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Les patients anglais font la Manche

(20 février 2003)

Victime d’un désinvestissement financier chronique, le service national de santé britannique (NHS) ne dispose plus de soignants ni de lits en nombre suffisant. Le Gouvernement de Tonny Blair encourage dès lors les patients anglais à se faire soigner sur le continent afin de résorber les files d’attente.

Lire également l'éditorial de Jean Hermesse :

Accueillir les patients anglais ? Oui, mais à quel prix !

 

“Nous allons réduire de 100.000 le nombre de patients attendant de se faire admettre dans les hôpitaux” répétait Tony Blair au cours de sa dernière campagne électorale, annonçant l’engagement de 20.000 infirmières et 10.000 médecins. Mais il ne suffit pas de promettre…

L’an dernier, plus de 40.000 malades attendaient d’être opérés. Plus d’un million de patients étaient en attente pour une simple consultation à l’hôpital. Il faut 5 jours d’attente en moyenne pour voir un médecin, constate le magazine du consommateur “Wich”. Aussi, la décision prise par le Gouvernement britannique l’an dernier d’autoriser ses patients à se faire soigner en France ou en Allemagne, et aujourd’hui en Belgique, dans le cadre d’accords passés avec des hôpitaux du continent, est accueillie avec soulagement par certains citoyens britanniques. Mais, pour la plupart d’entre eux, cette initiative démontre l’incapacité du gouvernement à mettre en route une vraie réforme du système national de santé.

Comment, se demandent par ailleurs les Britanniques, le NHS va-t-il financer les déplacements de malades alors que les dysfonctionnements du système britannique sont la conséquence de son sous-financement ? Comment les malades supporteront-ils d’être soignés loin de leur famille et dans un pays étranger ? Beaucoup de malades concernés pourront-ils se déplacer étant donné leur manque de mobilité ? Les Britanniques estiment généralement que cette solution ne peut être que provisoire. Le problème ne date pourtant pas d’hier. La réforme du système de santé britannique en est à sa cinquième version en 20 ans.

 

Introduire une logique de concurrence

 

Il faut rappeler que durant les années 80, l’Angleterre, sous les libéraux, avait rendu son système de taxation moins progressif, que la pression fiscale s’était fortement accrue sur la population moins favorisée et que la demande de services de santé était en pleine croissance.

La réforme conservatrice du NHS de 1991, dite réforme Thatcher, avait profondément modifié la physionomie du système national de santé (NHS) en y introduisant des mécanismes de marché. Cette réforme avait pour objectif de réaliser un meilleur contrôle des coûts afin d’améliorer la performance du système sans devoir injecter de nouveaux fonds.

L’idée fondamentale était d’instaurer une séparation très nette entre acheteurs et fournisseurs de soins, les premiers étant constitués par les autorités locales et les cabinets des médecins généralistes, les seconds par les hôpitaux devenant des fondations autonomes, et les services de soins communautaires (soins à domicile et assistance médico-sociale). Quant aux médecins généralistes qui le souhaitent, ils peuvent gérer des enveloppes budgétaires pour acheter des soins spécialisés à leurs patients. Ainsi, le gouvernement conservateur introduisait dans le système britannique une logique de concurrence.

Si cette réforme n’a pas modifié les objectifs du service national de santé, préservant la gratuité du système pour tous (sans avoir recours à des mécanismes de remboursement), les hôpitaux et centres communautaires sont “responsabilisés”, c’est-à-dire qu’ils doivent dégager des profits afin, disait-on, d’améliorer la qualité du service. Cette stratégie de “mettre un peu de marché” dans le système n’a cependant pas produit les effets escomptés quant à la distribution des services et de leur efficience. On ne sait qui dans ce nouveau système déterminait le niveau des besoins de santé de la population. L’objectif financier et économique des conservateurs avait-il priorité sur l’objectif social du système de santé ? Certains pensent que le “quasi-marché” voulu par Mrs Thatcher n’était pas arrivé à maturité. Il était donc difficile de mesurer son impact. Quoiqu’il en soit, les libéraux perdent les élections. Beaucoup espèrent que les travaillistes vont réparer les dégâts sociaux provoqués par les années Thatcher (1).

 

La solidarité à un prix

 

Après 18 ans de pouvoir, le gouvernement conservateur est remplacé en 1997 par un gouvernement travailliste. Tonny Blair n’envisage pas de revenir en arrière, au temps du système national de santé hypercentralisé des années 70. Mais il veut donner une touche sociale-démocrate aux réformes précédentes. La “troisième voie” de Tonny Blair veut créer un nouvel équilibre entre le marché et l’administration, entre le jeu des lois de la concurrence, (voire de la compétition) et la nécessité de rattraper les insuffisances du libre marché, en imposant des normes correctrices, notamment à l’égard des moins nantis. Aussi, c’est à son corps défendant que Tonny Blair est contraint d’augmenter la pression fiscale – contrairement à ses engagements – mais c’était pour lui le seul moyen de tenir une autre promesse, tout aussi importante aux yeux des Britanniques : remettre sur pied le service national de santé, le National
Health Service (NHS) en portant les dépenses de santé au niveau de la moyenne européenne (8 % du PIB) en 2006. En avril 2002, le Ministre des Finances, Gordon Brown, annonce une hausse des impôts directs en la justifiant par la poursuite d’un objectif à long terme : “Faire du NHS le meilleur système d’assurance santé du monde”.

Les travaillistes sont amenés à des révisions déchirantes. Alors que la charge fiscale s’est alourdie aux dépens des entreprises, relève un commentateur, la hausse des impôts frappera cette fois les classes moyennes, l’Angleterre profonde. Ce choix politique est toutefois différent de celui des conservateurs qui souhaitaient faire payer aux patients une partie des dépenses de santé en les encourageant à prendre des assurances privées commerciales. “Les soins de santé ne peuvent se borner à être un produit pouvant être acheté et vendu sur le marché, déclare le secrétaire d’État à la santé. Par leur nature même, nos besoins en soins de santé sont totalement imprévisibles…Plutôt que d’exiger de la population qu’elle prenne le risque de subvenir seule à ses besoins en matière de santé, il est normal que nous y subvenions collectivement pour elle et que nous répartissions ce risque entre tous les habitants”.

Selon le gouvernement britannique, il n’y aurait pas d’alternative. Un rapport officiel commandé par Gordon Brown, met en évidence le fait que les dépenses de santé augmenteront de 43 % en 5 ans, soit deux fois plus vite qu’aujourd’hui et que la part des soins de santé dans le PIB passera de 7,7 % à 9,4 % en 2007-2008. Ce rapport conseille de porter les dépenses de santé à 10,6 % dans vingt ans. Elle était de 8 %, en moyenne, pour l’Europe en 1998. Selon ce rapport, la Grande-Bretagne manquera de 25.000 médecins en 2022.

Si ce budget a été bien reçu dans les milieux médicaux et les syndicats du secteur, qui considèrent que la Grande-Bretagne s’est toujours montrée “avare” dans le financement des soins de santé, les milieux financiers par contre voient d’un mauvais œil la hausse des charges patronales et les milieux conservateurs dénoncent le retour d’un travaillisme dépensier (“tax end spend”) alors que les performances économiques de l’Angleterre connaissent de bons chiffres: une croissance soutenue de plus de 2 % et un budget en excédent malgré une hausse des dépenses publiques, une dette publique allégée, un chômage au plus bas.

Depuis plusieurs années déjà les Britanniques et leurs gouvernements sont placés devant un véritable dilemme. D’une part, les citoyens anglais, viscéralement attachés à leur système national de santé, ne remettront pas facilement en question les principes d’universalité et de gratuité (comme nous tenons aussi fortement à la gratuité de l’enseignement en Belgique). D’autre part, ils reconnaissent que leur service national de santé est à la source des difficultés de ces dernières années : limitation de l’offre de soins, jusqu’à la pénurie pour certains services médicaux. Ils ne peuvent donc s’empêcher de comparer et d’envier l’abondance sanitaire sur le continent. Comment dès lors, dans ce contexte, obtenir de la population et des entreprises un “consentement à payer” ? Si les électeurs acceptent en fin de compte l’effort fiscal demandé par les travaillistes, ils seront certainement très attentifs à obtenir des résultats concrets et rapides, qui ne se résumeront pas à organiser le déplacement des malades vers le continent.

Christian Van Rompaey

 

(1) Les systèmes de santé en Europe, Marc Duriez et Diane Lequet-Slama. Collection Que sais-je ? (N°3343)

 

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Le modèle anglais

 

Issu du plan Beveridge de 1942, le service national de santé britannique, créé en 1948, complète une protection sociale qui obéit à une logique de redistribution et non d’assurance. Au lieu de se fonder principalement sur les cotisations sociales des assurés et des entreprises, la participation des ménages et des entreprises provient des impôts.

Principes gouvernant l’organisation et le financement de la santé en Angleterre depuis 50 ans :

 

1. Couverture universelle, gratuite et uniforme, sans affiliation. Il ne faut pas justifier d’un travail, d’appartenir à une entreprise, d’avoir un statut social.

2. Monopole de santé publique. Le service national de santé organise les soins ambulatoires et hospitaliers qui sont délivrés par un personnel salarié.

3. Financement par l’impôt (à 90 %).

Ce mode d’organisation apparaît plus simple et permet de mieux contenir l’inflation médicale. Elle a séduit entre autres l’Italie et l’Espagne. Mais tous ces pays ont tenté dans les années 90 de diversifier leurs recettes et d’assouplir un système trop étatisé.

L’accès au système de soins via le médecin généraliste est obligatoire. Il n’y a pas d’accès direct aux spécialistes. Ceux-ci sont majoritairement des hospitaliers salariés. Le choix d’un médecin généraliste est limité en fonction de critères géographiques et le praticien est rémunéré à la capitation.

L’Angleterre a deux fois moins de médecin et de lits d’hôpitaux que la France. Les Anglais dépensent deux fois moins par habitant… Mais le réseau hospitalier ne peut faire face efficacement à la demande, en raison d’un budget plafonné, d’un sous-équipement chronique et d’un déficit de personnel, ce qui entraîne d’importantes listes d’attente.

L’attrait du modèle s’estompe devant le modèle de pénurie et d’arbitraire du système anglais.

 

Lire Les systèmes de santé. Analyse et évaluation comparée dans les grands pays industriels. Denis-Clair Lambert. Seuil 2000.