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Éditorial (20 février 2003)

 

Accueillir des patients anglais?

Oui, mais à quel prix?

L’accueil de patients anglais dans des hôpitaux belges a fait “la Une” des médias. Un accord cadre a même été signé entre la Belgique et le service national de santé anglais. Mais pourquoi venir en Belgique ? Et qui fait la “bonne” affaire ?

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La construction européenne est en devenir permanent, les frontières s’ouvrent, la mobilité des patients s’amplifie. Mais pourquoi des patients, anglais ou hollandais, sont-ils prêts à parcourir plus de 100 km, se confier à des médecins étrangers, se faire soigner en dehors de leur milieu familial, culturel, et dans une autre langue ? C’est que, en Angleterre, l’offre médicale et la capacité d’intervention sont insuffisantes et ne correspondent pas aux besoins. Plus de 250.000 patients attendent depuis plus de six mois une place pour une intervention chirurgicale. L’existence de longues listes d’attente pousse les patients anglais à chercher des soins en dehors de leur pays. Certes, le gouvernement britannique a décidé d’investir dans les soins de santé en augmentant, entre autres, le nombre de médecins, mais il faudra quelques années avant d’en sentir les effets sur les listes d’attente.

L’empressement des hôpitaux belges

Pour réduire tout de suite les listes d’attente, le service national de santé anglais a donc fait appel aux capacités excédentaires éventuelles d’autres pays. L’appel, consultable sur Internet, a rapidement déclenché l’intérêt des hôpitaux belges. Plusieurs de leurs directions ont fait le voyage en Angleterre. Aujourd’hui, après une longue et minutieuse procédure, quelques hôpitaux ont été sélectionnés et ont signé un contrat avec l’Angleterre. Malgré les contraintes et les conditions exigées, comment expliquer l’empressement des hôpitaux belges?

C’est que la situation financière de ceux-ci n’est pas brillante. Le sous-financement du secteur, dénoncé depuis plusieurs années, oblige les hôpitaux à rationaliser et/ou à chercher de nouvelles rentrées financières. Et la facturation de soins pour les patients anglais, même aux tarifs belges, constitue une source financière supplémentaire intéressante surtout depuis le nouveau mode de financement des hôpitaux mis en place par le ministre. En effet, dans ce système, les hôpitaux ne perçoivent plus que 20 % du prix de journée lorsque le taux d’occupation dépasse 80 %, mais ils peuvent facturer 100 % du prix de journée lorsqu’il s’agit de patients anglais ou hollandais. Si nos hôpitaux étaient correctement financés peut-être y aurait-il moins d’intérêt de leur part à accueillir des patients anglais.

Pour qui la bonne affaire?

L’accord cadre signé entre la Belgique et l’Angleterre prévoit que les tarifs ne peuvent être supérieurs à ceux appliqués aux patients belges. Or, ceux-ci, déjà bas en comparaison de ceux des pays proches, sont des tarifs moyens tenant compte de pathologies lourdes et légères. De plus, ces tarifs ne comprennent pas une partie du coût des investissements. Or, les patients anglais transférés en Belgique relèvent plutôt de pathologies lourdes dont le coût réel est supérieur aux tarifs moyens. En ne facturant qu’un faible coût moyen, le système de soins de santé belge pallie et subsidie indirectement les déficiences du système anglais ou hollandais. Ce n’est sûrement pas ce qui est voulu, mais si les transferts de patients s’amplifient (déjà plus de 6.000 patients hollandais), il faudra autoriser un mode de facturation plus proche des coûts réels… Ce qui risque d’avoir des répercussions sur le mode de facturation pour les patients belges.

Enfin, n’est-il pas étonnant que des inspecteurs anglais soient venus évaluer la qualité des soins sur base de leurs exigences et de leurs critères en vue de sélectionner les hôpitaux candidats ? Les normes d’agrément belges pour les hôpitaux seraient-elles insuffisantes ?

Des risques pour le système belge?

Il est tout à fait louable et, par ailleurs, impossible d’interdire aux hôpitaux belges d’aider l’Angleterre à résoudre son problème (en principe temporaire). Une extension de ce type d’accord pourrait cependant représenter des risques pour notre système de soins.

Si le mode de financement des hôpitaux n’est pas adapté, il sera financièrement plus intéressant de soigner des patients étrangers et… de privilégier l’accueil des patients plus “rentables”, surtout dans un contexte de sous-financement. Les hôpitaux attractifs pour des patients étrangers disposeront alors de plus de moyens pour maintenir la qualité des investissements médicaux.

Nous risquons ainsi d’encourager une médecine à deux vitesses, déjà perceptible dans certains hôpitaux : d’une part une médecine privée rapide, sans délai d’attente, avec un accueil personnalisé et d’autre part une médecine aux tarifs de la convention, avec un temps d’attente plus long. Ces inégalités d’accès, bien présentes en Angleterre, ne doivent être exportées !

Enfin, n’oublions pas que les listes d’attente en Angleterre et aux Pays-Bas trouvent leur origine dans la pénurie de médecins. Or, nous avons introduit chez nous le numerus clausus en 1997. Les premiers effets en sont déjà perceptibles. Aussi, il est essentiel d’analyser en permanence l’adéquation de cette décision et de la corriger rapidement si nécessaire (comme en France récemment), vu les conséquences importantes d’une erreur d’estimation des besoins futurs de médecins.

La générosité des hôpitaux belges pour accueillir des patients anglais bloqués sur des listes d’attente est louable. Elle devrait, toutefois, nous faire réfléchir sur l’insuffisance du budget hospitalier, sur le prix facturé (trop bas) et sur les risques de dualisation de la médecine. L’attractivité à l’étranger du système de soins belge est donc à la fois une source de fierté et un signal qu’il est urgent d’investir dans notre système de soins.

Jean Hermesse

Secrétaire National