La santé publique
(15 décembre 2011)
Etrange
ballet
autour du Bisphénol A
L’étau des suspicions ne cesse de se resserrer autour du
Bisphénol A. Après les biberons, c’est au tour des boîtes de conserve de
relancer l’inquiétude…
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Serge Manceau/Belpress |
Après
avoir été banni des biberons en plastique vendus en Europe au printemps dernier,
le Bisphénol A se rappelle au bon souvenir des consommateurs. Présent dans
une infinité de biens de consommation courante (électroménagers, montures de
lunettes, revêtements de sol, CD et DVD….), ce produit inquiète surtout pour
ses impacts sur la santé lorsqu’il est utilisé dans des contenants
alimentaires de type cannettes et boîtes de conserve. Perturbateur
endocrinien, le Bisphénol A est en effet hautement suspecté de contribuer à
l’éclatement ou l’aggravation de diverses pathologies lourdes (certains
cancers, perturbations du système immunitaire…) chez l’homme, y compris à
des doses très réduites.
L’Ecole de santé
publique de Harvard (Etats-Unis) vient de lancer deux nouveaux pavés dans la
mare. Dans une première étude, elle a mis en évidence l’apparition de
troubles du comportement (anxiété, hyperactivité, dépression) chez des
fillettes de trois ans dont la maman avait ingéré de grandes quantités de ce
produit pendant la vie utérine de leur enfant (les jeunes garçons semblent,
eux, moins sensibles). Plus récemment, elle a constaté la multiplication par
dix, en cinq jours à peine, du taux de Bisphénol A dans l’urine de sujets
ayant consommé de la soupe en boîte (le produit est en effet utilisé dans la
fabrication du film en résine Epoxyde qui tapisse les récipients).
Cacophonie
européenne
Péril en la demeure? De
telles études sont toujours à prendre avec des pincettes. Si sérieuses
soient-elles, elles ne suffisent pas, à elles seules, à établir un fait
scientifique. Mais de tels résultats se multiplient ces derniers mois et
jettent le trouble. Y compris, manifestement, au sein des gouvernements et
des agences de sécurité sanitaire européennes. Ainsi, les réactions se font
en ordre dispersé. Les Danois, par exemple, ont retiré les biberons en
plastique du commerce, dès 2010. Les autorités françaises ont décidé, de
leur côté, de supprimer le Bisphénol A de tous les contenants alimentaires à
partir de 2014 et, sans plus attendre, de déconseiller l’ingestion
d’aliments en conserve aux femmes enceintes et aux enfants en bas âge. Cette
recommandation a toutefois été jugée prématurée par l’Autorité européenne de
sécurité des aliments (EFSA). En Belgique, un avis du Conseil supérieur de
la santé, annoncé initialement pour l’été 2011, ne sera finalement pas rendu
avant début 2012.
Une bonne nouvelle, en
tout cas: le Bisphénol A est réputé s’évacuer très vite de l’organisme via
le foie et les urines. Avec un bémol scientifique tout récent: cette
évacuation naturelle ne semble pas l’empêcher systématiquement de
s’accumuler dans le corps. En quelle quantité et avec quels effets? Mystère,
à ce stade. La question se pose particulièrement sur des organismes jeunes
ou affaiblis.
Des
experts US sur la sellette
Troublante est l’enquête
menée par des journalistes du “Monde”(1), principalement aux Etats-Unis, sur
les relations entre les scientifiques, les politiques et les comités
d’expert appelés à se prononcer sur le produit. Leurs conclusions se
résument en quatre points.
Primo, les premières
inquiétudes sur les effets biologiques du Bisphénol A à très faibles doses
remontent au milieu des années nonante. Cela ne date donc pas d’hier…
Secundo, des chercheurs éminents, dont ceux de la Société américaine
d’endocrinologie, sont tombés d’accord sur la toxicité du produit à faible
dose pour l’homme: le produit pourrait expliquer l’augmentation des cancers
du sein et de la prostate, la précocité de la puberté féminine, des
malformations urogénitales chez les garçons, des désordres métaboliques
divers, etc. Malgré cette vision commune, ils n’ont pourtant pas réussi à se
faire entendre des agences nord-américaines, censées alerter ou - au moins -
sensibiliser l’opinion publique.
Tertio: certaines études
rassurantes, minoritaires, sont financées par des milieux industriels pour
“créer du doute là où il n’y en pas” (ou plus), afin de retarder l’adoption
de mesures réglementaires aux Etats-Unis. Quarto - et c’est le plus
troublant - si les agences de sécurité alimentaire américaines n’entendent
pas les appels inquiets d’une large majorité d’experts académiques
spécialisés, c’est parce que leurs schémas d’évaluation ne sont pas adaptés
à l’une des particularités étonnantes du Bisphénol: en mimant des hormones,
ce perturbateur endocrinien agirait à de très faibles concentrations et
serait, paradoxalement, moins actif à des doses plus importantes.
Au terme de son enquête,
le Monde n’hésite pas à parler d’un “scandale mondial”, vu que 95% de la
population recèle du Bisphénol dans ses urines. Exagéré? Gageons, en tout
cas, que les agences européennes, et particulièrement l’EFSA, prendront en
compte ce genre de hiatus méthodologiques dans leurs évaluations futures.
Pour les réfuter ou pour les appuyer. Mais, en tout cas, pour éclairer les
consommateurs, de solides arguments et une totale indépendance à l’appui.
// PhL
(1) Le Monde, 29 octobre
2011.
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