Éditorial
(16 avril 2012)
La santé
et les pierres !
L’aménagement
du territoire était au cœur de la semaine sociale organisée par le Mouvement
ouvrier chrétien, fin mars dernier. L’occasion, pour chaque individu mais
aussi pour la collectivité, de réfléchir à la manière de construire un
“vivre ensemble” qui dépasse de loin les simples questions économiques ou
sociales.
Le
Moc a choisi de
s’attaquer à un sujet particulièrement sensible de part les tensions qui le
traversent. Entre l’emploi et le développement durable, entre le poids des
lobbies et la défense des plus fragiles, entre le phénomène du “pas dans le
fond de mon jardin” et les enjeux du développement économique, l’aménagement
du territoire est au cœur de nos projets de société (lire aussi
Dis-moi où tu habites, je te dirai comment tu vis).
Mon environnement,
aussi celui des autres !
L’extension du modèle d’habitat “quatre façades et
petit jardin” a mis les communes, les pouvoirs publics mais aussi les
ménages face à des dépenses parfois inconsidérées, face à des aménagements
non respectueux des paysages et de l'intérêt du développement durable. A
contrario, vouloir grouper tous les habitats sur un espace réduit et
construire en hauteur ne serait pas – et n’a d’ailleurs pas été – la
solution alternative équilibrée non plus.
Quant aux espaces de développement
économique et au déploiement des centres commerciaux, la traduction sur le
terrain semble s’être concentrée sur la circulation routière des
marchandises et non sur l’intégration sociale des projets. La stratégie
économique était claire : tuer les centres-villes et les petits commerces de
proximité pour attirer les consommateurs vers les grandes surfaces. Des
grandes surfaces qui, depuis, réinventent les épiceries de quartier… On a
mis à mal une économie locale et de petits indépendants sans réfléchir à
leur rôle social inscrit dans un espace de vie commun.
Le résultat visible
des choix pris par les politiques dans le cadre de l’aménagement du
territoire est illustratif de ce qu’il n’est souvent que le compromis
d’intérêts à court terme. Il reflète trop souvent également les égoïsmes
individuels du moment en transcrivant dans l’espace les rapports de force
entre les milieux financiers, agricoles et sociaux. Les illustrations
pourraient être nombreuses et, plus on se rapproche des lieux de décisions
décentralisés comme les communes, plus on voit à quel point les positions
adoptées par un groupement de quartier, les pressions d’un propriétaire
terrien ou la lubie d’un dirigeant peuvent avoir comme résultat une
urbanisation, un dessin du paysage qui reflète davantage les changements de
pouvoir et de rapports de force que la continuité d’une pensée sociale et du
bien vivre en commun.
Pourtant aménager le territoire, c’est le structurer
en vue de favoriser de manière durable et solidaire le développement des
populations concernées sur le plan social, culturel et économique.
L’habitat
déterminant pour la santé
Pour la Mutualité chrétienne et ses partenaires
comme Altéo (mouvement social de personnes malades, valides et handicapées),
ou l’UCP (mouvement social des aînés), les questions d’aménagement du
territoire ne sont pas sans rapport avec la santé, le bienêtre.
La qualité
du milieu de vie est un des facteurs déterminants de la santé. Un habitat
qui ouvre à l’intergénérationnel ne devrait-il pas être pensé pour évoluer
avec la vie de la personne et de sa famille ou de son groupe social?
L’espace public ne devrait-il pas être réfléchi pour permettre à tous - et
en particulier aux plus fragilisés - de se déplacer en toute sécurité? Le
bien-être individuel dans son lieu d’habitation est certes légitime. Mais il
y a lieu de réfléchir aussi au-delà : à la préservation des zones de
paysages, au développement d'une économie localisée… Ces aspects doivent
donner les balises et les éclairages aux projets développés.
La manière dont
nous avons développé un habitat périurbain est très illustrative des
politiques d’exclusion et prend encore plus de relief quand on le compare à
la France. Ce pays voisin a développé des zones d’habitat périphériques
autour des villes avec des moyens de communication et infrastructures
orientées vers les centres urbains (c’est le cas de Paris). Ces couronnes
ont permis de préserver et de réintégrer des zones agricoles, des paysages
naturels… laissant de vrais espaces libérés.
Dans notre pays, nous avons
bâti le long des axes, en reliant les villages entre eux par de longues
rangées de maisons. Conséquences? Une augmentation importante des coûts et
temps de déplacement, un accès très difficile aux transports en commun, une
hausse des risques d’accidents routiers (qui coûtent très cher en qualité de
vie et de santé) … Mais beaucoup de gens ont un jardin où retrouver un
contact heureux avec la nature...
Outre l’accès géographique et physique, se
pose la question de la qualité de l’espace de vie. Beaucoup de citoyens se
voient dans l’obligation de réduire cet espace pour pouvoir se l’offrir. Or
la qualité d’un logement se jauge autant à ce qu’il permette des espaces de
relations qu’à des moments d’isolement. Et ce qui est vrai pour l'espace
familial l’est aussi pour l'espace public.
L’esthétique et l’harmonie
En
matière de bien-être et de santé, notre rapport à notre environnement, à sa
beauté est une dimension sous estimée. Le rapport à l'esthétique est
structurant dans notre rapport aux autres et à la vie. Si cette dimension
est souvent passée sous silence quand on évoque l'aménagement du territoire,
elle n’en semble pas moins importante : paysages naturels ou structurés par
l'histoire, matériaux utilisés et permis, respect du relief par rapport à
l'habitat, harmonie entre les espaces cultivés et naturels... L'aménagement
du territoire est le reflet de ce que nous sommes, individus et communautés.
Ce levier politique illustre la maturité de notre relation au temps et à
notre histoire commune. Il reste des pierres pour construire une société qui
ne soit pas faite de “briques” et de broc instantanés... !
Alda Greoli//Secrétaire nationale
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