Enfance (2
septembre 2010)
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L'hypersexualisation envahit l'enfance
La beauté et la séduction, souvent associées à des images connotées
sexuellement… s'imposent tous les jours à nos yeux. Dans les médias, les
conversations et les comportements, le “paraître” reste très important. Dès
leur plus jeune âge, filles et garçons l'ont bien compris et en jouent,
allant parfois jusqu'à la provocation et la vulgarité. Mais comment grandir
dans une société où l'hypersexualisation règne en maître?
Des
strings pour petites filles, des chaussures et petites bottes à talons pour
bébé… débarquent
dans les magasins, sont en vente sur le Net… et trouvent des acheteurs. La
mode sexy ne touche plus seulement les adultes mais se propage dans la jeune
génération. Une nouvelle tendance contre laquelle les écoles doivent parfois
réagir en imposant un code vestimentaire plus strict. La mode “Lolita” fait
fureur (sa dénomination fait référence au roman de Nabokov qui dépeint une
relation sulfureuse entre une adolescente et un homme d'âge mûr). La
séduction, voire la provocation, envahissent le monde de l'enfance et de
l'adolescence. Où sont les limites dans les tenues vestimentaires et les
comportements? Actuellement, la société est confrontée à “une
banalisation de la sexualité, une érotisation de la consommation et une
emprise du corps jeune “parfait” et performant, et de la réalisation de soi
à tout prix", comme le dit Jacinthe Mazzocchetti, anthropologue LAAP-UCL,
définissant ainsi l'hypersexualisation de la société (1). “Les
changements de mœurs, avec la libération de la sexualité et du corps
post-mai 68, jouent un rôle dans ce phénomènes et les médias véhiculent en
masse ces préceptes”, ajoute l'anthropologue.
Société mise à nu
Danses langoureuses en
tenue légère dans les clips musicaux, présentatrices sexy dans les émissions
télévisées de divertissement, publicités basées sur des jeux de séduction,
sur des attitudes connotées sexuellement, y compris lorsqu'elles s'adressent
expressément à un public jeune…, les exemples ne manquent pas pour constater
qu'aujourd'hui, nous sommes dans l'ère de la “pornographisation”. Emprunté
au sociologue Michel Fize(2), “ce terme caractérise cette société qui
sexualise la pensée collective par le recours massif aux images et par la
mise en scène publicitaire de la sexualité comme arrière-plan de toute
consommation.”(3).
“Les enfants et ados
ont facilement accès aux images via la télévision, Internet, le GSM…”,
ajoute Jacinthe Mazzocchetti. Aujourd'hui, l'image de soi est effectivement
très importante: on se montre sur son blog, sur Facebook… On s'affiche
partout et la place de l'intimité est quasiment réduite à néant. Certains
adolescents publient en ligne des clichés d'eux dans des tenues ou poses
provocantes sans avoir conscience de l'impact de celles-ci, faisant de leur
corps un objet de séduction.
Mince et sexy pour séduire
Depuis de nombreuses
années déjà, les diktats de la mode lient la beauté et la séduction à la
minceur. Aujourd'hui, la sexualisation des images et représentations envahit
non seulement l'univers des adultes mais aussi celui des jeunes et des
enfants, de plus en plus précocement obsédés par leur apparence, leur désir
de plaire et, pour les ados, par l'idée de s'identifier à leurs pairs.
On se rappelle le film
Little miss sunshine(4) qui tourne autour du rêve d'une petite fille de
sept ans, Olive, une peu rondouillarde: devenir reine de beauté. Au travers
des dialogues, on découvre les tiraillements auxquels peuvent être
confrontées les jeunes candidates: minceur et crème glacée ne font pas bon
ménage, le risque de devenir “obèse” en mangeant de telles sucreries hante
déjà l'esprit de la petite Olive. “A l'adolescence, comme dans l'enfance,
le jeune est constamment obsédé par la question : que dois-je faire pour
être aimé?, avance le professeur émérite UCL, Jean-Yves Hayez,
psychiatre pour enfants et adolescents (5). Et dans la société, notamment
via les médias, les personnes que l'on exhibe sont minces. Ces références,
modèles filiformes, influencent les jeunes dans leurs comportements
alimentaires qui peuvent parfois aller jusqu'à l'anorexie. Ce phénomène
touche plus les filles que les garçons.”
Parents: parlez !
La frontière entre
enfance/adolescence/âge adulte est de plus en plus ténue. A côté des aspects
physiques de la puberté qui apparaissent de plus en plus tôt, les enfants et
adolescents sont confrontés à la sexualité dès leur plus jeune âge : via les
magazines people, les séries, les émissions de téléréalité, Internet… qu'ils
peuvent consulter librement et facilement. “La solution n'est pas
d'interdire l'accès aux enfants ou adolescents ni de cacher les images ou
situations connotées sexuellement, souligne Jacinthe Mazzocchetti. Mais il
faut refaire du lien entre la génération adulte et les plus jeunes. Il faut
donner des explications, parler avec eux. C'est un peu là que le bât blesse:
il y a un manque de dialogue dans les familles, entre les générations.
Peut-être que les parents ont peur de ce que savent leurs enfants, ne voient
pas comment s'y prendre pour leur expliquer, discuter avec eux de ce sujet…
Souvent, les jeunes ont un langage, un vocabulaire cru que les adultes,
parfois, ne saisissent même pas. Cela peut effrayer les parents. C'est
pourquoi, parfois, il est bon de se tourner vers une tierce personne :
professeur, éducateur, animateur, oncle, grand-mère… sont peut-être plus à
même, ou plus à l'aise, d'aborder le sujet avec l'enfant ou le jeune.”
L'enfant se réfère à des
modèles de la société mais aussi à son entourage et à ses propres parents. A
cet égard, il y a lieu de s'interroger sur les attitudes des parents et
adultes qui renforcent eux-mêmes l'hypersexualisation ambiante dès le plus
jeune âge. Ainsi, certaines mères sont parfois dans la même exposition de
leur corps que leur progéniture, achètent des tenues aguichantes à leur
gamine et sont fières que celle-ci ressemble à une petite femme, soit
regardée et suscite du désir.
De la même manière,
comme un parent rêve que son enfant devienne un prodige de piano ou un
champion de tennis, certains parents se projettent tellement dans leur
enfant qu'ils veulent à tout prix en faire des mini-stars.
Enfin, nombreux sont les
adultes qui suggèrent aux plus jeunes des comportements d'adultes. Il n'est
pas rare, par exemple, d'entendre dans des conversations un parent demander
à son enfant s'il a un amoureux ou une amoureuse. Insinuant ainsi que la
norme, même à son jeune âge, est d'être “en couple”. Souvent, c'est aux
adultes à se remettre en question, plaide en conclusion le Professeur
Jean-Yves Hayez.
// Virginie Tiberghien
(1) “Hypersexualisation et relations amoureuses.
Témoignages d'adolescents”, Jacinthe Mazzocchetti. Brochure réalisée dans le
cadre de “Charleroi communique”.
(2) “Les enfants, les adolescents et la société
pornocratique”, Michel FIZE, in Cultures et mouvements, n° 63, 2004.
(3) “Pornographisation et relations amoureuses des
adolescents”, Jacinthe Mazzocchetti., in Amours virtuelles. Conjugalité et
Internet, Academia-Bruylant, Louvain-la-Neuve, 2009, pp.135-146.
(4) Little Miss Sunshine, Film de Jonathan Dayton et
Valerie Faris, Avec Abigail Breslin, Greg Kinnear, Toni Collette, 1h41.
(5)
www.jeanyveshayez.net
Concours de mini-miss ou le règne de la séduction |
|
© AP/Reporters |
Ils et elles sont parfois très jeunes. Et avec aisance et grâce… et
parfois provocation, ils défilent en tenue affriolante sur scène.
Sourires, clins d'œil, poses osées, ces marmots participent à des
concours de beauté. Loin de la candeur de l'enfance, ils adoptent
souvent des comportements de séduction.
Débarquées des
Etats-Unis, les compétitions enfantines de beauté ont le vent en
poupe chez nous et font débat. “Dans leurs activités (extra)scolaires,
les enfants se retrouvent fréquemment 'en compétition' avec leurs
pairs. (…) Mais dans les concours de beauté, ce ne sont pas des
critères objectifs qui départagent les participants. La beauté, le
charme, l'aspect physique sont des critères subjectifs”,
accusent d'une même voix plusieurs associations (1).
“La frontière
entre les âges et statuts est brouillée dans de tels événements”,
précise de son côté Jacinthe Mazzocchetti, anthropologue.
En février
dernier, une polémique était née autour de l'élection de la petite
Julia Lira, 7 ans, propulsée à la tête du cortège du carnaval de Rio
pour endosser le rôle de “reine du carnaval”, un titre généralement
remis à une danseuse adulte pour ses charmes. Désigner une gamine
comme symbole de la sensualité pose question. Les concours de
mini-miss connaissent les mêmes dérives. “Les petites filles qui
défilent se comportent en ‘femmes miniatures’. Elles adoptent des
codes de séduction qui ne sont pas en adéquation avec leur âge
(démarches chaloupées, sourires enjôleurs, regards en coin et clin
d'œil…).” (1) Souvent prises innocemment, ces attitudes
provocantes, ces corps érotisés, peuvent attiser le désir chez
certains spectateurs. Comme l'explique en substance Jacinthe
Mazzocchetti, de manière générale, les enfants et les jeunes ne sont
pas conscients que leurs comportements ou ports vestimentaires
(comme le fait de porter un string qui dépasse du pantalon) peuvent
être provocants et avoir des conséquences fâcheuses.
//
VT
(1) Extrait de la brochure “Concours Mini Miss /
Mini Mister, un jeu d'enfants?” réalisée par des associations
tournaisiennes telles que Vie féminine Région picarde, la Ligue des
familles… Disponible sur
www.yakapa.be (onglet “Professionnels”) |
Pas seulement un “truc de filles” |
On pourrait
penser que l'hypersexualisation ne touche que la gente féminine. Au
contraire, les garçons sont aussi soumis à ce phénomène. Les tenues
vestimentaires provocantes, il en existe également chez les garçons:
les pantalons tombant sur les fesses et montrant le slip sont de
plus en plus courants. |
Pour eux, d'autres caractéristiques physiques sont mises en avant:
“Les jeunes garçons portent le poids de la performance, explique
Jacinthe Mazzocchetti, anthropologue (LAAP-UCL). En aucun cas, ils
ne doivent perdre la face dans ce domaine. Ils se réfèrent souvent
aux scènes de la pornographie, très éloignée de la réalité. Ne pas
atteindre cette performance peut engendrer une réelle souffrance
chez les garçons.” |
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