Recherche :

Loading

La rédaction

Notre histoire

Newsletter

Nous contacter

Une erreur dans votre adresse postale ?
Signalez-le

Actualité

Culture

International

Mutualité Service

Santé

Société

Nos partenaires

Visitez le site de la Mutualité chrétienne

Familles (6 septembre 2012)

> Lire également : Au cinéma - Little black spiders

Bébé X, l’équation aux multiples inconnues

© Laurent Caro/Belpress

Le 24 juillet dernier, et pour la troisième fois depuis son installation en 2000, la boîte à bébés d’Anvers a recueilli un nouveau-né. Un tel événement suscite à nouveau le débat sur l’accouchement sous X, interdit en Belgique.

Désormais, il s’appelle Michaël De Kleine jusqu’à son adoption. “De Kleine”, nom de famille donné aux enfants accueillis par l’association anversoise Moeders voor moeders qui dispose de la seule et unique boîte à bébés du pays.

En Belgique, l’accouchement dans l’anonymat est interdit. Dès sa naissance (à l’hôpital ou à la maison), l’enfant doit obligatoirement être inscrit au Registre de la population. L’enfant né d’une mère belge dispose ainsi automatiquement de l’identité de sa génitrice inscrite en toutes lettres dans son acte de naissance. Confier son enfant à une “baby box” est une façon de contourner cette obligation. “La boîte à bébés n’est pourtant pas une bonne solution, affirme Katrin Beyer, de Moeders voor moeders. Les conditions sanitaires ne sont pas garanties puisque la mère accouche seule et vient déposer le nouveau-né. Mais c’est l’unique recours qu’ont les mères qui veulent garder l’anonymat”.

Un tourisme du X ?

En Europe, l’accouchement dans l’anonymat se pratique en France et, de manière moins organisée, au Luxembourg et en Italie. Notre voisin français attirerait quelques femmes belges en quête de discrétion, voire d’anonymat. On estime qu’un tiers des mères accouchant sous X à Lille sont belges.

Dans l’Hexagone, l’accouchement dans l’abandon secret est mentionné dans la Convention nationale au sortir de la Révolution et en 1941, une loi se fait plus précise : la femme enceinte est prise en charge gratuitement sur le plan sanitaire le mois qui précède et celui qui suit la naissance du bébé. A aucun moment, elle ne dévoile son identité au personnel médical ni à aucune autre personne, ce qui empêche à jamais son enfant de retrouver sa trace. En 2002, un nouvel élément est considéré : le droit de l’enfant à connaître ses origines.

Désormais, l’anonymat côtoie la discrétion: la maman est invitée à laisser des éléments qui dévoileraient un minimum d’informations (description physique des parents, antécédents médicaux, histoire de leur rencontre…). Elle peut également donner ses coordonnées qui resteront scellées et gardées précieusement par le Conseil national pour l’accès aux origines personnelles (CNAOP). Si l’enfant émet un jour le souhait de découvrir d’où il vient, il peut alors s’adresser à ce Conseil qui contactera la mère pour obtenir son accord de levée de secret. La génitrice garde toujours un droit de veto. A l’inverse, si l’enfant ne prend jamais l’initiative de la retrouver, sa maman ne pourra le contacter et savoir ce qu’il devient.

Débat en Belgique

A plusieurs reprises chez nous, le débat est revenu sur la table. Différents partis politiques ont déposé des propositions de loi pour un accouchement dans la discrétion qui se rapprocherait du modèle français. Mais les avis sont partagés. Du côté des “pro-accouchement sous X”, on avance le droit à la vie privée des mères. Certains évoquent aussi ces enfants nés d’un inceste ou d’un viol que les femmes préfèrent oublier. Et que penser des grossesses non désirées menées à terme par convictions philosophiques ou découvertes trop tard pour envisager un avortement ? D’autres parlent d’éviter des drames comme les infanticides, les abandons en pleine nature…

Pourtant, pour les détracteurs de l’accouchement anonyme, ce dernier argument ne devrait pas entrer en ligne de compte. Jehanne Sosson, professeure en droit de la famille (UCL), avance : “Des études ont démontré que le profil des mères auteurs d’infanticide était bien différent de celles qui accouchent sous X.” Autre point incontournable qu’ils soulignent : le droit à connaître ses origines, inscrit dans la Convention internationale des droits de l’enfant. Connaître d’où l’on vient pour savoir où l’on va et se construire est primordial. “Avec une loi autorisant l’accouchement sous X ou dans la discrétion, les enfants ‘sans origines’ ont l’impression que la société cautionne leur abandon, lance Valérie Provost, collaboratrice au sein de la Code(1). En France, certains ne peuvent pas avoir accès au nom de leur génitrice alors qu’il est parfois inscrit dans leur dossier. Ils sont face à un vide organisé.” De même, connaître les antécédents médicaux familiaux et son patrimoine génétique est important si l’on se place dans le registre de la santé.

Les travers d’une loi

En créant une loi pour ce type de naissances, ne risque-t-on pas de favoriser l’apparition de mères porteuses qui accoucheront sous X pour rester dans la ‘légalité’?”, s’interroge Jehanne Sosson. Sans extrapoler, d’autres dérives existent. Ainsi, sur des forums internet, certaines femmes à la recherche de leur enfant témoignent d’avoir été contraintes d’accoucher sous X, sous la pression familiale. D’autres regrettent l’abandon de leur enfant, des années plus tard. Sans avoir laissé le moindre indice dans le dossier, avec pour seules informations la date et le lieu de naissance, le chemin est difficile voire impossible pour retrouver la trace de leur propre enfant. Des spécialistes ont observé que les mères s’exposent à des difficultés psychologiques importantes. Certaines ne se remettent jamais de cet accouchement dans le secret.

En France, on compte environ 700 accouchements sous X par an, précise Jehanne Sosson. Alors faut-il vraiment créer une loi pour ces quelques cas? N’y a-t-il pas d’autres chemins à privilégier comme mieux accompagner ces femmes en détresse et adapter la législation sur l’adoption?

Et le père dans tout ça ?

Dans les raisons qu’invoquent les mamans qui ont accouché sous X, elles citent notamment la relation parfois compliquée avec le père de l’enfant (séparations, violences…). Certaines femmes cachent leur grossesse et leur décision d’accoucher sous X au géniteur. Ils apprennent parfois trop tard ou même jamais qu’ils sont le père de l’enfant.

Comme la mère, le père dispose d’un délai de deux mois (en France) après la naissance pour reconnaître le bébé, avant que celui-ci soit considéré comme adoptable. Les cas de pères biologiques mis à l’écart de ces naissances secrètes défraient régulièrement la chronique française : récupérer son enfant, même si des tests ADN confirment la filiation, devient un rude combat, passé le délai des deux mois.

Ils seraient 400.000 en France à appartenir à la famille X. Autant d’histoires à comprendre et à connaître. “On ne peut pas se permettre de juger ces situations particulières et personnelles, estime Valérie Provost. Mais accompagner, par le biais d’associations, les mères qui sont parfois dans une très grande détresse les aiderait sûrement dans leurs décisions.” Car un accouchement sous X reste une épreuve tant pour la maman ou son entourage et que pour le bébé.

// VIRGINIE TIBERGHIEN

(1) La Code est une coordination de 11 ONG actives dans le domaine des droits de l’enfant.

Une bouteille à la mère

1975, Myriam a 14 ans quand elle apprend qu’elle attend un enfant : “J’ai découvert ma grossesse sur le tard. Mes parents ont alors fait pression pour que j’accouche sous X. L’honneur de la famille serait ainsi préservé. Je leur ai proposé pourtant qu’ils adoptent mon enfant, pour ne pas en être séparée. Mais ils ne voulaient pas de cette solution, de peur que je fasse un jour valoir mes droits sur cet enfant.

Pendant les quatre mois de grossesse qu’il me restait, j’ai dû me cacher des regards. Je ne fréquentais plus l’école, dès qu’on sonnait à la porte, je montais me cacher. Une énorme comédie a été orchestrée par mes parents : pour les gens de l’extérieur, je souffrais d’une dépression qui m’obligeait à me terrer chez moi.

Le jour de la naissance, je suis partie à Lille accoucher dans l’anonymat le plus total. J’ai trouvé ce système très violent car je n’ai pu laisser aucune trace de moi pour ma fille. Je ne l’ai même pas aperçue ; le personnel hospitalier l’a directement emmenée loin de moi et il m’était interdit de la voir dans les jours qui ont suivi. Cette période a été très difficile à vivre : à la maternité, j’entendais des bruits d’enfants. Mais je devais rester dans ma chambre et étais complètement coupée de mon bébé. Je ne pardonnerai jamais à mes parents de m’avoir forcée à accoucher dans l’anonymat, même si mon père, qui sait que j’essaie de retrouver ma fille, me soutient et l’accueillerait à bras ouverts.

Aujourd’hui, j’ai fondé une famille qui est au courant de cette histoire. J’ai deux garçons et une fille. Mais je considère avoir quatre enfants. Pas un jour ne passe sans que je pense à celle née sous X. J’ai essayé de la retrouver via Internet. En vain ! Je ne connais pas son prénom, je ne sais pas si elle a été adoptée, si elle est toujours en vie. Je possède uniquement sa date de naissance et paraît-il, à l’époque, pour brouiller les pistes, certains enfants recevaient une nouvelle date de naissance.

Je voudrais lui raconter son histoire, lui dire d’où elle vient. Je me sens coupable : selon les dires, les nés sous X gardent un certain traumatisme de cette absence de racines. J’aimerais qu’elle ne connaisse pas cette souffrance. Je ne veux pas l’accaparer : elle ne me considérera sûrement jamais comme sa mère et je le comprends. Mais je veux qu’elle sache que je ne l’ai pas abandonnée parce que je ne l’aimais pas. Elle tient une place dans mon cœur au même titre que mes autres enfants.”

// PROPOS RECUEILLIS PAR VIRGINIE TIBERGHIEN


Réagir à cet article

Retour à l'index

"Familles"

haut de page