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Éditorial (6 mars 2003)

A propos du numerus clausus

Depuis quelques années, en Belgique, comme dans de nombreux pays, une limitation à l’accès à la profession de médecin a été introduite. Un chiffre annuel de diplômés autorisés à pratiquer la médecine est fixé par Communauté, puis par Université.

Lire également l'interview de Marcel Crochet, recteur de l'UCL :

Formons-nous trop de médecins ?

Ces limites ont été fixées parce que le nombre de médecins a connu une forte augmentation dans notre pays : en effet, il a doublé en 20 ans pour dépasser aujourd’hui les 40.000. Dans les comparaisons internationales, la Belgique partage avec l’Allemagne un des taux les plus élevés de médecins par 10.000 habitants : 35,5 médecins par 10.000 habitants en Belgique, 17 en Grande-Bretagne, 26 aux Pays-Bas.

Pourquoi introduire une limitation ?

Les jeunes n’aiment pas cela car c’est dresser une limite à la liberté du choix des études.

Les universités n’y sont pas favorables non plus. Les organisations de médecins, confrontés à une pléthore de “confrères”, le réclament.

Le Ministre des Affaires sociales le demande aussi, essentiellement pour deux motifs : un motif de santé publique car un médecin qui n’a pas une activité suffisante se déqualifie, un motif économique surtout car un trop grand nombre de médecins peut induire une surconsommation surtout dans les actes techniques. Et cela peut coûter cher à la collectivité.

La profession de médecin a ceci de spécifique que son activité, sa “production” est financée par les pouvoirs publics via les remboursements de l’assurance maladie. Ces arguments du Ministre Vandenbroucke sont pertinents. Un système de financement collectif et de remboursement des frais médicaux ne peut susbsister à terme que s’il y a une certaine régulation de l’offre : encadrement des nombres de lits, des équipements et appareillages, des pharmacies… mais aussi du nombre de prestataires : médecins, dentistes, kinésithérapeutes, etc… A défaut, il peut en résulter dysfonctionnement et dérapages budgétaires.

Une nécessaire prudence dans les chiffres

La limitation du nombre de médecins (numerus clausus) est, selon nous, légitime dans son principe. Encore faut-il manier cet outil avec prudence. En effet, des pays qui l’ont pratiqué avec trop de rigueur se retrouvent avec de graves pénuries. Et, il faut prendre garde à la lenteur des évolutions. Si des patients hollandais et britanniques viennent se faire soigner chez nous ce n’est pas sans raison et cela peut être, en partie, le résultat des trop grandes restrictions d’il y a 10 ou 15 ans.

L’évolution de la démographie médicale, la féminisation de la profession, les changements dans les durées de temps de travail, les évolutions dans les besoins, tout cela suppose un pilotage souple et des adaptations récurrentes, des chiffres retenus pour le numerus clausus.

Une régulation s’impose, comment l’organiser?

Il y a quelques années, la Communauté française avait choisi d’organiser le numerus clausus après les trois années de candidatures en mettant à profit ces années pour sélectionner valablement les étudiants les plus adéquats .

Ce système s’est révélé, de l’avis de tous, difficile à pratiquer.

Le Parlement de la Communauté française vient de l’abroger purement et simplement, ce qui est une absurdité. Comme le souligne très justement le Recteur de l’UCL Marcel Crochet (lire l’interview en page 5) le gouvernement fédéral n’a aucune intention de supprimer la limitation de l’accès à la profession qui est de sa compétence. Dès lors, des étudiants diplômés pourraient se retrouver après 7 ans d’études difficiles, coûteuses pour la collectivité et pour les familles, sans pouvoir pratiquer la médecine.

La Ministre de l’enseignement supérieur, Madame Dupuis, agit avec obstination comme si la Communauté vivait sur une île et ne devait pas tenir compte des autres niveaux de pouvoir et du contexte dans lequel se déploie l’assurance maladie.

Le mieux serait sans doute d’organiser un examen à l’issue de la 1ère année comme le suggère le Recteur. En Flandre, il s’agit d’un examen d’entrée pur et simple, mais dans ce cas on perd une occasion de “remise à niveau” après le secondaire.

L’accès aux spécialités

On entend parfois critiquer le numerus clausus des études de médecine au nom de la pénurie existante dans certaines spécialités médicales.

Il faut le souligner avec force : il n’y a quasi aucun lien entre les deux. La limitation de l’accès aux spécialités se fait après la fin des études. Et, pour certaines d’entre elles, la pénurie est organisée par la corporation en place et la rareté provoquée permet de faire monter les prix et les suppléments. C’est clairement le cas en ophtalmologie. Ces verrous devraient être levés, mais cela n’a rien à voir avec le numerus clausus des études.

Ajoutons que pour certaines spécialités, la pénurie peut aussi venir du manque de candidats à cette orientation, eu égard au nombre de places disponibles. C’est le cas, par exemple, en anesthésiologie, en pédo-psychiatrie, etc… Parfois, la pénibilité de cette spécialité, les nombreuses gardes hospitalières, les revenus trop limités, d’autres causes encore peuvent provoquer ce peu d’attrait.

Un argument communautaire

Je peux suivre l’argumentation du Ministre Vandenbroucke concernant la légitimité du numerus clausus et je partage sa critique de la décision de la Communauté française. Je pense, néanmoins, qu’il y a une sérieuse disproportion dans l’utilisation qu’il fait de l’argument communautaire. Comme si la décision (à courte vue) de la Communauté française de supprimer le numerus clausus des études était en même temps une décision de scinder l’assurance maladie. Gardons la mesure.

Il y a proportionnellement plus de médecins en Wallonie qu’en Flandre. Mais les différences s’estompent au fil des ans.

En 1998, il y a en Wallonie 634 habitants par généraliste et 562 par spécialiste.

En Flandre, ces chiffres sont 704 habitants par généraliste et 675 par spécialiste.

En 10 ans, le nombre de spécialistes a augmenté de 33,4 % en Flandre et 25,3 % en Wallonie. Les chiffres de Bruxelles indiquent un nombre de médecins plus élevé, mais l’évolution va dans le bon sens car en 10 ans le nombre de généralistes y a diminué et le nombre de spécialistes est resté quasi identique.

Il y a donc un effet de correction important. Mais surtout rien n’indique que cette différence se traduise encore par une surconsommation coûteuse pour la collectivité.

Il y a bien un revenu moindre pour les médecins au sud par rapport au nord consécutif à un taux d’activité un peu plus bas.

Mais on est loin de l’apocalypse annoncée. Ainsi, par exemple, le nombre de contacts avec les médecins (visites, consultations de généralistes et de spécialistes) présente peu de différences : 7,12 contacts par an par habitant en Flandre, 7,46 contacts par habitant en Wallonie.

Le chiffre est plus bas à Bruxelles, mais probablement suite à un recours plus important et souvent non adéquat à l’hôpital.

La décision de la Ministre Dupuis est bien intenable à terme, mais il y a lieu de rester nuancé dans la polémique.

Il est donc très important dans ce dossier du numerus clausus de prendre correctement la mesure de l’ensemble des problèmes depuis la liberté de choix d’un chacun jusqu’aux contraintes nécessaires au financement collectif des soins de santé que nous voulons sauvegarder. Il serait surtout très utile de piloter en souplesse et dans la concertation l’évolution des chiffres d’un numerus clausus raisonnable.

Edouard Descampe

Sécrétaire Général