

(2) Source : SPF santé publique 2010

(3) L’infibulation consiste en l’ablation du clitoris et des petites lèvres, suivie d’une suture des grandes lèvres, afin de ne laisser qu’un petit orifice pour l’écoulement de l’urine et du sang menstruel.

(4) L’excision consiste en l’ablation de la totalité ou d’une partie du clitoris et de celle, partielle ou totale, des petites lèvres. Elle concerne 80% des MGF dans le monde. Pour cette raison, on utilise le plus souvent le terme “excision” lorsque l’on parle des MGF.

>> Le GAMS accueille et accompagne les femmes concernées par les MGF, organise des activités de sensibilisation, des séances d’information et des formations pour des professionnels. Il oriente les victimes vers des services appropriés (services de santé, aide juridique…), propose des consultations psychologiques et organise des groupes de parole.
Plus d’infos : 02/219.43.40. -
www.gams.be

 32 portraits 

L’exposition “Excision, ma façon de dire non” sera inaugurée le 6 février, à l’occasion de la journée internationale de lutte contre l’excision, dans le hall principal de la gare du nord de Bruxelles. Elle y sera présentée jusqu’au 20 février (entrée libre).

Le projet est le fruit d’un partenariat entre la Boîte à Images et le GAMS Belgique. Pour connaître les lieux d’exposition ultérieurs, rendez-vous sur www.mafacondedirenon.be

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