Travail
(5 avril 2012)
Reprendre le travail après une incapacité
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© Philippe Turpin/Belpress |
Une maladie, un accident, et voilà que débute une
incapacité de travail. Lorsque l’état de santé est lourdement mis en péril,
cette incapacité risque de se prolonger et les chances de reprendre le
travail s’amenuisent avec le temps. Dans la mesure du possible, éviter le
décrochage professionnel est pourtant souhaitable. Le retour à l’emploi peut
prendre des formes souples et variées.
L'incapacité de travail concerne quel - que 500.000
travailleurs salariés en Belgique, auxquels il faut ajouter celles et ceux
qui bénéficient d’une indemnisation dans le cadre d’un accident du travail
ou d’une maladie professionnelle. Pour plus de la moitié des travailleurs
indemnisés par l’INAMI, l’incapacité de travail dépasse un an, ce qui les
place dans la catégorie des invalides.
"L’invalidité est en pleine explosion", constate
François Perl du service des indemnités de l’Inami, qui évoque une
croissance de 24 % entre 2006 et 2010. Le vieillissement de la population ,
le relèvement de l’âge de la pension des femmes à 65 ans expliquent en
grande partie cette progression qui s’accentuera encore en raison des
nouvelles mesures de restriction d’accès à la (pré)pension et d’exclusion du
chômage. L’évolution des pathologies à l’origine de l’incapacité de travail
est un autre facteur explicatif : en forte augmentation, les troubles
musculo-squelettiques et les troubles de santé mentale entraînent des durées
d’incapacité de travail plus longues parce que débutant chez des gens plus
jeunes. Ces pathologies ont des causes multiples mais il est évident
qu’elles ont aussi à voir avec le travail, ce qui complique grandement les
choses en termes de réinsertion professionnelle.
Pour la société, l’incapacité de travail représente un
coût social et financier considérable. Pour le travailleur, l’incapacité de
travail est synonyme de pertes, de limites. Limitation des capacités et
perte de santé, tout d’abord. Perte financière aussi en raison du faible
niveau des indemnités comparativement au salaire antérieur. Perte de
contacts sociaux ensuite, lié au retrait de la vie professionnelle. Sans
parler de la perte de la qualité de vie, de la confiance en soi, de l’estime
de soi...
Une réinsertion plus souple
Comme le souligne Etienne Laurent, médecin-conseil à la
direction médicale de la Mutualité chrétienne, l’expérience montre à quel
point, si des possibilités subsistent, il est préférable de permettre à
quelqu'un de conserver une activité professionnelle même à temps partiel,
qui apporte un salaire, des contacts et une reconnaissance sociale, plutôt
que de l’enfermer ad vitam aeternam dans un statut d’invalide. Comme si la
perte de certaines capacités ou des problèmes de santé fermaient à tout
jamais les portes du travail et de l’emploi. Bien entendu, chaque situation
est unique et complexe à la fois. En cela, elle exige une approche toute
particulière. Pour le médecin-conseil de la mutualité qui suit chaque
travailleur en incapacité de travail, il s’agit d’ailleurs moins d’évaluer
les incapacités du travailleur que les capacités qu’il possède toujours,
dans la perspective de voir comment les valoriser concrètement. Bien
entendu, le contexte économique, les pénuries d’emploi et les exigences du
monde du travail ne peuvent être ignorées.
Selon François Perl, il n’est pas question d’initier un
système d’activation des invalides comme c’est le cas pour les chômeurs.
Mais il importe d’apporter plus de dynamisme et de souplesse dans le système
actuel. Il faut imaginer, dit-il, des formules qui permettent un retour vers
l’emploi le plus rapidement possible pour autant que cela soit faisable, que
la personne soit volontaire et s’en sente capable. On observe que les
absences répétitives au travail constituent souvent une étape dans le
processus qui conduit vers la perte de confiance mutuelle entre l'employeur
et le travailleur et, partant, vers la rupture des liens avec l’emploi. Par
ailleurs, des enquêtes ont montré qu’un arrêt de travail compris entre trois
et six mois réduit déjà de moitié la probabilité que le travailleur puisse
reprendre son travail chez son employeur antérieur. Dans les faits, la force
majeure est de plus en plus souvent invoquée par les employeurs pour rompre
le contrat de travail des travailleurs pendant leur période d’incapacité de
travail (1).
Dès lors, l’Inami ambitionne de développer une politique
d’accompagnement des titulaires en incapacité de travail pour tenter
d’éviter la désinsertion professionnelle. Il entend valoriser les
dispositifs existants (reprise partielle du travail, réadaptation
professionnelle...) et promouvoir de nouvelles passerelles vers l’emploi
avec incitants financiers. Ainsi, l’institution est en phase finale de
signature d’un contrat de collaboration avec les mutualités, le Forem et l’Awiph.
Il s’agit, dans des délais les plus brefs possibles, de permettre aux
travailleurs en incapacité de travail de bénéficier d’aides à la
réintégration, de mettre à jour leurs compétences ou d’apprendre un nouveau
métier, l’objectif étant de multiplier leurs chances de conserver ou de
retrouver un emploi. "L’Inami va financer les coûts de la formation pour
ces personnes, précise Etienne Laurent. On souhaite ainsi booster
les possibilités de réhabilitation et de réadaptation professionnelles
(voir article ci-dessous) tout en abordant la
réinsertion professionnelle de manière beaucoup plus souple. Si, en fonction
de l’état de santé de la personne, le médecin-conseil juge qu’elle ne pourra
reprendre un travail qu’à temps partiel, il pourra estimer cet objectif à
long terme comme étant le maximum possible pour elle. Cela signifie qu’après
le processus de formation, il sera possible à la personne de retravailler
définitivement à temps partiel tout en bénéficiant d’un complément
d’indemnité. Ceci est totalement nouveau".
Une collaboration accrue
Bien entendu, en amont, c’est toute une politique de
bien-être et de maintien au travail qui doit être mise en place dans les
entreprises, comme le suggèrent d’ailleurs la Société scientifique de santé
au travail et l’Association scientifique de médecine d’assurance (dont font
partie les médecins conseils des mutualités) (2). Elles
plaident également pour une meilleure collaboration entre médecins du
travail, médecins traitants et médecins- conseils de la mutualité pour
prévenir l’invalidité et la désinsertion professionnelle. Comme l’expliquait
Anne Marie Offermans, sociologue et consultante scientifique, lors d’une
récente journée d’étude organisée par la direction médicale de la MC, les
programmes structurés d’accompagnement des travailleurs vers le retour au
travail ont fait leurs preuves dans les entreprises où ils ont été
expérimentés, tout comme dans les pays qui les ont systématisés (comme le
Québec). Une approche personnalisée, une intervention la plus précoce
possible dans le temps, la désignation d’un référent spécialisé
(psychologue, médecin...), un partenariat étroit avec l’employeur et une
action concertée entre tous les intervenants (médecin-conseil, médecin
traitant, médecin du travail, psychiatre...) sont clairement des facteurs de
réussite d’une réintégration professionnelle durable dans l’entreprise. Un
vaste chantier qu’on rêve de voir appliqué chez nous à grande échelle, mais
qui demande bien évidemment des moyens financiers et humains conséquents...
et certainement aussi des changements importants dans les pratiques et les
mentalités afin de promouvoir une approche proactive en réseau autour de la
personne...
// JOËLLE DELVAUX
>> Lire aussi sur le sujet
l’éditorial.
(1) Lorsqu’un travailleur en incapacité
de travail est considéré définitivement inapte à exécuter son contrat de
travail, l’employeur peut mettre fin à celui-ci pour cause de force majeure
à caractère médical, sans préavis ni indemnité.
(2) Dans un rapport remis à l’INAMI en
2010. Voir « L’invalidité n’est pas une fatalité », article paru dans
l’édition d’En Marche du 4 novembre 2010 à ce sujet.
Trois scénarios de réinsertion
professionnelle
Schématiquement, la réinsertion
socioprofessionnelle du travailleur en incapacité de travail peut
s’envisager selon trois scénarios possibles.
-
La personne est toujours sous
contrat de travail et reprend le boulot chez son employeur
avec adaptation éventuelle du poste de travail et/ou de
l’organisation du travail.
-
La personne n’a pas ou plus de
contrat de travail. Elle garde des aptitudes pour exercer un
job pour lequel elle possède la qualification ou
l’expérience mais celles-ci ne sont plus "à jour".
-
La personne ne peut plus exercer
son (ou ses) métier(s) de référence et souhaite apprendre un
nouveau métier pour se réorienter.
1. Le retour dans l’entreprise
Retrouver son poste de travail après une période
d’incapacité est la situation la plus fréquente. Elle est aussi la plus
souhaitable si les relations de travail ne sont pas en cause. Pendant
l’incapacité, il est important que l’employeur et le travailleur
maintiennent des contacts réguliers et réciproques. Si l’incapacité de
travail dure plus de 28 jours, il peut être opportun pour le travailleur de
demander à rencontrer le médecin du travail. Celui-ci pourra faire un bilan
de la situation de santé et envisager avec lui les dispositions qui
faciliteront la reprise du travail, par exemple un aménagement de
l’organisation du travail et des horaires (notamment en cas de reprise
partielle) (1), l’adaptation du poste de travail, la
réorientation interne à l’entreprise… C’est ce qu’on appelle la visite de
“pré-reprise”. Le médecin du travail peut aussi procéder à un examen de
réintégration pour préparer un reclassement du travailleur à une autre
fonction ou dans une autre entreprise, lorsque la reprise de travail dans
les conditions habituelles est jugée, par le médecin traitant,
définitivement impossible pour des raisons de santé. Dans certains cas,
l’AWIPH (en Wallonie) ou Phare (en région bruxelloise) peut intervenir
financièrement si des adaptations du poste de travail sont difficiles mais
nécessaires.
2. La réhabilitation professionnelle
Durant les six premiers mois d’incapacité de travail, le
médecin-conseil évalue surtout la façon dont la pathologie ou les séquelles
d’un accident de santé permettent ou non à la personne de continuer à
exercer son dernier métier. Lorsque la situation n’est plus évolutive
médicalement, le médecin-conseil doit envisager les possibilités pour la
personne, soit d’exercer le dernier métier chez un autre employeur, soit
d’être réorientée vers une autre profession accessible. A partir du sixième
mois d’incapacité, la loi oblige en effet le médecin conseil à tenir compte
de tous les métiers de référence que pourrait pratiquer l’intéressé. Dans
cette hypothèse, une remise à niveau des compétences par un organisme de
formation ou une aide à l’intégration (avec financement Inami et sécurité
juridique pendant le processus) peut être proposée à la personne pour
augmenter les chances d’une réinsertion professionnelle réelle.
3. La réadaptation professionnelle
La réadaptation professionnelle ne concerne pas les
travailleurs qui souffrent de pathologies ou de handicaps tels que la
reprise de tout travail est définitivement exclue. Mais elle permet à ceux
qui sont reconnus incapables d’exercer leurs professions de référence de se
former à un nouveau métier compatible avec leur nouvel état de santé. Ce
système permet à la personne de conserver ses indemnités d’incapacité de
travail pendant la durée de sa réadaptation et de percevoir les aides
financières à la formation qui lui sont dues. La proposition initiale peut
venir de l’intéressé, de son médecin traitant ou du médecin-conseil. Quoi
qu’il en soit, il est primordial que ce projet de réadaptation soit bien
réfléchi, mûri – le cas échéant au moyen d’un bilan d’orientation
professionnelle, et qu’une collaboration étroite s’installe entre tous les
partenaires pour mener à bien cette dynamique. A la fin du processus de
réadaptation, le médecin- conseil tient compte des nouvelles qualifications
acquises par le travailleur et de son état de santé pour réévaluer
l’incapacité de travail. Dans la majorité des cas, ayant acquis une
qualification menant à des métiers compatibles avec son état de santé,
celui-ci pourra réintégrer le marché de l’emploi, totalement, ou
partiellement.
// JD
(1)
Lire à ce propos "Reprendre le travail partiellement", article paru dans
l’édition d’En Marche du 5 novembre 2009.
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