Travail
(7 juin 2012)
Lire également :
Sortir de la souffrance au travail
Agir collectivement
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© Mutualité chrétienne |
Mal-être,
stress, épuisement physique, burn-out, harcèlement, alcoolisme… sont les
manifestations les plus connues des risques psychosociaux liés au travail.
Elles interpellent les conditions et l’organisation du travail. Et exigent
donc des solutions collectives.
Selon une récente enquête belge sur les
conditions de travail(1), trois
travailleurs sur dix ressentent la plupart du temps ou toujours du stress au
travail. Cette proportion est identique selon le genre, diffère peu selon
l'âge et touche tous les métiers. Violences verbales, comportements
humiliants, intimidations et harcèlement moral sont aussi invoqués par 7 à
13% des travailleurs.
L'origine de ces
risques se situe dans les conditions de travail. Parmi les causes souvent
citées, on trouve la multiplication des contraintes et pressions sur le
travail (consignes, procédures, nouvelles technologies, contrôles réguliers
avec objectifs individuels chiffrés…), la flexibilité exigée dans les
horaires et les tâches, les rythmes de travail intensifiés par le
raccourcissement des délais et le sous-effectif permanent, la pression
exercée par les clients, le manque d'équilibre entre la vie privée et la vie
professionnelle, la frustration du travail bâclé, le manque de
reconnaissance… La précarité et l'insécurité d'emploi sont aussi souvent
pointées du doigt tout comme les restructurations.
Au-delà des
constats, se pose la question fondamentale de la manière de prévenir cette
souffrance et donc d’agir pour améliorer le bienêtre au travail. De ce point
de vue, il reste beaucoup de chemin à parcourir… même si notre pays s’est
doté d’une réglementation mettant l’accent sur la prévention.
Un bilan
mitigé
En effet, depuis
2007, la prévention de la charge psychosociale s’inscrit explicitement dans
le cadre de la loi de 1996 sur le bien-être au travail (en 2002, avaient été
intégrés uniquement la violence et le harcèlement moral et sexuel)(2).
Ainsi, tout employeur est tenu de procéder à une analyse des risques
psychosociaux dans son entreprise et de prendre les mesures nécessaires pour
intégrer une politique de bien-être dans le management.
Un récent rapport
d’évaluation de cette réglementation(3) révèle que
l’analyse des risques est peu réalisée dans les entreprises (elle l’est
davantage dans les grandes sociétés). En cause? Le manque d’information, le
coût, l’existence d’autres priorités, le manque de temps et de moyens
dévolus aux conseillers en prévention chargés des aspects psychosociaux et
aux médecins du travail. Mais aussi la résistance patronale à voir dévoilés
des problèmes relatifs au fonctionnement de l’organisation. D’ailleurs, là
où l’analyse des risques a été réalisée, près d’un employeur sur quatre dit
rencontrer des difficultés à concrétiser des mesures. C’est dire.
“Le cadre légal
devrait être amélioré, plaide Florence Laigle, médecin du travail dans
un service externe de prévention et de protection du travail. Il faut
tout d’abord élargir la notion de charge psychosociale aux conséquences sur
l’organisation elle-même. Cela permettrait d’intégrer la dimension
collective des dommages (absentéisme, turn-over, erreurs...), de
rationaliser les choses et d’affiner les mesures à prendre. Ainsi par
exemple, le stress est un facteur de risque pour tout le personnel en
contact avec des clients exigeants, pressés. Il faut voir que mettre en
place pour y faire face. Cette situation est très différente de celle de
l’employé, fragile psychologiquement, qui supporte mal son travail car il ne
se sent plus à la hauteur”.
Autre cause
d’insatisfaction et facteur explicatif d’une certaine inefficacité de la
législation : le manque de vision collective et de collaboration entre les
nombreux acteurs de prévention, internes et externes à l’entreprise. La loi
n’impose pas la mise en commun des observations et réalisations des
intervenants. Et les pratiques de terrain se heurtent aussi à des réalités
complexes et à des résistances diverses dans lesquelles nous n’entrerons pas
ici.
Au-delà des
dispositifs légaux à améliorer et investir, il faut sortir de la logique de
la plainte et de la solution qui vient d’en haut, comme le dit le Dr Pierre
Firket, coordinateur de la Clinique du stress au CHP de Liège. Sortir de
l’individualisme, recréer du lien social, réinvestir le collectif pour
retrouver une vraie participation démocratique dans l’entreprise (lire
l’exemple ci-dessous).
//JD
(1) Enquête portant sur 4.000 travailleurs,
menée en 2010 avec la Fondation européenne pour l’amélioration des
conditions de vie et de travail.
(2) Plus d’infos sur
www.respectautravail.be
(3) “Evaluation de la législation relative à
la prévention de la charge psychosociale occasionnée par le travail” –
Rapport de recherche du SPF Emploi – 2011.
Une dynamique constructive
vers le mieux-être
À Montegnée
(Liège), la Clinique
de l’Espérance mène une politique managériale innovante. Et ce ne sont pas
de vains mots : les travailleurs se réunissent régulièrement entre pairs
pour s’exprimer sur leur travail de façon à obtenir des réponses de la
hiérarchie. Le dispositif porte ses fruits en termes de bien-être au
travail.
Prévenir la souffrance morale au travail :
quand elles sont collectives, les réponses portent le plus souvent sur des
aspects périphériques au contenu du travail et à son organisation. De la
salle de fitness aux rencontres de type “team building” en passant par les
coins de détente et les formations à la gestion du stress, ces initiatives
ont certes des aspects positifs. Mais si la charge psychosociale reste
lourde et les conditions de travail difficiles, rien n’est résolu sur le
fond. “Or, qui mieux que les travailleurs eux-mêmes peut juger de ce qui
convient dans la manière d’exercer le travail ?, lance Bénédicte
Minguet, docteure en psychologie. C’est sur ce postulat que Gérard
Mendel, psychiatre français, s’est basé lorsqu’il a élaboré, au début des
années 70, le “dispositif institutionnel de Mendel (DIM)”, ajoute
l’initiatrice du dispositif à la Clinique de l’Espérance en 2003, et auteure
d’une thèse de doctorat sur le sujet (ULG 2009). “Ce dispositif ne se
substitue nullement aux organes de décision et structures de consultation
dans l’entreprise, prévient-elle. Mais il constitue une voie très
intéressante. En introduisant une culture de la participation et de la
collaboration, il contribue à donner sens, fierté et plaisir dans le travail”.
Elaborer le
changement
Le dispositif de
Mendel est rigoureux. Bénédicte Minguet explique son fonctionnement dans les
deux services où il est appliqué, à savoir la pédiatrie et l’imagerie
médicale : “Trois fois par an, les travailleurs du service se réunissent
deux heures en groupes homogènes de métier (infirmiers, éducateurs,
puéricultrices, techniciens, secrétaires…), sans leur supérieur
hiérarchique. JF. Moreau, collaborateur de Mendel durant 35 ans, et moi-même
assurons l’animation des groupes. Les travailleurs choisissent l’ordre du
jour, pointent ce qui ne va pas dans l’organisation et les conditions de
travail. Ils élaborent ensemble des propositions de changement et rédigent
un compte-rendu de ce qu'ils souhaitent communiquer au comité de pilotage.
Composé de la direction de l’hôpital et des chefs de service, ce comité se
concerte alors et dispose d’un mois pour répondre. Les réponses écrites sont
argumentées, ce qui donne lieu à un partage des informations dans l’ensemble
du service”.
Dépasser
l’émoi des conflits
“Les réunions
Mendel sont un bon moyen d’entendre l’équipe sur ses problèmes de travail en
dépassant l’émotionnel, confie Jacqueline Marcus, responsable du
service Imagerie médicale. Il y a sept ans, quand j’ai accédé à ce
poste, la situation était assez catastrophique. Les conflits minaient
l’équipe et le taux d’absentéisme était très élevé. Avec l’assentiment des
syndicats et du conciliateur social, nous avons fait le pari d’introduire le
DIM dans le service pour sortir de l’impasse. Dans chacun des
groupes-métiers, les travailleurs ont formulé leurs griefs. Parmi ceux-ci
figurait en bonne place la surcharge de travail en fin de journée. On leur a
demandé d’objectiver tout cela et de faire des propositions. Sur cette base,
nous avons modifié les horaires pour se faire chevaucher les équipes aux
moments critiques, et on a engagé du personnel en soutien”.
Pour Jacqueline
Marcus, le bilan est largement positif. Et l’ambiance de travail est
aujourd’hui paisible. “Le DIM a véritablement permis d’insuffler une
nouvelle dynamique constructive. Evidemment, cela a mis du temps et il y a
des gens qui adhèrent moins au DIM. Mais comme la participation apporte des
retours positifs, c’est l’enthousiasme qui domine”, assure Jacqueline
Marcus.
Même son de cloche
auprès des travailleurs et de la responsable du service de pédiatrie. Le
personnel infirmier a, entre autres, réfléchi à la manière de mieux gérer
les visites et exigences des parents accompagnant leur enfant hospitalisé.
Il a clarifié certains modes de fonctionnement avec le corps médical ; il
s’est penché sur la prise en charge d’enfants à problèmes psychosociaux… Les
puéricultrices, quant à elles, ont été partie prenante du choix du matériel
mis à leur disposition. Quant aux éducateurs, ils ont notamment discuté du
temps consacré aux bains du soir des enfants.
“Dans les
réunions Mendel, on décrit notre ressenti et les situations de manière plus
fine que si on le faisait de manière informelle. On apprend à formuler les
choses de manière claire et précise. Même si le comité de pilotage donne une
réponse négative à une demande ou la met à l’étude pour plus tard, on reçoit
les explications et informations nécessaires qui permettent de comprendre
les rouages et contraintes de l’institution”, précise Julien,
infirmier.
Inspirer le
management
Pour la direction,
le DIM facilite grandement le management car il renforce la proximité avec
les travailleurs. “La plupart des conflits interpersonnels proviennent
de l’organisation du travail. Y être attentif, permet donc de prévenir et de
résoudre pas mal de problèmes, assure Philippe Miermans, directeur de
la Clinique de l’Espérance. Le fait de réunir les travailleurs par
métier est très positif. Cela aplanit les jeux de pouvoir et permet à chacun
d’être pris en considération. Le DIM oblige les travailleurs à confronter
leurs points de vue. Il les invite à dépasser la plainte, à faire des
propositions et des projets. Corollairement, il impose à l’équipe de
direction d’apporter des réponses communes et cohérentes. Ce type de
démocratie participative est véritablement bénéfique car il accroit la
conscience collective et fait mûrir. Jamais je ne ferais marche arrière”,
conclut Philippe Miermans.
//JD
>> Plus d’infos sur
le dispositif institutionnel de Mendel :
•
Gérard Mendel, “Pourquoi la démocratie est en panne, construire la
démocratie participative”, La Découverte, 2003.
•
Claire Rueff-Escoubès,
“La sociopsychanalyse de Gérard Mendel, Autorité, pouvoirs
et démocratie dans le travail”, La Découverte, 2008.
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