Enseignement
(17 novembre 2011)
► Lire également :
Le coaching scolaire pour réussir à l’école?
Je t'aide, moi non plus
La remédiation, dans l’enseignement secondaire, n’est pas seulement le petit
coup de pouce nécessaire pour mieux comprendre une matière “loupée”. Elle
est, plus fondamentalement, un tremplin pour l’égalité des chances. En
sondant les enseignants qui la pratiquent et en leur servant de porte-voix,
la Fondation Roi Baudouin souhaite tendre la perche à tous : les profs, mais
aussi les responsables politiques et... les parents.
|
©
Claire
Deprez/Reporters |
De retour de son école brabançonne,
Fabrice (15 ans) affiche sa mine des mauvais jours.
Demain, à la sortie des cours, il devra rester une heure de plus à l’école
pour potasser ses leçons, sous le regard sévère de l’éducateur. “Tous en
remédiation!” s’est exclamé, ce matin, son prof de math, désignant une
quinzaine d’élèves chahuteurs et peu motivés. La galère ! Dans son école
ardennaise, Nicolas, lui, se réjouit plutôt de l’arrivée du jeudi. C’est le
jour où, avec les 500 élèves de son établissement, il participe à des
ateliers de “développement” ou de “dépassement”. Il y rencontrera notamment
son tuteur, de deux ans son aîné, qui l’aidera à mieux comprendre son cours
de français où, en ce moment, il patauge. Ces ateliers, il les adore ! Les
profs sont plus cool, plus détendus, et Nicolas les découvre sous un autre
jour. Chaque jeudi, il a l’impression de se sentir mieux dans son école.
Camille, elle, en deuxième
année d’une école hennuyère, prend son courage à deux mains: alors que
toutes ses copines filent en récréation, elle doit rejoindre un petit groupe
d’ados en retard dans le cours d’anglais pour cinquante minutes de
rattrapage. Dur, ce “cours” en plus ! Mais son “coach” est super: c’est le
prof d’anglais de troisième année, qu'elle apprécie. Car elle enseigne
autrement que son prof à elle, elle prend le temps, elle ne “lâche” pas tant
qu’on n’a pas compris.
Trois exemples, bien différents, de la façon très variée (il y en a des
centaines!) dont peut s’exercer aujourd’hui la remédiation en Communauté
française. Du moins la remédiation interne à l’école, celle qui, idéalement,
devrait s’exercer en toute priorité à l’égard des élèves en difficulté ou en
échec scolaire. Depuis cinq à six ans, elle se complète d’une offre privée
qui n’a plus grand-chose à voir avec les cours particuliers mis en place par
des profs soucieux d’arrondir leurs fins de mois, ni avec les écoles de
devoirs et autres initiatives associatives. Aujourd’hui, c’est une véritable
offre commerciale structurée qui s’adresse aux élèves en difficulté, dotée
d’une force de frappe publicitaire qui n’hésite pas à jouer sur le sentiment
de culpabilité des parents ou leur inquiétude face à l'obtention du
sacro-saint diplôme. Venue de France, cette vague commerciale, à laquelle
des milliers de familles ont
déjà recours chez nous, a au moins l’avantage de contribuer à faire sortir
du marché noir une activité présumée florissante. Et, théoriquement, à
fournir un accompagnement personnalisé et professionnel au jeune menacé par
le décrochage.
Privatisation larvée
Mais, dans le secteur de l’enseignement, pas mal d’acteurs s’inquiètent.
Déjà mal en point, avec un taux de redoublement et d’échec beaucoup trop
élevé (selon les sources, 18 à 34% des élèves quittent l’enseignement
secondaire francophone sans diplôme)(1), l’enseignement
francophone ne se tire-t-il pas une balle dans le pied en tolérant, voire en
encourageant ce type de marché? Ne déroule-t-il pas le tapis rouge à sa
marchandisation? Ainsi, à ceux qui peuvent s’offrir de tels cours (vendus en
moyenne à 30 euros de l’heure – et jusqu’à 50 euros), la porte de la
réussite scolaire resterait largement ouverte. Mais à ceux qui, pour une
question de revenus, ne pourraient se les offrir, il ne resterait plus que
les remédiations organisées par les écoles elles-mêmes ou celles des écoles
de devoirs ou des associations. Qui sont souvent précaires et ne comptent
pas nécessairement cette remise à niveau parmi leurs missions prioritaires.
Certes, bien qu’absente du Larousse, la “remédiation” figure, depuis une
quinzaine d’années, sur toutes les lèvres et dans de nombreux textes légaux
de la Communauté française. Elle se veut substitut au redoublement, dont les
pédagogues affirment qu’il ne résout rien, strictement rien, au décrochage
de l’élève en difficulté, sinon à lui donner une piètre image de lui-même et
à le faire douter de ses capacités. Mais, bien que mise en œuvre avec une
créativité et un dynamisme époustouflants dans certaines écoles, en
recherche constante d’efficacité pour tous leurs élèves, la remédiation se
pratique encore trop souvent avec des bouts de ficelle, dans l’insécurité
et, trop souvent, avec des arrangements d'horaire un peu branlants. Tel est
l’un des constats de la Fondation Roi Baudouin (FRB) qui, pendant plusieurs
mois, a favorisé l’échange d’expériences parmi les enseignants issus de 48
écoles francophones secondaires, tous réseaux confondus.
En classe d'abord
Que retenir de ce long travail de piochage et d’inspiration chez ceux qui
font l’école – et la remédiation – au quotidien, organisé en collaboration
avec le mouvement socio-pédagogique Changement pour l'Egalité (CGé)?(2)
•
D’abord, et c’est fondamental, que
la remédiation, lorsqu’elle se donne les moyens de ses ambitions, heurte de
plein fouet la logique de sélection et d’exclusion qui, trop souvent, reste
encore pratiquée dans les établissements.
“L’Ecole ne tient pas suffisamment compte des changements intervenus
dans la société ces dernières années, explique Françoise Pissart,
directrice à la FRB. D’abord, sa population est devenue plus
multiculturelle. Ensuite, près de 17% des jeunes appartiennent aujourd’hui à
des familles vivant sous le seuil de pauvreté. Cette diversité, la “culture
scolaire” ne l'a pas suffisamment intégrée”. Or, c’est bien ce
public-là qu’il s’agit d'aider en priorité, dans une logique d’égalité des
chances et de promotion sociale.
•
La remédiation doit-elle être obligatoire ou facultative? Assurée par
l’enseignant de l’élève en difficulté ou par un autre prof, gage d’ “air
frais”, voire par des pairs? Individuelle ou dispensée à de petits groupes,
voire à des classes entières? La FRB ne tranche pas, par égard aux
contingences propres et à l'autonomie pédagogique de chaque établissement.
Mais elle avertit:
la remédiation est, avant tout, l’affaire du professeur titulaire du cours.
Celui-ci doit être suffisamment outillé (et motivé!) pour détecter les
difficultés de ses élèves dès leur apparition (dysorthographie, dyslexie,
dyscalculie, dyspraxie, troubles de la concentration, etc.) et – c’est là
que le bât blesse souvent – adapter ses méthodes selon une approche
pédagogique différenciée. “Il ne sert à rien de refaire la même chose
une fois de plus (NDLR: avec l’élève en difficulté)”, explique le
rapport. Quantité de méthodes pédagogiques ont été mises au point (gestion
mentale, PNL, intelligences multiples, aspects ludiques, etc.), mais elles
semblent avoir du mal à percoler jusque dans les classes. Cela ne manque
pas, en tout cas, de poser la question: l’école fondamentale, censée
détecter ces problèmes en amont, est-elle suffisamment outillée, elle aussi,
pour mener à bien cette tâche? On
notera, au passage, que le Contrat pour l’Ecole, signé en 2004, avait
prévu des mesures pour outiller les enseignants dans ce domaine dit de
“réaction immédiate” aux difficultés. Dommage que la FRB, sept ans plus
tard, ne se soit pas risquée à évaluer le respect cette disposition
•
Corollaire du constat précédent.
Mal conçue, la remédiation peut faire plus de tort que de bien.
Eh oui… des études britanniques et françaises ont démontré, il y a quelques
années, que les élèves les plus
aidés en remédiation étaient ceux qui progressaient le moins! Pourquoi? Car,
extraits de leur classe le temps de la remédiation, ils étaient stigmatisés.
Pendant la ou les séance(s) d'aide, la classe, débarrassée de ses élèves en
difficulté, avait avancé plus vite dans le programme, creusant l’écart et
rendant le retour en classe d'autant plus brutal. La FRB insiste donc: la
coordination entre le professeur de matière et le professeur de remédiation
est impérative. En aucun cas, le premier ne peut voir la remédiation comme
une manière de refiler la “patate chaude” à son collègue. De là,
l’importance d’une institutionnalisation de la remédiation au sein de
l’école, garantie par la direction. A elle, par exemple, de confier celle-ci
à des enseignants intéressés par ce dispositif et expérimentés (davantage
qu'en veillant uniquement à la logique de répartition des heures de cours)
et à l’inscrire dans le projet éducatif de l’établissement. Via, par
exemple, la nomination d’un coordinateur.
•
L’appel est également lancé aux parents.
Leur représentation de l’école est parfois dépassée. Ils sont trop
nombreux à penser, plus ou moins explicitement, qu’une bonne école est celle
qui “buse”, qui “pète”, qui exclut les élèves (des autres, de préférence…).
Résultat : on en arrive à l’absurdité selon laquelle l’école en recherche et
en tâtonnement, qui se bat pour récupérer ses élèves les plus fragiles,
finit par être vue comme une école faible ou de mauvaise qualité, alors
qu’elle assume au contraire ses missions les plus nobles: la réussite pour
le plus grand nombre. Il est vrai que les écoles pèchent parfois par manque
de transparence. Et que la complexité des processus
de remédiation, voire leur inconstance (faute de moyens et/ou
d’organisation et/ou de motivation) n’est pas faite pour inciter les parents
à s’adresser au corps enseignant et a parfois tendance à les précipiter dans
les bras du secteur privé.
•
Enfin, un peu inhabituellement, ce n'est pas l'augmentation des moyens
consentis à l'école que les professeurs rassemblés par la FRB réclament...
Mais bien une certaine stabilité dans les aides allouées, vu la propension
des ministres à détricoter (puis retricoter) l’œuvre de leur prédécesseur.
Pourtant,
en filigranes des observations de ces profs remédiateurs, on sent la trace,
parfois la marque plus explicite, de revendications qui
dépassent – et de loin – la stricte organisation de la remédiation ou
les “mesurettes” internes aux écoles.
Deux exemples: le passage au master (cinq ans d’études) pour tous les
régents, à l’instar de très nombreux pays d’Europe, et l’adoption d’un
“tronc commun” de formation pour tous les enfants jusque 14, voire 16 ans.
Ce qui, là aussi, de l’avis de nombreux pédagogues intéressés par les succès
étrangers, garantit un taux de réussite bien plus élevé que chez nous. Tout
un programme.
// Ph. Lamotte
(1) Le redoublement coûterait 6 % du budget de
l’enseignement francophone, soit 335 millions d’euros par an.
(2) Le rapport est disponible à la Fondation Roi
Baudouin. www.kbs-frb.be ou
070/23.37.28.
|