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Environnement - Alimentation (21 février 2013)

Potagers : qui veille au grain ?

© Reporters

Depuis l’année dernière, les fanas du potager et les amateurs de variétés anciennes de légumes sont, malgré eux, au centre d’une partie de bras de fer sur l’échiquier européen. Deux conceptions de l’agriculture s’y opposent. Sans compter des enjeux sous-jacents en termes de santé publique.

L'été sera-t-il chaud pour les tomates Black Zebra, les épinards Matador et autres pois Serpette de Malines ? Dans le monde des associations environnementales et chez certains jardiniers, on se souvient avec amertume de l’été 2012 et on craint un nouvel orage, bien plus lourd de conséquences. Le 12 juillet dernier, la Cour de justice européenne avait rendu une décision tonitruante que rien ne laissait présager. En confirmant une certaine interprétation de la législation européenne, elle avait indirectement donné raison à un important semencier français opposé à Kokopelli, accusé de concurrence déloyale. Kokopelli est une association spécialisée dans la production et la diffusion des semences de variétés potagères anciennes, ces “légumes de grand-mère” menacés de disparition sous l’effet d’une production alimentaire de plus en plus uniformisée(1).

Vu de Belgique, où l’on ne compte que très peu de semenciers industriels, ce conflit peut paraître bizarre ou anecdotique. On comprend mal, en effet, qu’une petite association (une vingtaine d’employés) implantée dans le Gard qui, parmi plusieurs activités, envoie des semences gratuitement dans les pays du Sud pour encourager l’autonomie alimentaire ou la reconstruction après les catastrophes naturelles puisse faire de l’ombre à une importante entreprise semencière de l’Hexagone. “C’est oublier que les semenciers sont très jaloux de leurs parts de marché, corrige Caroline Ker, chercheuse à la Faculté de Droit des FUNDP (Namur) et co-auteur d’un récent ouvrage consacré à l’agroécologie(2). A l’échelle mondiale, des géants comme Monsanto rachètent à tour de bras les semenciers nationaux, se montrent commercialement agressifs et exercent un lobbying intensif sur les décideurs”.

Inaccessible sésame

Concrètement, ce que les semenciers reprochent à Kokopelli et à quelques associations ou entreprises proches, c’est de ne pas faire inscrire leurs produits au Catalogue officiel, véritable sésame pour la commercialisation des semences en Europe: sans inscription, pas d’autorisation pour le négoce! Circonstance aggravante aux yeux de semenciers : les “petits” du secteur n’utilisent pas les dispositions particulières qui, depuis 2008, leur sont ouvertes pour assouplir cette inscription. “Trop récentes, ces dispositions ne peuvent pas encore être évaluées, nuance Caroline Ker. Surtout, les associations paysannes les jugent trop strictes si bien que, de facto, les semences paysannes se retrouvent exclues du marché”. Chez Kokopelli Belgique, on ajoute que, même assouplie, l’inscription au Registre s’avère financièrement inabordable.

Des commerces en sursis

Quel impact, toute cette affaire, pour le petit maraîcher amateur? Rien, à l’heure actuelle. S’il apprécie les variétés anciennes, il peut toujours sélectionner et produire ses propres graines en toute légalité. Il ne manquerait plus que cela ! Mais, demain ou après demain, si la législation européenne devait s’inspirer de la Cour de justice, il risquerait bien de ne plus pouvoir se les procurer, faute de disponibilité dans les commerces spécialisés. Depuis l’été dernier, les petits semenciers artisanaux spécifiquement orientés sur la production de semences traditionnelles et paysannes sont aux abois. Quasiment en situation d’illégalité, ils ne doivent leur survie, en Belgique, qu’à la tolérance des autorités régionales. Celles-ci se montrent plutôt bienveillantes envers ce secteur d’activités en plein essor, dans la foulée d’un certain retour à la nature et du succès des jardins partagés et autres formules de potagers communautaires. Mais qu’en sera-t-il demain à la faveur de changements politiques ou d’une intensification du lobbying des semenciers?

Le lobbying à la manœuvre

Cette appréhension est loin d’être théorique. En effet, les autorités européennes sont actuellement plongées dans la révision - informelle à ce stade - de toute la législation sur le commerce des semences, incluant cette fois les fruits. Or l’une des personnes clés à la manœuvre est à la fois détachée du (puissant) ministère français de l’Agriculture et cadre haut placé dans le principal lobby semencier de l’Hexagone. Et, chez Kokopelli, on connaît l’adage : chat échaudé craint l’eau froide…

// PHILIPPE LAMOTTE

(1) Kokopelli dispose d’une antenne belge : www.kokopelli-be.com – 086/32.31.72.

(2)Agroécologie. Entre pratiques et sciences sociales”. Collectif d’auteurs. Educagri Editions 2012, 309 p. A lire également, sur l’agroécologie : L’autre révolution verte (En Marche du 4 octobre 2012)

 Germination en cours 

Marre des légumes tout venants, banals et insipides? Sachez alors que la tomate Burbank, commercialisée par quelques semenciers non conventionnels (lire ci-dessus), n’est pas seulement savoureuse : elle est aussi bourrée d’acides aminés essentiels. Sa collègue Caro Rich contient, elle, 10 à 12 fois plus de vitamines A que les tomates classiques. Quant aux épinards à feuillage étalé, ils sont moins riches en nitrates potentiellement préjudiciables à la santé. Quelques uns des exemples – parmi des kyrielles d’autres – que l’on met en avant à la Maison de la semence citoyenne, en bonne voie de création à Namur sous l’égide de Nature et Progrès.

L’objectif plus général de l’association, via cette maison, est de favoriser une dynamique d’échange des semences paysannes à travers la Wallonie. A terme, elle espère arriver à sélectionner les variétés les plus adaptées aux terroirs. Capables de résister - sans pesticides ni engrais chimiques - aux aléas de la nature (climatiques, biologiques…). Des centaines de sachets sont prêts à être diffusés. Une riposte constructive, parmi bien d’autres, à l’“affaire” Kokopelli.

>> Infos : www.natpro.be – 081/30.36.90.

Un modèle agricole qui vacille

© Reporters
L'heure est à la réappropriation du terroir par le consommateur. Celui-ci manifeste un intérêt renouvelé pour les variétés de fruits et légumes produites à proximité de chez lui. Pas nécessairement bio mais, en tout cas, gages d’une certaine “authenticité” et empreintes d’un rapport de confiance voire de convivialité avec le producteur. Tant mieux pour les liens sociaux et pour les papilles. Même s’il n’abandonne pas pour autant la totalité des produits standardisés achetés au supermarché, le consommateur recherche dans ces variétés un goût différent, mais aussi une texture, un parfum et presque… l’histoire d’un légume.

On aurait tort, pourtant, de ne voir dans l’avatar Kokopelli (lire ci-dessus) qu’une simple histoire de nostalgie un peu bobo, alimentée par une poignée d’adeptes du potager familial alternatif. Le cri d’alarme lancé en 2010 par la FAO (l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture) situe bien le cadre: au cours du XXème siècle, 75% de la diversité culturale dans le monde a été perdue, essentiellement sous l’action d’une agriculture intensive et de plus en plus technologique. Cette dernière a certes le mérite d’avoir contribué à nourrir le monde de l’après-guerre et à répondre à une demande alimentaire en pleine croissance. Mais, à force de viser le rendement et de reposer sur l’industrie des pesticides de synthèse, elle a abouti à ce que, parmi les milliers d’espèces végétales cultivées depuis le Néolithique, seules 150 sont encore cultivées à l’heure actuelle. Dont à peine trois (maïs, riz, blé) fournissent 60% des calories et protéines d’origine végétale produites dans le monde.

Face au défi démographique et au péril climatique, cette situation devient de plus en plus synonyme de vulnérabilité. La FAO n’en fait pas mystère, elle qui précise : “La diversité végétale constitue un précieux réservoir génétique, susceptible d’amortir les changements environnementaux et économiques”.

La science à la rescousse

Il n’en faut pas plus pour expliquer la colère des défenseurs d’une agriculture moins technologique, plus naturelle et plus paysanne, incarnée par l’agroécologie. A leurs yeux, tel qu’il fonctionne actuellement dans l’Union européenne, le système d’autorisation du commerce de semences favorise à outrance les variétés classiques, issues du génie génétique et connues pour assurer des rendements stables et prévisibles. Il pénalise - voire exclut - les variétés paysannes dont le rendement, certes plus aléatoire, n’est pas intimement dépendant de la chimie, avec tous les aléas qu’elle suppose pour l’environnement et la santé.

Mais les choses évoluent. En France, par exemple, des instituts de recherche officiels travaillent main dans la main avec des semenciers “traditionnels” pour stabiliser et améliorer le potentiel de variétés moins connues. Autre signe, tout récent, d’une évolution inéluctable : l’Autorité européenne pour la sécurité alimentaire (EFSA) vient de rappeler à l’ordre quelques producteurs agrochimiques de renom. Elle s’inquiète en effet de la composition exacte des substances chimiques (enrobant certaines semences) destinées à lutter contre les insectes ravageurs mais fortement soupçonnées de contribuer à la mortalité des abeilles. Lentement, le vent tourne en faveur d’un modèle agricole plus doux, plus subtil, plus observateur, plus respectueux de la terre.

// PHL


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