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Enfance (15 mars 2012)

> Lire également : Dans un monde pressé

L’enfance suractivée

© Philippe Turpin/Belpress

Aussi indispensable que l’équilibre entre veille et sommeil, l’alternance de l’action et de la détente s’impose. Le principe pourrait sembler banal. Il n’en est pas moins oublié au gré de l’hyperactivité et du souci de performance qui nous emportent tous, même les tout-petits.

Qu’est-ce qu’on fait maintenant?” Cette question lancinante des enfants vient titiller nombre de papas ou de mamans. Et comme pour Claire, c’est la panique. “Que vais-je inventer pour les occuper? Mes idées fuient, je me sens coupable. Ils s’ennuient et je ne trouve rien à leur faire faire.” Il faut dire que la vie de Claire est bien rythmée : “Rentrés à 17h30, c’est la course. Achever les devoirs avec l’aînée, terminer cette queue de repassage, faire la liste des courses pour demain, répondre au téléphone à ces gens qui savent ne me trouver chez moi qu’à cette heure, préparer le repas. Vraiment, moi, je ne connais pas les temps morts, jamais. (…) Si j’en veux, il me faut les voler, les arracher au temps qui court. Les enfants aussi sont pressés par le temps et quand ils n’ont plus rien à faire, les voilà perdus

Et si on apprenait à s’ennuyer un peu?”, lance-t- elle à ses enfants surpris. Est-elle tombée sur la tête? Ne préfèrerait-elle pas leur lire une histoire, jouer avec eux, pour tuer le temps? Après un moment de scepticisme face à l’obstination de Claire, sa fille entamera le récit de son après-midi ; son fils boudeur disparaîtra dans la cuisine et commencera à discuter avec son cobaye. “Sans anxiété, ne rien faire et s’y trouver bien”, conclut Claire dans son témoignage, il y a plus de vingt ans(1).

Le charme évanescent de “ne rien faire”

Que dire aujourd’hui, alors que le rythme de vie subit l’accélération, alors que les sollicitations se multiplient entre les écrans et autres portables? “Ne rien faire serait le dernier des luxes, avance le psychiatre Christophe André dans son “Apprentissage de la sérénité”(2). Un luxe suprême dans cette époque d’agitation et de pragmatisme. Une époque passionnante et féconde mais que nous ne pourrons savourer pleinement que si nous savons aussi, à certains moments, ne rien faire”. Et de raconter comment, écrivant ce chapitre autour de l’inactivité, il passe devant la chambre de sa fille apparemment loin d’être occupée à ses devoirs. “Dis donc, mon amie, tu fais quoi?”, lance-t-il. “Ben, euh, rien…” répond-elle. Un temps d’hésitation. On a tellement l’habitude de congratuler pour des exploits. Finalement, il la félicite, plutôt que de la gronder, convaincu de l’importance de ces temps de rêveries, ces temps véritablement “libres”.

Surmenés dès le plus jeune âge

A l’heure où la rentabilité, la performance, la productivité priment, les enfants ont tôt fait – trop tôt – d’être embarqués dans le forcing de l’apprentissage. Au plus précoce, au mieux. Même les loisirs participent de cette course pour acquérir des atouts supplémentaires pour la “carrière”, et les risques de surmenage ne sont pas nuls. Des professionnels interpellent, comme ce groupe informel de six kinésithérapeutes spécialisées dans la petite enfance. Elles se sont retrouvées autour de constats communs : “Nous pensons que les difficultés éprouvées par certains enfants sont, en grande partie, imputables à la société dans laquelle nous vivons. En effet, le rythme imposé à l’enfant est souvent frénétique : celui-ci court d’activité en activité, jusqu’à parfois la sur-stimulation, contre ses envies, et au détriment d’un temps de repos, de sérénité, de respect de son rythme et de son besoin fondamental de jouer”. Leur point de vue rejoint celui du chirurgien devenu psychothérapeute Thierry Janssen quand il dénonce: “trop occupés à ‘faire’, nos bambins n’ont plus l’occasion d’apprendre à ‘être’(3).

Un imaginaire bridé, voire disparu

Pourtant, intérioriser, s’approprier le monde, le ressentir est vital, rappelle Anne-Marie Hallet, l’une des six kinésithérapeutes. C’est notamment par le jeu libre que l’enfant pourra manipuler, expérimenter, construire, inventer, “faire semblant”, développer sa pensée et son imaginaire. De plus en plus tôt en maternelles, les enfants sont confrontés à des apprentissages plus abstraits comme la lecture, l’écriture et les mathématiques. Cette tendance répond probablement à l’attente de certains parents et enseignants qui en retirent quelque fierté. Mais quand il s’agit de dessiner, les jolis traits convenus de la petite maison avec un soleil remplacent les tentatives plus aventureuses de représenter ce qui se passe dans la tête. Les balises à suivre semblent tout régir ; le chemin paraît tout tracé. La créativité, la curiosité en pâtissent. L’imaginaire aussi s’appauvrit. Comme il participe largement de nos ressources intérieures, comme il aide à mettre à distance nos angoisses, à faire face à l’avenir, il y a lieu d’être inquiet.

Attendre et grandir

Combler toute demande de l’enfant le plus rapidement possible, éviter le vide, voilà l’urgence dans laquelle les adultes baignent souvent. Mais, insiste la psychologue Diane Drory dans un plaidoyer pour “le manque”(4), “l’immédiateté, refusant la notion d’attente, empêche de comprendre la matérialité du temps et entraîne insidieusement une perte de sens de la vie et, chose plus grave, engendre de l’amertume face à celle-ci”. Or grandir prend du temps et éduquer, c’est confronter au manque, initier à l’attente…

Explorer les chemins buissonniers

Quand on s’embête, on s’amuse. Mais le problème c’est qu’on s’amuse à d’autres choses qu’il faudrait”, explique avec sérieux une petite fille face à la caméra de Jacques Duez qui questionne sa classe sur l’ennui(5). Elle touche là à une autre inquiétude des adultes soucieux de surveiller leur marmaille, de les protéger des risques éventuels : un pavé glissant, un bois tranchant, un inconnu inquiétant… Laisser jouer les enfants sans la présence immédiate d’adultes, c’est pourtant nécessaire, indique le pédagogue allemand Roger Prott. Pas d’hyper-protection, pas de permissivité non plus. L’équilibre se construit dans une surveillance qui implique de pouvoir juger de ce que pourraient faire les enfants, de leur faire confiance et de les rassurer de temps en temps. Autrement, les horizons de l’enfance se rétrécissent.

L’enfant qui se trouve devant la page blanche d’un après-midi va, grâce à ce nécessaire ‘temps perdu’, explorer à son rythme, progressivement, ce qui l’entoure et y chercher le sens…, rappelle Yapaka et sa campagne “Etre parent, c’est…(6). En empruntant les chemins buissonniers du temps, il va grandir, se nourrir des messages glanés au fil de ses rêveries, de ses allées et venues entre les espaces de la maison, de ses descentes sur les rampes d’escalier, de ses ‘on disait que…’”.

Quant à l’adolescent, le temps libre – celui où il a le choix de faire une activité ou de ne rien faire – s’avère aussi utile. Il contrebalance les injonctions fortes à être actif en tout temps et dans des lieux réglementés, sous le contrôle des adultes. Il goûte à la liberté.

Conseils aux adultes

Baignant tous dans les paradoxes contemporains entre rapidité et temps de vivre, Diane Drory tente de soutenir les éducateurs. Elle trace quelques pistes éducatives – et finalement valables pour tout un chacun : apprendre aux plus jeunes le temps nécessaire pour peser ses mots malgré la fulgurance de la communication électronique, apprendre à faire le tri entre l’urgence d’une action et la nécessaire lenteur que requièrent la réflexion et la créativité, apprendre à user d’une vraie liberté, celle qui permet de choisir ce que l’on souhaite faire, dire et penser.

Aidons nos enfants à apprendre le vide pour contrebalancer le trop-plein. Invitons-les à inventer un monde qui leur correspond vraiment au lieu de leur demander des se conformer à nos modes de vie, gavés, saturés et trop pressés”, enjoint finalement Thierry Janssen. Et gardons en tête cette maxime de Jean-Jacques Rousseau, formulée voici plus d’un siècle : la plus utile règle de toute éducation, ce n’est pas de gagner du temps, c’est d’en perdre.

//CATHERINE DALOZE

(1) Témoignage publié par les éditions Feuilles familiales, en 1990, dans le dossier “Nos enfants et les loisirs”.
(2) Christophe André, “Les états d’âme. Un apprentissage de la sérénité”, éd. Odile Jacob, 2009.
(3) Thierry Janssen : “L’éloge de l’ennui”, in Psychologies magazine, février 2012.
(4) Diane Drory, “Au secours! Je manque de manque ! Aimer n’est pas tout offrir”, éd. de Boeck, 2011.
(5) “Les temps des enfants”, DVD, réalisé par Jacques Duez, prod. par l’Observatoire de l’enfance, 2007.
Voir www.oejaj.cfwb.be
(6) www.yapaka.be

 


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