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Santé publique (1er décembre 2011)

 

Des transferts de compétences

qui signent un recul social

Lors de la conclusion de l’accord institutionnel pour la sixième réforme de l’Etat, on a beaucoup entendu et lu les négociateurs se dire “réjouis et satisfaits par cet accord équitable”. S’il représente sans nul doute un difficile compromis entre partis flamands et francophones mais aussi entre des conceptions bien différentes de l’Etat, les transferts de compétences en sécurité sociale ont de quoi inquiéter. Explications.

© Michel Houet/ Belpress

BHV. Trois lettres qui ont été au centre des négociations et crispations pour une réforme de l’Etat,
depuis que nous sommes passés aux urnes en juin 2010. Un temps infini. De très longs mois de crise politique dont on ne voyait pas la fin. Le 11 octobre dernier, enfin, les partis libéraux, centristes, socialistes et écologistes du nord et du sud du pays accouchaient d’un accord institutionnel jetant les bases d’une sixième réforme de l’Etat(1). Dans les premiers commentaires relatifs à cet accord, la scission de l’arrondissement de Bruxelles-Hal-Vilvorde a occupé quasi toute la place, les transferts de compétences fédérales aux Régions et Communautés étant simplement présentés comme équilibrés par les négociateurs politiques. Et pourtant, le réveil est rude. Les principales compétences transférées touchent, de près ou de loin, aux mécanismes de la sécurité sociale et, comme le dit la Centrale nationale des employés (CSC-CNE), “elles mettent à mal la solidarité interpersonnelle. Celle-ci est diluée dans des mécanismes complexes de transfert de politiques sans réglementations, de compétences sans les budgets, voire encore bafouée à l’occasion de véritables scissions de pans entiers de la sécurité sociale”(2). Fallait-il payer si cher cette scission ? Fallait-il aller vers un démantèlement de la sécu?

 

Coller aux besoins de la population?

Défédéraliser les allocations familiales et les soins de santé: cette revendication de la défunte Volksunie, vieille de vingt ans, l’ensemble de la classe politique flamande (à l’exception de Groen!) a fini par la faire sienne. Et à l’imposer, du moins partiellement pour ce qui concerne les soins de santé, aux partis francophones. En échange d’un bon compromis sur la scission de BHV? Pour éviter l’implosion du pays? Peut-être. Toujours est-il que pour la première fois dans l’histoire de nos réformes institutionnelles, un pan entier de la sécurité sociale est scindé, celui des prestations familiales... On est en droit de se demander si un doigt n’est pas, maintenant, placé dans un engrenage...

Comme l’a rappelé Béa Cantillon, directrice du Centre de Politique sociale “Herman Deleeck” de l’Université d’Anvers, lors d’une récente conférence donnée sur la réforme de l’Etat et ses conséquences sur la sécurité sociale(3), les exigences de scission de la sécu, exprimées par certains au nord du pays, se sont toujours inscrites dans une logique de lutte contre les transferts sociaux entre la Flandre et la Wallonie. “Ces transferts sont importants mais ils s’expliquent en grande partie par des facteurs démographiques et économiques, plaide-t-elle. Par ailleurs, ils vont en diminuant, notamment en raison du vieillissement de la population, plus important en Flandre qu’en Wallonie”. Autre argument invoqué au Nord en faveur de la dé-fédéralisation à tout crin : la nécessité de rendre homogènes les compétences pour plus de cohérence dans les décisions politiques et pour coller davantage aux besoins de la population.

Force est de constater que les transferts décidés dans le cadre de cette sixième réforme n’ont pas grand-chose à voir avec cet argument. Un seul exemple: l’accueil résidentiel des personnes âgées est transféré aux régions, les soins à domicile restant de la compétence fédérale. Il y en a beaucoup d’autres... La responsabilisation des entités fédérées, une notion chère aux yeux de la majorité des partis néerlandophones, sert de corollaire à cet argument. Ainsi, par exemple, puisque la Communauté française a décidé de porter les masters de l’enseignement supérieur universitaire à cinq ans (la Flandre les laissant majoritairement à quatre ans), augmentant ainsi d’un an le bénéfice d’allocations familiales pour les étudiants, les partisans de la responsabilisation estiment normal que la Communauté française assume financièrement les conséquences de ce choix. D’où l’exigence de communautariser les allocations familiales. Etonnamment, ce raisonnement semble bel et bien à géométrie variable. Ainsi par exemple, le succès du crédit-temps et des congés thématiques est nettement plus grand au nord qu’au sud du pays en raison du fait que la Région flamande offre aux salariés des primes supplémentaires, incitatrices de la mesure. Mais là, pas question de responsabilisation ou de scission...

“La sécurité sociale est clairement utilisée comme levier pour faire bénéficier les Communautés de nouvelles compétences, analyse Béa Cantillon. Il ne s’agit pas de répondre à un problème, ni d’améliorer le système – que du contraire puisqu’on le complique, avec de grandes incohérences et interrogations – mais de prouver que la Flandre peut, de manière autonome, développer une protection sociale propre. La mise sur pied de l’assurance dépendance par le gouvernement régional flamand, en 1999, répondait déjà à cette volonté et constituait les premiers pas vers une sécurité sociale flamande. Or, on a appris de ce système qu’il est source d’insécurité juridique, d’incohérence et d’immobilisme”. Mais rien n’y fait apparemment. La machine nationaliste est lancée. Peu importe que l’on détricote des systèmes performants, efficaces, que l’on réduise les bases de la solidarité, y compris pour les néerlandophones. Peu importe que les scissions coûtent énormément d’argent par le développement de nouvelles administrations (personne ne s’est aventuré à les chiffrer) à une époque où les déficits budgétaires sont déjà dans le rouge. Peu importe que l’on s’apprête à vivre une dizaine d’années très chahutées, le temps que les scissions s’opèrent sur le terrain (rien que celle de l’ONEm a mis dix ans à être digérée). Peu importe, sans doute, que “le social” reculera dans l’ensemble du pays.

 

Une concertation sociale en péril

Le transfert de matières qui relevaient jusqu’ici de la sécurité sociale comporte un autre risque : celui de briser le mode de gestion paritaire du système qui en faisait sa spécificité, sa richesse, et le mettait à l’abri de l’ingérence des gouvernements successifs.

En effet, notre sécurité sociale est basée sur le modèle bismarckien: l’Etat (parlement et gouvernement) détermine un cadre global (lois et budget). Mais les différentes branches de la sécu sont gérées paritairement par les interlocuteurs sociaux (organisations patronales et syndicats). Ensemble, ils disposent d’un pouvoir d’initiative et de décision pour définir les besoins à prendre en compte et les moyens à mettre en œuvre pour les rencontrer: financement, programmation et agrément. Les mutualités et les représentants des médecins sont également impliqués dans la gestion de l’assurance soins de santé et indemnités obligatoire. La représentation de tous les acteurs garantit ainsi un haut degré de transparence, et donc d’équité dans la prise de décision. Ce modèle a largement fait ses preuves dans notre pays. Qu’adviendra-t-il de lui après les transferts des allocations familiales et d’une partie des soins de santé aux Communautés? Ne risque-t-on pas d’aller vers le modèle beveridgien dans lequel l’Etat fixe la politique globale et, le ministre, aidé par son administration, intervient tant en termes d’initiative que de décision pour définir les besoins et les moyens? Dans ce modèle, les partenaires des secteurs n’ont plus qu’une simple fonction consultative via des organes d’avis.

Maintenir la concertation sociale dans les institutions régionales et communautaires qui seront amenées à gérer les nouvelles compétences, s’appuyer sur l’expertise de tous les partenaires des secteurs concernés, ne pas casser les outils performants qui ont prouvé leur efficacité jusqu’ici: telle est la position défendue par les acteurs concernés par les transferts. Il n’est pas trop tard pour prendre les bonnes orientations dans les entités fédérées...

// Joëlle Delvaux

 

(1) “Un Etat fédéral plus efficace et des entités plus autonomes – Accord institutionnel pour la sixième réforme de l’Etat”, La Chambre, 11 octobre 2011.

(2) Dans “Le droit de l’employé” - novembre 2011.

(3) Conférence donnée le 21 novembre dernier au Conseil économique et social de la Région wallonne (CESRW).

Allocations familiales : enfants tous égaux?

L’accord institutionnel prévoit que les allocations familiales, les allocations de naissance et les primes d’adoption relèveront de la compétence des Communautés. Pour la Région de Bruxelles-Capitale, la Commission communautaire commune (Cocom) sera compétente.

Ce transfert de compétences pose de très nombreuses questions, tant sur le fond que sur la forme. Et l’accord ne permet pas de répondre très clairement, le futur gouvernement fédéral étant chargé de préciser comment ce transfert s’effectuera, avec quelles enveloppes et vers quels organismes. D’aucuns estiment en tout cas que le transfert n’est pas équitable car la répartition se fera sur base démographique des enfants de 0 à 18 ans et non sur la celle des enveloppes telles qu’attribuées actuellement. Cela représente un manque à gagner important en Wallonie et à Bruxelles car des suppléments octroyés aux parents d’enfants handicapés et aux parents au chômage ou en invalidité, y sont plus nombreux qu’au nord du pays. Qu’en sera-t-il concrètement? Un mécanisme d’égalisation pendant dix ans est évoqué. Mais cela reste flou. Autres questions concrètes: à combien s’élèveront les allocations familiales dans cette nouvelle configuration? Les suppléments sociaux subsisteront-ils? Qu’en sera-t-il pour les étudiants? Il est bien trop tôt pour le dire. Ce qui est sûr c’est que les différences entre les régimes des travailleurs salariés et des travailleurs indépendants devront être supprimées. Pour le reste, chaque entité pourra adopter sa clé de répartition et fixer ses propres critères en fonction de sa politique familiale... et des moyens budgétaires disponibles...

// JD

 

 

Santé : vers un meilleur système de soins?

L’encadrement en maison de repos, en hôpital gériatrique et spécialisé (isolés), l’allocation d’aide aux personnes âgées, les aides à la mobilité, la santé mentale, la prévention et l’organisation de la première ligne: les compétences transférées en matière de santé représentent près de 16% du budget de l’assurance soins de santé obligatoire. Des changements considérables qui auront des répercussions bien concrètes.

A terme, les compétences transférées en matière de santé ne seront plus financées par la norme de croissance de 4,5% (diminuée à 2% dans le tout récent accord sur le budget). Les moyens fédéraux actuels seront répartis selon la part, dans chaque entité, de la population des plus de 80 ans pour les compétences concernant les personnes âgées, ou de la population totale pour les autres compétences. Les moyens ainsi répartis seront ensuite majorés, chaque année, en fonction de la croissance du produit intérieur brut (PIB), de l’inflation (évolution des prix) et de la population considérée.

Si le critère de population paraît à première vue cohérent, celui du PIB l’est beaucoup moins. On sort d’une logique axée sur les besoins pour aller vers une autre, centrée sur les moyens. La priorité politique est moins d’assurer que chacun puisse bénéficier de soins de qualité et financièrement accessibles, que de maîtriser les dépenses de santé. Par exemple, avec la crise financière de 2009, le PIB a eu une croissance négative : on est passé de 345 milliards d’euros en 2008 à 339 milliards en 2009. Ceci implique qu’en temps de crise, les moyens pour la santé seront drastiquement réduits, alors qu’il n’y a aucun lien, sinon négatif, entre ces deux éléments.

Un autre exercice nous montre que les moyens seront loin d’être suffisants à l’avenir. Prenons un exemple. L’encadrement en maisons de repos, maisons de repos et de soins et centres de jour représente, en 2010, 2,2 milliards d’euros. Depuis 2000, ces dépenses ont crû, en moyenne, de 7,5 % par an (hors inflation). Si, à partir de cette année-là, on avait appliqué le taux de croissance tel que prévu par le récent accord institutionnel, il aurait manqué en 2010 près de 500 millions d’euros pour répondre aux besoins et ce, avant même l’arrivée des baby-boomers à la pension!

La conséquence de moyens financiers insuffisants? Le contenu et la qualité des soins couverts risquent de diminuer et la logique de marchandisation de se renforcer, ne faisant qu’accentuer les inégalités en matière d’accès à la santé.

 

Organisation des soins plus efficace?

Au-delà du financement, se pose la question de l’organisation des soins. La réforme de l’Etat était motivée par la volonté de la rendre plus transparente et homogène. On est loin du compte pour la santé… Ainsi, par exemple, les hôpitaux gériatriques isolés sont transférés aux entités fédérées, alors que les lits gériatriques dans les hôpitaux généraux resteront, eux, du ressort du fédéral. Donc, pour une même offre de soins, le financement et l’organisation diffèreront. Cela justifiera-t-il demain un nouveau détricotage?

De plus, la répartition actuelle des dépenses entre entités fédérées pour les hôpitaux gériatriques isolés ne correspond pas à celle de la population de plus de 80 ans. Ainsi, si 53 % des dépenses se font sur le territoire bruxellois, Bruxelles ne compte que 9,7 % des plus de 80 ans. Des Wallons et des Flamands se faisant soigner à Bruxelles, des accords de coopération entre Communautés et Régions seront dès lors nécessaires… Vous avez dit “efficace”?

 

Egalité d’accès à tous les patients?

En matière d’accès aux soins, l’accord institutionnel précise que “la solidarité interpersonnelle implique l’égalité d’accès pour tous aux soins de santé remboursés, en garantissant le libre choix du patient(...). Le patient paiera le même prix pour un même produit ou une même prestation, quel que soit l’endroit en Belgique où ce soin lui est prodigué”. Cette phrase essentielle porte-t-elle sur les matières qui restent fédérales ou englobe-t-elle les matières transférées? Si l’on penche vers la seconde hypothèse, celle-ci peut être interprétée de deux manières.

Première interprétation : l’accord institutionnel garantit le même accès aux soins pour tous les Belges. Mais est-ce envisageable dans la mesure où Régions et Communautés seront compétentes pour le financement et l’organisation ? Prenons l’exemple des chaises roulantes, actuellement remboursées par l’INAMI et dont les prix sont actuellement négociés par le Fédéral auprès des fabricants. La régionalisation pourrait impliquer des négociations et donc des prix d’achat différents selon les entités fédérées. Selon le principe d’égalité d’accès, le remboursement devrait-il dès lors être adapté dans chaque Région de sorte que tout Belge paie la même contribution pour sa chaise roulante?

Seconde interprétation, faite à la lumière du principe européen de libre circulation des personnes: l’égalité d’accès ne serait pas d’application entre les Belges mais entre, par exemple, les Flamands: où que celui-ci aille en Belgique, la Région Flamande lui garantit qu’il payera le même prix pour sa chaise roulante. Cette seconde hypothèse est sans doute plus probable dans la mesure où il existe déjà des différences d’intervention pour des prestations organisées et financées par les entités fédérées (par exemple, l’intervention des fonds régionaux pour l’adaptation des chaises roulantes). Dans cette seconde hypothèse, les inégalités d’accès entre Belges ne feront que croître…

 

Beaucoup de questions sans réponses

L’accord institutionnel, dans sa forme actuelle, pose encore beaucoup de questions, auxquelles il n’y a pas toujours de réponses claires. Nous pouvons néanmoins déjà tirer quelques conclusions :

> Les moyens budgétaires dégagés pour les compétences transférées en matière de santé seront insuffisants à terme; ils ouvrent la voie à la marchandisation des soins.

> La plus grande efficacité dans l’organisation des soins, justifiant la dé-fédéralisation des compétences, n’a pas de consistante. On risque, au contraire, de réduire les possibilités d’économie d’échelle et de compliquer les flux de financement.

> La question de l’égalité d’accès par rapport aux soins régionalisés n’est pas claire : concerne-t-elle tous les Belges ou uniquement les ressortissants de chaque Communauté/Région entre eux?

 

Plutôt que d’être considéré comme une menace, le flou de l’accord doit être considéré comme une opportunité pour garantir et maintenir les logiques de solidarité et d’accessibilité, qui sont la pierre angulaire de notre système de sécurité sociale. Au-delà des responsables politiques, c’est maintenant aux acteurs de terrain comme les mutualités, les syndicats, les prestataires de soins, les représentants des institutions de soins, etc. de prendre le relais et de proposer un modèle social cohérent, solidaire et en adéquation avec les besoins des patients.

// Olivier Gillis

 

Emploi: cohérence ou dumping?
Les politiques d’activation, de sanction et de contrôle sont transférées aux Régions. Elle reçoivent également la compétence pour la dispense de disponibilité (par exemple lorsqu’un chômeur indemnisé est en formation). “Si d’aucuns y voient la fin d’un casse-tête infligé aux chômeurs, remarque la CNE, on peut, par contre, craindre que le processus d’accompagnement fasse encore un peu plus la place au contrôle. Comment, en effet, tisser une relation de confiance avec l’organisme qui vise à l’accompagnement pour la recherche d’emploi si ce même organisme est compétent pour débusquer les fraudes et les sanctionner”? 

Les subsides à l’emploi qui constituent les réductions de cotisations patronales et les mesures d’activation des allocations de chômage (Activa) sont également transférées. “La concurrence sociale entre les Régions est ainsi coulée dans le marbre et, dans une logique de compétitivité, risque d’amener à de nombreuses formes de dumping social”, dénonce la CNE. Même constat en ce qui concerne deux autres régionalisations de taille : les titres-services et les crédits-temps de la fonction publique locale, régionale et communautaire (y compris l’enseignement).

// JD

(1) Dans “Un papillon ne fait pas le printemps”, article paru dans “Le droit de l’employé”, périodique de la CNE - novembre 2011.

 


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