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Une interview du Recteur de l'UCL, Marcel Crochet

Formons-nous trop de médecins?(6 mars 2003)

 

Le décret de la ministre Françoise Dupuis supprimant le filtre en troisième candi de médecine a finalement été adopté par la majorité à la Communauté française… sous réserve d’une évaluation à réaliser à la veille de la prochaine rentrée. Nous avons demandé à Marcel Crochet, recteur de l’UCL et président du Conseil Interuniversitaire de la Communauté française (Ciuf), de préciser la position de l’université dans ce débat.

Lire également :

L'éditorial d'Édouard Descampe, secrétaire général de la Mutualité chrétienne :

A propos du numerus clausus

Comment s'est installé le numerus clausus ?

En Marche - De manière générale, l’Université n’a jamais été favorable au numerus clausus. Comment en est-elle venu à l’accepter pour les études médicales ?

Marcel Crochet - Je dois dire qu’il est bien dommage que l’on se soit engagé, à la fin des années 90, dans la voie du numerus clausus. Ce n’est pas du tout la philosophie de nos universités pour lesquelles l’accès de tous à l’enseignement universitaire est un objectif important. On a donc entamé un principe qui, jusque là, avait toujours été respecté en Belgique, et tout particulièrement en Communauté française.

C’est dans les études médicales que ce principe a été ébréché pour la première fois. On me rétorque parfois qu’en Sciences appliquées, il y a aussi un examen d’entrée. Mais c’est tout autre chose. Il ne s’agit pas d’un concours, mais d’un contrôle du niveau d’études. Dans le cas des études médicales, il s’agit de mettre en place un quota, ce qui est tout différent. Voilà pourquoi l’ensemble des Recteurs avaient affirmé à l’époque ne pas être favorables à l’établissement d’un numerus clausus.

Cela dit, en 1998, on nous a fait remarquer qu’il y avait de sérieux problèmes en santé publique. Nous avons accepté de prendre en compte cette situation. Malheureusement, la difficulté qui s’est présentée c’est que les chiffres du numerus clausus avancés se sont révélés beaucoup trop bas. Nous avons étudié de près ce dossier, notamment avec l’aide de nos cliniques universitaires, et je puis vous dire que nous allons vers des problèmes majeurs si ces chiffres sont maintenus. Je peux comprendre qu’un numerus clausus était nécessaire pour les médecins généralistes, mais il faut revoir la situation du côté des spécialistes. Sinon il faut s’attendre à de sérieuses difficultés d’accès aux ressources médicales autour de 2012… La crainte est évidemment de faire ainsi le jeu de la privatisation au dépens des hôpitaux publics.

En Marche - Le mode actuel de sélection des étudiants en médecine a été fort critiqué. S’il faut un numerus clausus, comment pensez-vous pouvoir l’organiser pour qu’il soit “plus humain” pour les étudiants ?

Marcel Crochet - Dès le départ, nous nous sommes dits que l’accès aux études de médecine ne pouvait être réservé aux étudiants qui sortent des meilleures écoles secondaires. Il faut donner aux étudiants le temps de s’adapter à l’université, de découvrir la matière, de développer leur personnalité au cours de la première année de candidature. L’autre aspect, c’était d’offrir aux étudiants une possibilité d’orientation vers des branches annexes pour ceux qui ne se révèleraient pas aptes à poursuivre des études médicales : vers la biochimie ou la biologie, par exemple.

Il faut bien reconnaître que cela n’a pas fonctionné comme nous le souhaitions. Le système actuel est invivable pour les étudiants. Mais, malgré tout, ce système nous a pratiquement mis en équilibre du point de vue des objectifs chiffrés fixés par le numerus clausus.

Aujourd’hui, les Recteurs reconnaissent qu’il faut changer ce système parce qu’il est dur pour les étudiants. Si nous avions à choisir, nos préférences iraient pour un choix au terme de la première année d’études, contrairement au système flamand qui place un filtre avant les études. Nous ne pensons pas qu’une épreuve à l’entrée permet de montrer que l’on est apte ou non à faire des études de médecine. De plus, cette épreuve n’offre pas vraiment une chance égale à tous les milieux sociaux d’entreprendre des études de médecine.

En Marche -Tout d’un coup, la Ministre de l’enseignement supérieur, Françoise Dupuis (PS) décide de tout effacer et de renoncer purement et simplement à tout mode de sélection des candidats médecins… alors que le numerus clausus existe toujours au niveau fédéral. Quel est votre sentiment ?

Marcel Crochet - Par rapport à la position ministérielle, je crie casse-cou ! Le numerus clausus est maintenu au niveau fédéral. Et il n’a été dit nulle part que celui-ci pourrait être supprimé ! Pouvons-nous prendre le risque d’envoyer des étudiants pour 7 ans d’études en leur disant : “Nous ne sommes pas sûrs, au bout de ces années d’études très lourdes que vous pourrez exercer la médecine, c’est-à-dire soigner des gens…” Ce serait “immoral” comme l’affirme le bureau du Conseil interuniversitaire (Ciuf). De plus, il faut savoir que le coût d’un étudiant pour la Communauté française représente 110.000 euros pour 7 années d’études, s’il les réussit toutes.

Le Ministre nous répond que ce risque n’est pas propre aux études de médecine. Un historien, un économiste, un juriste… ne savent pas non plus au terme de leurs études s’il vont pouvoir exercer une profession qui corresponde à leurs espérances. Mais ces études sont bien plus ouvertes que celle des médecins spécifiquement formés pour soigner les gens !

Par ailleurs, si nous renonçons au numerus clausus, le risque est énorme de voir refluer vers les universités de la Communauté française les étudiants flamands qui auront été refusé lors de l’examen d’entrée ou de nombreux étudiants, français notamment, pour échapper au numerus clausus pratiqué chez eux… bien qu’il demeure chez nous une sanction d’arrêt après 7 ans d’études. Mais en seront-ils bien conscients ?

La solution actuelle du ministre qui dit : “J’efface tout” n’est pas tenable tant que le numerus clausus existe au niveau fédéral. Certes, le Parlement de la Communauté française a voté un amendement précisant qu’une évaluation de la situation sera faite à la veille de la prochaine rentrée. Mais est-il sérieux de voter un décret dont on dit que son application est suspendue à une évaluation à venir ? Et enfin, cela n’est pas du tout respectueux à l’égard de nos étudiants.

Propos recueillis

par Christian Van Rompaey

 


Comment s’est installé le numerus clausus…

D’après les derniers recensements du Ministère de la Santé Publique, le corps médical belge aurait quadruplé en 40 ans et plus que doublé en 20 ans.

Alors qu’à la fin du siècle dernier, on comptait en Belgique un médecin pour 2.287 habitants, le Corps médical de l’époque réclamait déjà un numerus clausus à l’entrée des études médicales. Un siècle plus tard, la question est toujours là alors que la Belgique est dans le peloton de tête des pays européens les mieux pourvus en médecins (voir l’éditorial en page 16).

Le débat sur le numerus clausus s’est ouvert dans notre pays en 1993 par un mémorandum rédigé par le Professeur Léon Cassiers, Doyen de la Faculté de Médecine de l’UCL et approuvé par l’ensemble des doyens de nos facultés de médecine. Ce manifeste rapportait notamment les arguments “pour et contre” du Numerus Clausus.

En faveur du numerus clausus on trouve des arguments :

d’ordre corporatiste : assurer des revenus suffisants à chaque médecin

relatifs à la qualité des soins : un médecin sous occupé risque d’être moins compétent

d’ordre économique : la pléthore peut générer une surconsommation des soins de santé

Les arguments contre le numerus clausus sont plutôt d’ordre philosophique :

La liberté d’accès au savoir

La démocratisation des études

L’impossibilité de prévoir la demande médicale correspondant à l’évolution de la société (vieillissement de la population, diversification des soins, progrès de la science).

S’il se dégage du côté des médecins une majorité certaine pour le numerus clausus, ils restent très partagés quant à la manière de l’organiser.

On trouve en Europe des formules diverses sur le moment et sur le comment du numerus clausus. Certains pays l’organisent avant l’entrée à l’Université (Communauté flamande, Pays-Bas), d’autres après la première année d’études (France) ou au terme du premier cycle (Communauté française), d’autres encore au terme des études.

Certains pays procèdent par tirage au sort (avec pondération) au Pays-Bas, sur base des résultats de l’enseignement secondaire (avec tests d’aptitude et/ou entretien de motivation (Allemagne, Royaume-Uni, Suisse) ou des résultats académiques (en France et en Communauté française).

Au début des années 90, les études démographiques forceront le choix, malgré l’opposition des étudiants et des recteurs, vers un objectif drastique : réduire de moitié le nombre de médecins diplômés. Et cela bien que d’autres études montraient déjà les tendances à la féminisation de la profession, au vieillissement de la population, au fait qu’un cinquième de l’activité des médecins en équivalent temps plein était consacrée à du non-curatif et que la durée moyenne du temps de travail hebdomadaire n’avait pas diminué depuis 1971. En 95, la pression est mise au maximum par les syndicats médicaux, les mutuelles ainsi que les partis politiques. La Commission de planification est mise en place en juin 1996. Le conseil des recteurs, au Nord comme au Sud du pays organise dans ce cadre les modalités de sélection des étudiants en médecine.

CVR