Enjeux internationaux
(17 mars 2011)
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Bangladesh : quand le delta bouillonne
Les dessous très peu chics de l’industrie textile
Trois
millions et demi de personnes, essentiellement des femmes, travaillent dans
le secteur du vêtement au Bangladesh. La consigne: produire au coût le plus
bas afin d’attirer les entreprises occidentales. Malgré quelques récentes
améliorations, le prix payé est énorme: liberté d’association bafouée,
salaires dérisoires, horaires excessifs… Reportage dans l'arrière-cour
mondiale du textile à bas prix.
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© Solidarité mondiale |
8 heures du matin.
Les routes poussiéreuses autour de Dacca, la capitale du Bangladesh,
sont envahies par de longues cohortes colorées de jeunes femmes
rejoignant d’un pas rapide le cœur de la zone industrielle du
mégapole. Vers 18 ou 20heures, la scène se répétera dans l’autre
sens, comme dans chaque centre urbain du pays. La plupart des usines
sont situées près de la mégapole, ce qui a engendré une grande
migration des zones rurales vers les villes. Les conditions de vie y
sont précaires. Si les hommes deviennent souvent des ‘rickshaws-pullar’,
c’est-à-dire des tireurs de pousse-pousse, les jeunes filles se
tournent, elles, vers la fabrication de vêtements. Certes, pour de
nombreuses femmes, travailler dans ces usines constitue une
opportunité d’émancipation. Mais celle-ci est toute relative car,
comme les hommes, elles ne disposent au travail que de peu de
droits.
L'une de celles que nous
avons rencontrées, lors d'un voyage de la Mutualité chrétienne et de l'ONG
du Mouvement ouvrier chrétien, Solidarité mondiale, s'appelle Zosna (“Clair
de lune”). Elle vit dans une seule pièce, avec son mari et un de ses
enfants. Son autre enfant est resté au village avec sa grand-mère. Avec cinq
autres familles, ils partagent une petite cour qui fait office de cuisine,
et une toilette. Son rythme de travail? “Dix heures par jour, six jours
sur sept. Et je gagne 3000 takas (34,50 euros) par mois. A elle seule, la
chambre nous coûte 1800 takas (21 euros)”. Le même régime, à peu près,
vaut pour les 200.000 personnes qui travaillent dans les 200 usines des
environs.
Visite
d'usine
Une des visites durant
le voyage nous a menés dans une usine du groupe “Babylon”, qui compte 12.000
ouvrières. Chaque étage abrite environ 800 femmes, jeunes pour la plupart,
installées derrière leur machine à coudre. Quelques hommes, aussi. De grands
tableaux noirs mentionnent, à la craie, le nombres de pièces achevées à
l’entame de chaque heure. Au bout de la chaîne: des vêtements véritablement
prêts à l’emploi: H&M, Zara, Benetton, Esprit, etc. Repassés, étiquetés et
mis sur cintre, ils n'ont plus qu'à être extraits de leur boîte et exposés
dans nos boutiques et supermarchés à la mode en Europe.
Le directeur nous montre
avec fierté l’équipement anti-incendie. Mais est-il suffisant? Ces dernières
années, des centaines d'ouvriers ont péri dans des incendies, le plus
souvent en raison du blocage des sorties de secours et du manque
d'extincteurs. Au sous-sol de l'usine, une trentaine de nourrissons sont
rassemblés dans une pièce face à un écran de télévision; deux femmes
s’occupent d’eux.
Selon la Fédération
nationale des travailleurs du textile (NGWF), cette usine est plutôt un
modèle du genre: consignes de sécurité, crèche, cantine, contrat signé avec
l'ONG GK pour les soins de santé (lire En Marche du 20 janvier 2011),
paiement du salaire et des heures supplémentaires, etc. Mais de véritable
syndicat qui puisse négocier et suivre l’application des conventions
collectives, il n’en est pas question. Seul un “comité de participation des
travailleurs” est toléré…
NGWF ou
le combat continu
“Le combat pour
l'amélioration des conditions de travail dans le secteur textile a débuté en
1984 et il est loin d'être terminé”, confie Amirul, le président de la
fédération. Autour de lui, dans les deux petites pièces qui servent de
bureaux à son organisation, des dizaines d'affiches et d'encouragements à
manifester rappellent les combats d'hier et d'aujourd'hui en faveur de
salaires plus justes, du respect des droits des travailleurs, de l'égalité
de salaire pour les hommes et les femmes.
“Au
Bangladesh, nous détenons le triste record du salaire le plus bas d’Asie,
soit 19 euros par mois. Après de nombreuses grèves et manifestations l’année
dernière, ce minimum est passé à 3000 takas (34 euros) depuis le 1er
décembre 2010. Mais, dans la capitale, il n’est tout simplement pas
possible, avec un tel montant, de subvenir aux besoins vitaux. Nous
demandons un salaire minimum de 5000 takas (55 euros). Or c’est déjà un
grand défi de veiller à ce que la hausse récemment obtenue soit appliquée”.
Des abus
quotidiens
Malgré les améliorations
de ces dernières années (diminution du travail des enfants, contrats avec
des centres de santé…), des abus et injustices subsistent: retards dans le
versement du salaire (dont le montant est parfois raboté), insalubrité des
lieux de travail, abus physiques, verbaux et sexuels, “oublis” du jour de
congé hebdomadaire ou des congés annuels, abus dans l'exigence d'heures
supplémentaires, plages horaires prolongées, etc.
Certes, la présence d’un
syndicat est souvent source d'améliorations diverses en entreprise. Mais,
pour Amirul, “la situation politique du Bangladesh rend le travail
syndical difficile, et le progrès vers des conditions de travail qui soient
justes et équitables avance lentement”. Ainsi, les syndicats ouvriers
ne sont autorisés que dans les usines situées à l’extérieur des six zones
franches d’exportation et à condition qu’au moins 30% des salariés en
fassent la demande. Autre exemple: le gouvernement ne fournit aucune
protection aux travailleurs qui veulent créer un syndicat dans leur usine.
Ces derniers sont rapidement licenciés ou deviennent les bouc-émissaires des
dirigeants. Etonnant? Pas vraiment… “Sur les 300 élus du Parlement, 29
sont propriétaires d’usines du textile”, déplore la trésorière du NGWF.
La Fédération des
travailleurs du textile ne baisse cependant pas les bras. Plusieurs
organisations internationales, parmi lesquelles Solidarité Mondiale, lui
apportent aide et soutien.
Amirul doit nous quitter
un peu précipitamment. L’affaire de l’incendie de l’usine Garib et Garib, à
Gazipur (février 2010), causé par la négligence des propriétaires, n’est pas
terminée. Les propositions d’indemnisation des nombreuses victimes sont
ridicules. De difficiles négociations l’attendent autour d’une table-ronde
qui réunit le gouvernement, l’industrie et les entreprises occidentales.
Les exportations du
Bangladesh dépendent essentiellement de la production de vêtements et
d’autres textiles. Mais cette industrie bénéficie d’incitations fiscales
extrêmement généreuses de la part du gouvernement bangladais et de coûts de
production très bas. Même si ce secteur est largement créateur d’emplois,
seul un très faible pourcentage du capital investi profite finalement au
pays. “Le seul chiffre d’affaires de la multinationale suédoise H&M est
supérieur au budget annuel total du gouvernement bangladais”, souligne
un rapport de l’ONG Action Aid publié en 2010. De quoi conforter l'idée que
la mondialisation profite surtout aux multinationales et à leurs
actionnaires.
“Le
shopping, vous adorez ça!”
Lorsque la délégation
belge demande à Zosna, l'une de ces “filles du vêtement”, si elle veut
s'adresser aux gens qui, en Europe, portent les vêtements qu’elle fabrique,
elle répond: “Je n'ai pas le droit de leur demander quelque chose. Ils
ont l'argent et sont censés pouvoir s'offrir de beaux vêtements”.
Kadir, l'un des
dirigeants de l'ONG GK, proche des syndicats du textile, enfonce le clou.
“Normalement le consommateur n’a pas à se culpabiliser. Ce qui se passe ici,
c’est le système qui le veut. Chez nous aussi, au Bangladesh, la publicité
prend le dessus partout. Les jeunes ne sont plus mobilisés pour les causes
qui en valent la peine. Ils sont très individualistes, veulent tout, tout de
suite. Ils évoluent par mimétisme, pensent que tout est bon à prendre de
l’Occident”.
// Valérie Van Belle
Une boulimie de vêtements
Le printemps
pointe son nez. Tentant de faire un petit tour en ville pour
rafraîchir sa garde-robe. Emportés par la mode et le plaisir de
consommer, les habitants des pays occidentaux n’ont jamais autant
rempli et renouvelé leurs garde-robes. En Europe, on estime l’achat
annuel de textile à environ 24 kilos, dont plus de la moitié est
consacrée à l’habillement. Soit une trentaine de vêtements achetés
par personne chaque année. Aux Etats-Unis, la consommation moyenne
est de 48 articles par an.
Cette
surconsommation a des impacts environnementaux très lourds. Ils
varient selon la nature de l’article, sa composition, ses procédés
de fabrication, les phases et lieux de fabrication. La culture du
coton par exemple, qui reste la fibre textile la plus utilisée au
monde, absorbe 25 % des insecticides et 11 % des pesticides utilisés
dans le monde, alors qu’elle n’occupe que 2,5% de la surface de la
planète. Selon une analyse d’Oxfam, la production d'un t-shirt exige
1724 litres d’eau, 57 grammes d’engrais et 16 grammes de pesticides.
Plusieurs associations(1) cherchent à encourager
les consommateurs des pays occidentaux à s’interroger sur les
conditions dans lesquelles sont produits les biens de consommation
courante chez eux, comme les vêtements. Ces campagnes ont aussi pour
objectif de faire pression sur les entreprises pour faire respecter
les droits des travailleurs.
(1) Peuples solidaires - Oxfam France - Agir ici -
les ONG, organisations et syndicats membres de la Campagne Vêtements
Propres |
Abolir le sablage des jeans |
‘Délaver un
jeans tue’, tel est le slogan de l’action que mène actuellement la
Campagne Vêtements Propres. Parmi les techniques utilisées pour
donner au jeans un aspect délavé, usé ou blanchi, le sablage est la
plus courante. Un procédé dangereux – voire mortel – pour la santé
des travailleurs. |
Si la promotion de ce style rapporte cash’, (les prix des jeans
sablés sont bien plus élevés), elle se paie cash’ également car les
sableurs turcs, bangladais ou chinois courent un risque très
important de contracter une forme aiguë de silicose, une maladie
incurable et mortelle. La Campagne Vêtements Propres a contacté une
centaine de marques et enseignes et propose un état des lieux des
engagements des entreprises de distribution. Elle vous invite à
écrire aux marques et enseignes pour exiger l’abolition du sablage
et demande aux organisations de signer un manifeste en ce sens.
>>
Infos :
www.vetementspropres.be
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