Environnement
(16 avril 2012)
Dis-moi où tu habites, je
te dirai comment tu vis
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© Pierre Rousseau/Belpress |
On
n’habitera plus en Wallonie, demain, comme on y habite aujourd’hui. un
basculement est en passe de se produire. les enjeux – cohésion sociale,
mobilité, énergie… – sont énormes. Au cours de deux récentes journées
d’études, le Mouvement ouvrier chrétien (moc) a voulu marquer de son
empreinte les défis qui attendent l’aménagement du territoire au sud du
pays.
D’ici à huit ans, la Wallonie devrait compter
247.000 habitants en plus (par rapport à 2010). La décennie
suivante, il faudra compter avec une nouvelle fournée de 190.000 âmes
supplémentaires. Cette évolution, qui n’est pas spécifique au sud du pays,
est liée à la pression migratoire et, surtout, au vieillissement de la
population. Où va-t-on loger tout ce beau monde, alors que 32.000 personnes
vivent dans l’attente de décrocher un logement social (pour ne parler que de
cette population-là)? C’est que, parallèlement à cette évolution
démographique, nos habitudes de vie évoluent également : la taille des
ménages est de plus en plus réduite, les familles monoparentales et les
individus vivant seuls sont de plus en plus nombreux. De là, le besoin accru
de logements.
Le discours
dominant, aujourd’hui, en appelle à la fin de la dispersion tous azimuts de
l’habitat. Et ce n’est pas par hasard! Depuis les années soixante, la
Wallonie a pris l’habitude de favoriser l’éclatement des zones d’habitat
(comme celui, d’ailleurs, des zones d’activités économiques). Mais cette
dispersion coûte cher, très cher, à la collectivité. Ainsi, connecter une
parcelle bâtie aux équipements et raccordements publics (éclairage,
égouttage, voirie, eau, gaz, électricité…) reviendrait à près de 5.200 euros
pour une parcelle de 7 mètres à front de voirie et à 15.800 euros pour une
parcelle de 30 mètres(1). De plus, cette dispersion encourage la population
à s’en remettre exclusivement à la voiture individuelle pour ses
déplacements. A ce stade, cela reste jouable pour certains revenus. Mais
pour combien de temps, alors que la très sérieuse Agence internationale de
l’énergie estime plausible le scénario du doublement pur et simple du prix
du pétrole à l’horizon 2035?
Une Wallonie “à la
Flamande”
Avec ou sans les
chiffres, on sent confusément que cette dispersion – certains parlent
d’“étalement urbain”, de “mitage territorial”… – n’est plus tenable. Pour
des raisons économiques, certes, mais aussi paysagères : les abords de
certains villages ou villes wallons ressemblent de plus en plus, avec leurs
ramifications bâties en étoile le long des axes routiers, à cette Flandre
ultra-urbanisée d’où la campagne semble avoir définitivement disparu. Le
hic, c’est qu’il y a un gouffre entre les déclarations et les actes. “On
continue bel et bien à disperser au mépris de la gestion parcimonieuse du
sol, pourtant inscrite dans la législation dès 1999, s’insurgeait récemment
Pierre Georis, Secrétaire général du mouvement ouvrier chrétien (MOC) lors
d’un colloque organisé à Charleroi(2). C’est à se demander si la politique
d’aménagement du territoire peut être autre que purement déclaratoire : on
dit ceci et on fait cela”. Les faits appuient ce constat: selon une étude de
l’Iweps publiée en septembre dernier(3), l’essentiel de l’habitat, tel
qu’il s’est érigé entre 2001 et 2007, a continué à s’éloigner des zones déjà
bâties et des centres de communications préexistants (gares, zones
desservies par les transports en commun…). Y compris dans les zones rurales
qui – fait aggravant – disposent pourtant de réserves foncières en leur
sein, à proximité de services comme les crèches, les écoles, les
infrastructures de commerce et de loisir, etc.
Les temps changent,
pourtant. Le gouvernement a récemment invité les 262 communes wallonnes à
définir leurs “noyaux d’habitat”. A l’avenir, les investisseurs privés et
publics construisant dans ces zones devraient bénéficier de primes
spécifiques et d’aides ciblées de la part des autorités régionales. Un
régime de discrimination positive, en quelque sorte, comme il en existe déjà
dans les écoles ou les quartiers “difficiles”: pour orienter, on aide
davantage. Bouleversant la tendance de fond de ces cinquante dernières
années, ces intentions gouvernementales ont semé l’inquiétude dans les
campagnes, certains édiles ruraux craignant – ou faisant mine de craindre, à
quelques mois des élections communales – que les campagnes allaient être
oubliées au profit exclusif des villes. Par la voix de son ministre de
l’Aménagement du territoire, Philippe Henry, le gouvernement wallon a tenté
de rassurer : les plans de secteurs ne seront pas réécrits, les particuliers
ne doivent pas craindre une dévaluation de leur terrain, les services et les
transports ne seront pas touchés…
Mixité
sociale
Au MOC, on se sent
en phase avec ce projet de densification de l’habitat, surtout si celle-ci
se réalise, par exemple, via la rénovation de friches industrielles
désaffectées dans les villes. Même si, comme l’explique André Boulvin,
Secrétaire du mouvement pour la province de Namur et membre de Commission
régionale d'aménagement du territoire (CRAT), il faudrait aussi insister,
idéalement, sur une autre vertu de cette dynamique: elle freine
l'empiètement sur les terres agricoles. Mais ce recentrage de l’habitat ne
doit pas se réaliser à n’importe quelles conditions : il faut veiller à ce
que l’accessibilité aux services collectifs et à l’emploi soit garantie pour
tous les publics, particulièrement les plus fragiles : jeunes, chercheurs
d’emploi, personnes âgées ou handicapées, femmes seules avec enfants, etc.
Aux yeux des
militants du Mouvement ouvrier chrétien, (lire aussi l’éditorial)
les noyaux d’habitat lancent, en somme, deux types de défi à la société.
D’abord, celui de la démocratie participative. “Malgré la transparence
croissante dans les processus de décision liés à l’aménagement du
territoire, les milieux populaires participent peu aux enquêtes publiques,
déplore André Boulvin. La technicité des procédures et des législations
pousse beaucoup de gens, qui n’ont pas le capital culturel nécessaire pour
réagir, à se désintéresser des débats. Allons vers eux pour les aider à
décoder les enjeux ! Au-delà de la consultation, c’est la concertation qu’il
faut privilégier”. Deuxième défi : celui de la cohésion sociale. “Il faut
favoriser la coopération – et non la compétition – entre les sous-régions
wallonnes. Surtout, il faut encourager la mixité des fonctions (habitats,
commerces, bureaux…) et des populations. La seconde, tout le monde la prône,
mais d’abord pour les autres! Or, contrairement à ce qu’on pense souvent, la
mixité des fonctions n’entraîne pas automatiquement la mixité sociale ni
intergénérationnelle”. Et de citer, pour illustrer a contrario son propos,
les noms de lieux où se sont érigées les principales cités sociales du grand
Namur : “Haute bise”, “Tout vent” et “Peu d’eau”. Tout est dit…
// PHILIPPE
LAMOTTE
(1) Etat de
l’environnement wallon 2006/2007
(2) 90ème
semaine sociale Wallonie-Bruxelles du MOC, “l’Odyssée de l’espace”,
Charleroi, 29 et 30 mars 2012.
(3) www.iweps.be -
081/46.84.11
Ne touchez surtout pas à
mon jardin !
Quoi de
plus normal que de s’émouvoir lorsqu'on touche à son paysage préféré, sa rue
ou son jardin? La difficulté réside dans le fait de parvenir à se mobiliser
collectivement, à dépasser le point de vue individuel, à envisager ensemble
l’espace.
Dans les questions d’aménagement du territoire,
le qualificatif de “Nimby” est fréquemment utilisé.
Littéralement : “Not in my backyard”, soit en français : “Pas dans mon
jardin”. L’extension d’une voirie, l'implantation d'un parc à conteneurs,
l’ouverture d’un centre d’hébergement pour demandeurs d’asile ou pour
toxicomanes… ont la réputation de provoquer les foudres du voisinage,
craignant de voir son confort de vie dégradé. “Matière vaste et complexe,
l’aménagement du territoire est capable de passionner jusqu’au coup de sang
les plus tièdes de nos concitoyens”, constate Hélène Ancion
d’Inter-Environnement Wallonie(1).
Egoïsme
versus vitalité locale
Le phénomène Nimby
est souvent connoté négativement, observe l'administration wallonne (SPW)
qui gère l’environnement en Wallonie(2). “Il serait le signe de l'égoïsme
des individus et des collectivités locales, la marque d’un refus d’assurer
les coûts de services communs ou d’entreprises dont la dynamique profite,
finalement, à l’ensemble de la communauté”. Et d’ajouter qu'a contrario,
“certains y voient aussi la vitalité d’une conscience citoyenne et du souci
d’un environnement respecté, la manifestation d’une exigence de qualité de
vie”. C’est sans doute le cas de Claire Scohier d’Inter-Environnement
Bruxelles(3) qui tempère la condamnation des attitudes “Nimby”: “Qualifier
de nimbysme est parfois un façon de disqualifier la parole du citoyen. Or,
toute parole peut être entendue, même individuelle”.
Questions
d’alliances
Derrière toute
demande peut se cacher une critique pertinente. Mais, il est de la
responsabilité des pouvoirs publics et des initiateurs de projets, estime
Claire Scohier, de réaliser la concertation le plus en amont possible et
d’éclairer sur les enjeux globaux du projet. Réduire la participation du
citoyen-voisin à un sondage d’opinions ou à une enquête de satisfaction ne
permet pas de construire de l’intelligence collective, de dépasser la
critique basique ni de participer véritablement à la gestion du territoire.
Il est aussi de la responsabilité citoyenne de s’engager dans des alliances
où combat environnemental et combat social s’articulent.
Là, toutes les
idées se côtoient et doivent entrer en dialogue : celles du chômeur comme
celles du cadre, de la mère célibataire, de l’immigré retraité. Un exercice
de démocratie à défendre. D’autant que dans ces matières, il est aisé de se
réfugier derrière une réglementation complexe et le jargon des experts pour
confisquer la voix des habitants. “Résister, c’est créer”, conclut Claire Scohier.
// CATHERINE DALOZE
(1)
Inter-Environnement Wallonie : 081/39.07.50 –
www.iew.be
(2)
http://environnement.wallonie.be/
(3)
Inter-Environnement Bruxelles : 02/893.09.09 –
www.ieb.be
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