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Médicaments (4 octobre 2012)

Quand les hommes
deviennent de petits rats de laboratoire

Les différentes phases tests

Les médicaments, avant d’être commercialisés, sont analysés scrupuleusement pour vérifier leur efficacité face à une maladie mais aussi pour tester les éventuels effets secondaires qui pourraient découler de leur administration.

Quatre phases cliniques jalonnent le parcours d’une future molécule. Celles-ci suivent les tests in-vitro mais aussi in-vivo chez les animaux (souvent chez le rat et le chien ou le singe).

> Phase I : test chez l’homme. Les observations se font en général sur des volontaires “sains” (lire l’article ci-contre). Pendant cette phase de test, les chercheurs observent la pharmacocinétique, c.-à-d. la vitesse à laquelle le corps du volontaire absorbe et élimine la molécule. Ils se penchent également sur la pharmacodynamie, c.-à-d. les effets de la molécule sur l’organisme (comment réagit la tension artérielle, le rythme cardiaque…?).

> Phase II : essais thérapeutiques pilotes. Les tests de molécules se pratiquent sur des patients “malades”, souvent quelques centaines de personnes. Cette phase sert à évaluer l’efficacité du médicament par rapport à la pathologie. Elle permet également de déterminer la dose optimale du médicament et les effets indésirables.

> Phase III : étude “pivot”. Avant la commercialisation, la molécule est testée sur un plus grand nombre de personnes malades (des milliers). Ses effets sont comparés à ceux d’un placebo ou à ceux d’un traitement de référence. Cette étape vise à confirmer l’efficacité du médicament.

> Phase IV : essais post-commercialisation. Des tests sont encore effectués après la mise sur le marché du médicament. Ils relèvent de la pharmacovigilance, c.-à-d. d’éventuels effets secondaires rares dus à l’utilisation du médicament (lire "Déclarer les effets indésirables").

© Reporters/SPL

Avant d’arriver dans les pharmacies, les médicaments empruntent un chemin long et particulier. Plusieurs étapes sont nécessaires avant leur commercialisation. Une d’entre elles: les tests sur l’homme. Pas question pour les chercheurs de prendre des risques.

Dans l’hôpital de jour d’Erasme à Bruxelles, deux étages se démarquent des autres. Ici, on ne soigne pas des patients. On observe des personnes qui ne sont pas malades… Ce laboratoire de 60 lits appartient à la firme pharmaceutique, Pfizer. Depuis plus de 20 ans, on y teste de nombreuses molécules qui deviennent par la suite des médicaments. Ceux qu’on appelle parfois “cobayes” viennent dans ces murs pour les tester à leurs tout premiers balbutiements. Les essais pratiqués dans cette unité de Bruxelles relèvent de la phase I des essais cliniques (voir encadré ci-dessous). Cette étape est cruciale dans le parcours d’un médicament. “En Belgique, Pfizer n’est pas la seule firme pharmaceutique à pratiquer des tests de phase I sur des humains, explique Erik Brouwer, directeur médical de l’unité de recherche clinique de Pfizer à Bruxelles. Il existe six unités de recherche en Flandre et une en Wallonie (à Liège) où d’autres firmes peuvent demander de réaliser des recherches.

Profil des volontaires

Lorsqu’une étude de phase I est lancée, il est important d’avoir recours à un panel de volontaires “sains”. “Par là, nous entendons que le patient soit en bonne santé, précise la coordinatrice de l’Unité clinique de phase I d’Advanced technology corporation à Liège(1). A sa première visite médicale chez nous – celle qui lui permet d’être repris dans nos bases de données de volontaires sains –, ses résultats biocliniques ne doivent présenter aucun souci : tension artérielle normale, électrocardiogramme régulier, prise de sang qui ne montre aucune carence ou aucun dysfonctionnement de l’organisme (au niveau du foie, de l’intestin ou des reins). Le volontaire ne doit pas prendre de médicaments de manière chronique, ni fumer ou se droguer.” Mais étonnamment, pour quelques études de phase I, les chercheurs ont parfois besoin de volontaires présentant un “dysfonctionnement”. “Pour mieux cibler la recherche, il est parfois nécessaire de travailler directement sur l’élément ‘anormal’ qui est observé chez le malade, acquiesce Erik Brouwer. Ce type de volontaire est beaucoup plus difficile à dénicher. Pour l’instant, nous aimerions lancer des études sur des patients diabétiques, en surpoids, ayant eu un problème cardiaque ou souffrant de douleurs chroniques… Faute d’en trouver, la recherche risque d’être reportée.

Argent facile

21.000 volontaires collaborent, main dans la main, avec nous pour la recherche, continue le directeur. Ils sont nos véritables partenaires. Grâce au temps qu’ils investissent dans les tests, ils nous aident à faire avancer la médecine.” Benoît et Jean-Yves en font partie mais l’altruisme ne semble pas être leur motivation première. L’un et l’autre ont tenté l’expérience à l’époque où ils étudiaient. “On était fauchés et c’est un bon moyen de se faire facilement de l’argent et d’obtenir une belle petite somme, affirme Jean-Yves. Lors de tests, j’ai rencontré des chômeurs, des étudiants, des artistes, des flambeurs… tous dans le besoin. Je n’ai jamais croisé des gens qui expérimentaient des médicaments par altruisme, pour faire avancer la médecine.

Pfizer tempère : selon elle, seuls 17% des volontaires seraient sans emploi, autant étudieraient et 40% seraient salariés. La firme parle d’un dédommagement de plus ou moins 1.500 euros par test : “Notre société pharmaceutique ne paie pas le risque. Car si risque il y a, nous ne lançons pas l’étude sur des humains. Nous intervenons financièrement par rapport au temps investi par le volontaire. Le montant variera donc en fonction des jours passés dans notre unité et des actes techniques que nous réalisons sur lui.” Benoît note d’ailleurs que, même si la somme reçue paraît énorme, elle l’est beaucoup moins au regard du temps investi et des contraintes imposées par l’étude.

Déroulé d’une étude

En général, une étude de phase I dure de 4 à 6 semaines, entre la visite médicale d’entrée jusqu’à celle de sortie. Pendant ce laps de temps, le volontaire fera un séjour à l’hôpital, variant de quelques heures à parfois deux semaines. Et les journées qu’il y passe sont minutées et bien remplies. Prises de sang, électrocardiogramme, mesure de la tension… L’horaire et les actes techniques varient, néanmoins, selon la molécule testée. “Pour les chercheurs et le personnel médical, il est important d’avoir des volontaires collaborants et fiables : ils ont des consignes et un timing précis à respecter, sans quoi l’étude peut être faussée, insiste Erik Brouwer. Pour certains essais, une quinzaine de prises de sang et une dizaine d’électrocardiogrammes doivent être effectuées dans les premières 48 heures.” Jean-Yves s’en souvient : “L’hôpital où nous passions le test était très confortable: nous avions accès à internet, des jeux vidéos, plein de films… L’horaire étant très chargé, nous n’en profitions pas pleinement.

Des risques ?

L’étage de l’hôpital de jour d’Erasme réservé à Pfizer est une tour d’ivoire sous haute surveillance. Une fois hospitalisé, le volontaire ne sortira pas avant la fin de l’étude. Il est surveillé du réveil au coucher. Caméras, boutons d’urgence et matériel de soins sont omniprésents. “Même si en vingt ans de recherche, nous n’avons jamais eu recours à des procédures d’urgence, rappelle fièrement Erik Brouwer, tout est étudié pour réagir rapidement en cas de problème. C’est pourquoi nous sommes accolés à l’hôpital universitaire.” Tout comme chez Pfizer, chez ATC à Liège, la sécurité des “cobayes” est une priorité. Un médecin est disponible 24h/24 tout au long de l’étude, même lorsque que le volontaire a quitté l’enceinte hospitalière. Il a, en sa possession, une carte qui mentionne qu’il participe à un essai clinique et un numéro d’urgence relié à une équipe médicale.

Avant de démarrer le recrutement de volontaires, l’essai clinique doit également recevoir l’approbation de l’Agence fédérale des médicaments et des produits de santé et de la Commission éthique”, ajoute Erik Brouwer. De plus, les essais cliniques sont soumis à la loi belge du 7 mai 2004 qui détermine les balises de ces tests et garantit une protection des volontaires. Par ailleurs, le consentement éclairé de ceux-ci est requis pour démarrer une étude. Ils doivent prendre connaissance des objectifs de la recherche, de la molécule testée, ainsi que du déroulé de l’essai. A tout moment, ils ont le droit de quitter l’étude. Du labo à la pharmacie, le chemin est long. Ces testeurs humains l’oublient peut-être parfois, mais ils tiennent une place primordiale dans le développement des médicaments.

// VIRGINIE TIBERGHIEN

>> Infos :
Advanced technology corporation : 04/366.83.11 -
www.atc-pharma.be
Pfizer : 0800/13.138 - www.brusselscru.com

(1) Advanced technology corporation est un organisme de recherches sous contrat. Des firmes pharmaceutiques peuvent le contacter en vue qu’il organise des essais cliniques pour elles.

Les cobayes étrangers pigeonnés !

© Ekta Parishad
Si, en Belgique, les tests de nouveaux médicaments sur les humains sont bien encadrés par la loi, il n’en est pas pour autant de même à l’étranger. Des firmes pharmaceutiques sans scrupules n’hésitent pas à profiter de ce vide législatif pour tester leurs produits sur les populations précarisées.

Récemment, la Cour suprême d’Inde, la plus haute juridiction de ce pays, a accusé des groupes pharmaceutiques étrangers de mener des essais cliniques illégaux sur son territoire. Cette accusation fait suite à la condamnation de douze médecins de l’état du Madhya Pradesh qui avaient testé des molécules pour des firmes pharmaceutiques sans le consentement des patients.

En Occident, les volontaires pour des expériences de phase II et III se font rares. De plus, les industries sont soumises à des lois de plus en plus strictes. Sans parler des sommes parfois astronomiques que la recherche de “cobayes” exige. Dans ce contexte, les populations précaires et les pays en voie de développement peuvent être attirants pour les multinationales pharmaceutiques. Dans un reportage tourné par la chaîne anglaise BBC, une grande société pharmaceutique dans le monde confie : “Il est très difficile de trouver en Europe, aux USA ou au Canada, des patients ‘vierges’ de tout traitement médicamenteux. Par contre, beaucoup d’Indiens n’ont pas accès aux soins de santé et n’ont donc jamais pris un médicament. L’Inde est très peuplée: l’échantillon est donc grand et diversifié. Les industries perdent ainsi moins de temps ; la qualité et le coût des expériences sont avantageux.

Du côté des patients, les tests de phase II (sur des malades) offrent la possibilité d’accéder gratuitement à des soins. En Inde, mais aussi en Afrique ou en Amérique du Sud et centrale, les populations pauvres, sans argent pour se soigner, acceptent des traitements, en ignorant qu’elles servent de cobayes. Aucune information quant aux risques encourus ne leur est donnée clairement et d’une manière intelligible. Souvent illettrés, ces gens se contentent, en guise d’accord, d’apposer l’empreinte de leur doigt au bas d’un document rédigé en anglais, langue qu’ils ne comprennent pas.

Recherche pour tous

Autre question soulevée : le public-cible des médicaments développés. Jean-Yves, participant à des tests pharmaceutiques en Belgique s’étonne: “J’ai toujours été interloqué par la proportion démesurée de tests pharmaceutiques concernant les maladies parfois bénignes des pays ‘riches’. Que fait-on pour celles qui touchent les pays les plus pauvres ?” Une information confirmée par l’organisme Médecins sans frontières qui s’inquiète de ce que seuls 10% de la recherche médicale sont consacrés aux affections qui représentent 90% de la morbidité mondiale : “Les tests réalisés en Afrique, par exemple, ne concernent pas les maladies des pays les plus pauvres. Cette tendance doit changer. Un lueur d’espoir : des recherches ont vu le jour ces dernières années, notamment dans le traitement du paludisme ou du sida, deux maladies qui concernent également les pays plus riches.(1)

// VT

(1) Nigéria : mener des recherches en respectant les règles éthiques, sur des pathologies affectant les pays pauvres, 1er janvier 2008. Voir : www.msf.fr


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