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Colombie (1er août 2002)

 

La force ne sert à rien Avec un “ dur ” à la tête du pays, la Colombie va connaître une situation d’apparence nouvelle. Pourtant, fondamentalement, rien ne change. Les mêmes acteurs sont toujours en place, et personne ne gagnera la guerre sans trouver d’abord une réponse aux défis sociaux et économiques.

 

Élu au premier tour de l’élection présidentielle, alors qu’il en faut habituellement deux, Alvaro Uribe a perturbé le jeu politique colombien en échappant au binôme des partis libéral et conservateur, marche-pieds traditionnels pour l’accès au pouvoir. Depuis l’accord signé entre eux en 1954, c’est en effet la première fois qu’un dissident d’un parti gagne les élections. Uribe a par ailleurs tenu un discours radical d’affrontement avec la guérilla, alors que son prédécesseur avait tenté le dialogue.En mars déjà, la Colombie avait connu un scrutin, législatif cette fois. Là aussi, les partis dominants avait perdu des plumes, signe que la population colombienne en a marre de la situation. Il ne faut pas surestimer, cependant, la nouveauté du programme de l’élu. Alvaro Uribe et Horacio Serpa, respectivement libéral dissident et libéral reconnu par son parti, ont obtenu ensemble 85 % de voix, le seul candidat de gauche démocratique, Luis Eduardo Garzón, ayant reçu 6,18 % des suffrages. De plus, entre les principaux partis politiques, libéral et conservateur, “il n’y a pas de grande différence, affirme Julio Roberto Gómez, secrétaire général de la Confederación General de Trabajadores Democráticos (syndicat CGTD). Ils se distinguent par une couleur et par une conception théorique de la vie et de la société, mais dans la pratique, ils ont en commun, sans distinction, de porter atteinte aux droits des travailleurs et des individus.”

 

Panorama bloqué
Depuis plus d’une décennie, la situation politique et militaire semble bloquée. Plusieurs forces interviennent, parfois alliées, parfois opposées. La direction politique et l’armée, d’une part, constituent l’ordre légal, mais dont la légitimité est contestée. Les groupes paramilitaires, soucieux “d’assainir” le pays, s’en prennent, tant aux membres de la guérilla qu’aux mendiants, prostituées, enfants des rues… et aux journalistes, syndicalistes, membres d’ONG critiques. En face, la guérilla, dont le bloc principal est constitué des FARC (Forces armées révolutionnaires de Colombie), est née d’un projet politique favorable au monde populaire mais il ne semble plus en rester grand-chose, si ce n’est la volonté de se maintenir comme acteur. Enfin, les milices ou petites armées privées complètent le tableau, qu’il s’agisse de celles créées par les narcotrafiquants pour protéger leurs activités ou celles mises sur pied par les grands propriétaires fonciers. Ces deux catégories se superposent souvent, les narcos étant eux-mêmes détenteurs d’environ 10 % des terres les plus fertiles du pays.Ce tableau se complique du fait des interactions entre les acteurs. Ainsi, des liens directs existent entre l’armée officielle et les groupes para-militaires ; la MAS (Muerte a los secuestradores), créé en 1981 par des propriétaires terriens et des entreprises, comptait 59 officiers. Les Unités d’Autodéfense de Colombie (UAC) ont été instituées par les frères Castaño, grands propriétaires, et leur servent tout autant à accroître leurs possessions qu’à se protéger (1). De leur côté, les membres de la guérilla trouvent des alliés ponctuels ou imposent des “contributions volontaires” aux propriétaires ou aux cultivateurs de coca, en contrepartie de leur tranquillité. Et ainsi de suite… La corruption règne en maître.

 

Violations records
Depuis les années 1980, plusieurs tentatives de retour à la paix ont eu lieu. En 1986, les FARC ont même pu créer un parti, l’Union patriotique, qui s’est présenté aux élections et a obtenu des élus nationaux et locaux. Mais tous ces essais ont été torpillés par l’un ou l’autre secteur. Le président sortant, Andrés Pastrana, a été le dernier en date à entrer en dialogue avec la guérilla, concédant même à celle-ci le contrôle de certaines régions mais cette tentative-ci aussi a capoté. En réalité, un certain nombre d’acteurs, dans les divers camps, ne veulent pas de la paix parce que c’est la guerre qui leur donne une influence dans la société. En attendant, comme le souligne Julio Roberto Gómez, “c’est toujours la population qui paye”, sur le plan social et sur le terrain des droits humains où la Colombie vient en tête quant à leurs violations. C’est vrai pour les atteintes à la liberté d’association et à celle de la presse. “Le bilan de la répression de la liberté de la presse est lourd : trois journalistes et un collaborateur des médias tués, huit journalistes exilés, six agressés, et dix-neuf menacés. Un bilan qui est loin d’être exhaustif dans la mesure où, par crainte de représailles, les journalistes préfèrent souvent ne rien dire des menaces qu’ils reçoivent”, écrit Reporters sans Frontières dans son Rapport 2002. Quant aux violations des droits syndicaux en Colombie, elles font l’objet de 10 pages dans le rapport annuel de la CISL publié en juin dernier. Un record ! Pour le monde syndical, en effet, il ne faut pas renverser la problématique en cherchant la résolution du conflit dans des mesures sécuritaires, mais “en désactivant les origines du conflit, qui résident dans la désagrégation sociale, dans l’abandon des campagnes et des plus pauvres.” La naissance de la guérilla est une revendication sociale, explique le dirigeant de la CGTD. Certes, aujourd’hui la situation est plus complexe, confuse, avec les actes terroristes qui se retournent contre le peuple. Mais la seule possibilité d’ouvrir un espace au développement pacifique du pays est de promouvoir la justice sociale par une réforme agraire, le remboursement au pays de la dette sociale, l’approvisionnement en eau potable, le développement des voies de communications, etc.” Or, c’est le contraire qui se produit. Dans le milieu rural, 80 % des terres sont concentrées dans les mains de 5 % des propriétaires. 26 millions de Colombiens vivent sous le seuil de pauvreté alors que le pays dispose de ressources supérieures à celles de pays comme la Belgique ou les Pays-Bas : café, sucre, tabac, fruits, pétrole, fer, nickel… Selon A. Bernal Escobar, directeur du Département d’enquêtes, études et projets de la CGTD, le taux de chômage dans les 7 grandes villes est passé de 8,7 % en 1995 à 20,5 % en 2000. Il y a eu certes création d’emplois mais sur le million et demi de personnes qui ont rejoint le marché du travail durant cette période, un tiers seulement a trouvé un emploi.

 

Pour un grand débat national
Uribe, pourtant, s’est fait élire sur un programme radical, promettant d’en finir avec la violence en renforçant l’appareil policier et militaire. Mais, lui-même accusé de liens avec les paramilitaires, groupes d’extrême droite antiguérilleros, il s’en prend presque exclusivement aux FARC, négligeant les autres sources de violence. Encore candidat, il a proposé que chaque travailleur abandonne un jour de salaire pour aider à l’équipement de l’armée. Pour la CGTD cependant, “l’homme est intelligent, et il doit savoir que personne ne peut gagner la confrontation armée. Par contre, nous savons qui va la perdre: le pays.” Voilà pourquoi l’organisation plaide pour “un grand débat national contre la guerre totale et pour la paix intégrale”, qu’elle va proposer au Président. Sans trop d’illusion parce que les premiers signes ne sont pas encourageants. Le nouveau président s’est dit partisan d’une plus grande flexibilité dans la législation du travail. Il envisage de revoir d’autorité des conventions collectives et d’élaborer une loi sur les retraites très répressive. Son futur Ministre du travail, qui sera aussi Ministre de la santé est connu pour son néolibéralisme et est auteur de la loi de 1993 qui a commercialisé le domaine de la santé.Par leurs votes, les Colombiens ont exprimé une volonté de débloquer la situation. Il n’est pas certain du tout que la voie choisie en élisant Uribe soit la bonne.
André Linard, InfoSud


(1) Voir “ Une réalité très complexe ” - Mariela Guerrero Serrano, Vivant Univers, n° 437, 1998
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Ingrid Betancourt, la rage au cœur

 

“Le conflit colombien est compliqué. Le combustible qui fait marcher cette machine de guerre est le trafic de la drogue. C’est lui qui finance la guérilla et les paramilitaires. Mais c’est lui aussi qui finance beaucoup de politiciens traditionnels, corrompus, qui détiennent le pouvoir”. Ingrid Betancourt, pétillante sénatrice écologiste colombienne de 41 ans, n’a jamais mâché ses mots. Elle n’a jamais non plus abandonné son combat pour sortir le peuple colombien de l’engrenage infernal de la violence, de la corruption et de la misère, même lorsque les narcotrafiquants ont tenté de la tuer. Quand ses deux enfants ont été menacés à leur tour, la mort dans l’âme, elle s’en est séparée pour les confier à la garde de leur père installé en Australie. Ingrid Betancourt est courageuse et déterminée. Mais en s’aventurant sciemment dans une zone non-contrôlée par le gouvernement, le 23 février dernier, elle a fait preuve d’un excès de confiance et de naïveté à l’égard des FARC qu’elle avait déjà rencontrés auparavant. Cette fois, la guérilla marxiste l’a enlevée.Dans son livre poignant “La Rage au cœur”, Ingrid Betancourt démonte pièce par pièce le puzzle de la corruption qui gangrène tous les niveaux de pouvoir (1). Une gigantesque corruption dont elle a été le témoin direct à 29 ans lorsqu’elle a travaillé au ministère des Finances. Ce fut le déclic de son engagement politique, soutenu par une solide formation en sciences politiques à Paris. “J’ai appris lors de mes études combien la démocratie est fragile et que chaque fonctionnaire, chaque élu, a le devoir individuel, à quelque niveau de responsabilité que ce soit, de rester intègre dans sa fonction. La corruption commence dès que l’un d’eux est corrompu”, dira en substance Ingrid Betancourt. Dès 1994, preuves à l’appui, la jeune femme dénonce sans détours les dirigeants compromis avec la mafia des narcotrafiquants et y compris Ernesto Samper, le Président de la République lui-même. Mais le procès Samper qui s’ensuit est également entaché de corruption. Cependant, l’opinion publique prend conscience de l’ampleur du problème. Ingrid Betancourt est élue sénatrice en 1998 sur la liste Oxígeno Verde, un parti écologiste qu’elle a elle-même créé. En mai 2002, lors des élections présidentielles, elle n’a remporté qu’un peu plus d’un pourcent des voix. Car en définitive, cette femme dynamique et tenace est bien plus connue, admirée et soutenue à l’étranger que dans son propre pays où elle fait partie, ni plus ni moins, de ceux qui combattent la corruption et la mafia, et de ces milliers d’anonymes victimes de kidnapping…Joëlle Delvaux(1) “La rage au cœur” - Ingrid Betancourt - Editions XO - Pocket. 2001 -6,38 EUR.Pour en savoir plus :www.educweb.org/Ingrid  : “L’Association Ingrid pour la paix” donne des informations sur les comités de soutien, une pétition pour la libération d’Ingrid et propose un forum. www.educweb.org/AlterFocus/Dossiers/Betancourt  : Alter Focus, une autre façon de voir l’actualité, fournit des informations sur Ingrid et des liens vers des sites et articles de presse sur la Colombie, les élections, etc.

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