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Travail (16 février 2012)

Lire également : Agir collectivement

Le travail, c’est la santé ?

© PhotoPQR - Pierre Heckler

Depuis une vingtaine d’années, le terme ‘souffrance’ accompagne régulièrement le discours sur le travail et les évolutions du management”, observe John Cultiaux, de la Fondation Travail-Université. La littérature scientifique abonde sur le thème. Les médias en font leurs choux gras. Films, documentaires et romans s’attachent à raconter le destin entravé de travailleurs modernes(1). Et dans la réalité ?

Si souffrance et travail sont intimement liés, plaisir et travail le sont également. “La plupart des travailleurs désirent un boulot qui leur permet de donner sens à leur engagement voire d’en retirer un plaisir : participer à la vie sociale, se développer, faire carrière…”, explique John Cultiaux. Il y aurait à l’œuvre une sorte de basculement entre les bienfaits du travail et ses tourments. Et vice et versa.

Le travail est un moyen de subsistance, certes. Rares sont ceux qui ne travaillent que pour l’argent. Il est aussi un moyen d’être utile au monde, d’obtenir de la reconnaissance, de se socialiser et de s’épanouir. L’emploi est un moyen de bâtir une identité et d’accéder à de nombreux droits sociaux, rappelle Marie-Anne Dujarier, sociologue, conseillère à ses heures pour le cinéma (sur le film “La mise à mort du travail”). Mais le travail peut aussi être vu comme une ‘ressource humaine’, une valeur qui ‘s’achète’ sur le marché du travail en vue d’être ‘exploitée’ au mieux”, ajoute-t-elle pour illustrer la tension sous-jacente.

Corps écorchés

Oui, de nos jours, le travail peut encore se révéler très pénible physiquement. La souffrance physique n’est pas d’un autre temps, celui du travail ‘à mains nues’, celui d’avant la mécanisation des chaînes, d’avant la robotisation. Dans notre organisation moderne du travail, les troubles musculo-squelettiques (douleurs de la nuque, du dos, des épaules…) continuent de représenter le premier problème de santé au travail. Mouvements répétitifs, positions douloureuses ou fatigantes, manipulation de charges lourdes… affectent nombre de travailleurs.

Moral blessé par la perte de sens

Quant aux souffrances psychiques, elles sont devenues des “phénomènes incontournables”, indique John Cultiaux. L’OMS considère d’ailleurs que le stress constituera, dans les prochaines décennies, la première cause d’incapacité de travail. Les médecins-conseils de la Mutualité chrétienne s’en inquiètent : les problèmes psycho-sociaux emplissent leurs consultations. Le “mental” empêche de plus en plus souvent de travailler. “Burn out, le mot est lâché”, lançait le docteur Yves Van Houte, médecin- directeur de la Mutualité, lors d’une récente journée de réflexion organisée par la MC sur “Le travail, générateur de bonheur ou d’anxiété ?”.

D’après les cliniciens du travail comme Christophe Dejours, ce qui fait souffrir au travail peut surprendre. Il s’agit notamment de la contrainte à mal travailler. Faute d’outils suffisants, de temps nécessaire, de compétences ad hoc…, le travailleur ne peut remplir son rôle. La souffrance est d’autant plus grande qu’il a conscience de ne pas réaliser correctement son métier. Autres facteurs douloureux cités par ces spécialistes: la crainte de l’incompétence, l’absence de reconnaissance de la hiérarchie ou des pairs...

De la résignation

La souffrance psychique au travail demeure difficile à nommer et plus encore à mesurer”, relève John Cultiaux. Avec elle, on entre dans la sphère des sensations, du ressenti invisible. De ce fait, nombre de victimes renoncent à l’exprimer, à en faire état, se réfugiant derrière des allégations du style : “C’est l’automne” – qui explique la souffrance du moment. Ou “J’ai un petit coup de déprime mais je ne vais pas me plaindre alors que d’autres n’ont pas de boulot” – qui sonne comme un aveu coupable. Les personnes en souffrance déploient des mécanismes de défense, laissant leur esprit s’évader, par exemple, pour éviter de réfléchir. Des solutions à court-terme et trop individuelles que pour permettre de faire disparaître la pénibilité psychique du travail (lire ci-dessous). Pourtant, comme le remarque John Cultiaux, “un individu qui ‘tient bon’ n’est pas nécessairement dans une situation moins pénible que son collègue qui ‘craque’”. La résistance n’est pas évidente. Surtout face à des entreprises qui développent des stratégies pour “adapter le moral de l’individu au moral de l’entreprise”. Les ‘team-building’ rivalisent d’inventivité pour afficher dynamisme et enthousiasme. Comme un sourire permanent sur le visage des employés…, sourire de façade ?

Une compétition fourbe

De plus en plus souvent, dans le contexte de marchés en saturation, le rendement est la règle, alerte Philippe Defeyt, président du CPAS de Namur. D’abord, il laisse sur le carreau un nombre croissant d’exclus du travail, ceux qui ne sont pas suffisamment mobiles, forts ou outillés. Cette compétition engendre aussi des comportements douteux, au bénéfice de produits et services inutiles. Elle contribue à éroder la confiance et à durcir les conditions de travail. Comme pour ce travailleur horrifié par les exigences de son employeur : vendre tels produits, coûte que coûte, à des clients qui n’en ont aucune utilité. Pire, cette téléphoniste sanctionnée par son chef de service pour avoir passé trop de temps à expliquer à une cliente les conditions pour bénéficier d’un tarif social. Son sentiment du travail bien fait, de devoir accompli, se heurte à une autre conception. Un écartèlement, cause de souffrance.

// CATHERINE DALOZE

(1) “Le couperet”, drame enclenché par une délocalisation, campé par José Garcia et Karin Viart – “Stupeur et tremblement” l’aventure d’une stagiaire européenne (Amélie Nothomb) au sein d’une entreprise japonaise – “Ils ne mourraient pas tous mais étaient frappés…” qui témoigne de l’insupportable pression vécue par des travailleurs.

Des maladies sentinelles
Les conditions de travail sont les grandes oubliées des politiques de santé publique”, accuse Laurent Vogel, de l’Institut syndical européen. Absentes des grandes enquêtes de santé menées auprès de la population, elles le sont aussi des campagnes de prévention axées exclusivement sur un capital santé à préserver individuellement. Par ailleurs, l’obligation de déclarer les maladies d’origine professionnelle par les médecins du travail n’est pas respectée. Et les données disponibles en la matière souffrent de lacunes : pas d’informations sur la morbidité et la mortalité par groupe socioprofessionnel, ignorance accrue lorsqu’il s’agit de la santé des femmes...
Laurent Vogel appelle les médecins à davantage questionner leurs patients sur leurs conditions de travail lorsqu’ils sont consultés pour des problèmes de santé. Il invite aussi les médecins-conseils des mutualités à mener un recherche active des facteurs professionnels dans les pathologies. Enfin, dans une perspective épidémiologique, il suggère d’identifier des maladies sentinelles en lien avec les conditions de travail, comme le syndrome du canal carpien, les lombalgies, les cancers des voies respiratoires, le cancer du sein, le burn-out...
//JD

Sortir de la souffrance au travail

La souffrance psychique s’aggrave dans le monde du travail. Elle interroge les nouvelles organisations du travail et exige des actions collectives pour reconstruire les rapports entre le travail et la vie.

En 2009, une succession de suicides au sein de France Télécom fait éclater au grand jour les drames qui se jouent au cœur du monde du travail. Ici pas question de fiction. “Ce qui s’est passé dans cette grande entreprise publique est le contre-exemple de la manière dont il faut gérer la souffrance psychique au travail, affirme John Cultiaux, Docteur en sociologie et chercheur à la Fondation Travail-Université. Tout d’abord, des changements rapides et profonds dans la manière d’organiser et de concevoir le travail ont été menés sans prévention ni participation des travailleurs. Les dirigeants ont contribué à les isoler les uns des autres et à mettre en question le sens du travail bien fait, en édictant de nouvelles normes de travail. Par ailleurs, face aux situations de détresse, la réponse de l’organisation a été essentiellement individuelle et n’a donc pas permis une interrogation collective des conditions de travail”.

Reconnaitre le caractère prioritairement collectif des pénibilités psychiques est pourtant une nécessité. “Il faut s’affranchir de la conviction selon laquelle les individus sont la clé d’explication de leurs souffrances. La personne qui s’effondre n’est pas une personne faible, au même titre que celle qui se blesse sur un outil n’est pas responsable de la dangerosité de ce dernier. La pénibilité est liée aux conditions de travail ; elle relève donc de l’expérience collective”. Selon John Cultiaux, c’est la mise en retrait du lien social et de la solidarité – par les effets combinés de l’individualisation et de l’intensification du travail - qui favorise les situations de souffrance. Intervenir sur ces situations implique nécessairement de renouer le lien social et de retrouver une vie collective au travail, porteuse de sens...

Christophe Dejours, psychiatre et psychanalyste, va plus loin encore. Dans un article paru dans Le Monde (21 février 2011), il en appelle à “réhabiliter la valeur du travail au regard de la vie et de la culture”. Il dénonce le fanatisme gestionnaire et le management de la menace qui ont envahi les entreprises. “Les dirigeants n’ont plus aucune connaissance des sciences du travail ni même celle du travail concret pratiqué par ceux qu’ils commandent”, accuse Christophe Dejours. Il fustige notamment le système d’évaluations individualisées et quantitatives des performances des travailleurs et plaide pour introduire de nouvelles méthodes d’évaluation - au sens noble du terme - du travail collectif...

Agir collectivement

Face à la souffrance psychique, la tendance est à l’intervention sur les facteurs individuels plutôt que sur les déterminants sociaux et donc sur les conditions de travail. Pourtant, c’est dans cette voie qu’il faut se diriger si l’on veut sérieusement et durablement s’attaquer aux ravages humains du travail. Cela implique de s’ouvrir à des modes de réflexion et d’action collective plus “horizontaux”, mobilisant une diversité d’acteurs autour des premiers concernés à savoir les travailleurs eux-mêmes: syndicats, médecins du travail, psychosociologues, chercheurs et experts de la prévention... Au sein des entreprises aussi, la promotion du bien-être au travail mérite bien mieux que le strict respect des obligations légales en matière de sécurité et d’hygiène... alors que la qualité des conditions de travail fait partir intégrante des missions dévolues aux organes de prévention et de protection au travail. Un aspect trop souvent oublié ou négligé ? Ca ne fait pas de doute. Mais la mobilisation n’est souvent pas aisée dans le contexte que nous avons déjà décrit.

Pour certains psychologues, la mise en place d’un dispositif de concertation et de communication sur le travail, accompagné par des intervenants extérieurs, est certainement une voie à explorer parmi d’autres pour apporter une véritable participation démocratique et améliorer le climat et les conditions de travail dans une organisation. “Un tel dispositif permet aux personnes au travail de sortir de leur isolement par des rencontres instituées entre pairs, d’apporter ensemble critiques et propositions de changement qui soient prises en compte par les décideurs, explique Claire Rueff Escoubès, dans le Journal du monde alternatif(1). Ce sont là les conditions pour renouer travail, plaisir et fierté en lieu et place du stress et de la souffrance morale au travail”.

//JOËLLE DELVAUX

(1) L’auteure décrit le dispositif institutionnel Mendel sur www.alternatifs.eu/journal.

 


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