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Coopération (4 août 2011)

Lire aussi : Haïti, le pays des failles

 

Reconstruction

 

Haïti: du chaos à la lueur d’espoir?

Un an et demi après le terrible tremblement de terre qui a fait 250.000 morts et deux millions de sans-abri en Haïti, force est de constater que la reconstruction du pays tarde à se mettre en route. Témoignages et réflexions.

© Christophe Smets
A l’arrivée à Port-au-Prince, une lézarde dans le bâtiment principal de l’aéroport laisse clairement apparaître les traces durables du séisme. Déjà fortement marquée par des décennies de problèmes politiques, économiques et sociaux graves(1), la société haïtienne peine à se remettre de ce nouveau coup du sort auquel se sont ajoutés le passage du cyclone Thomas, en novembre dernier, et l’apparition d’une épidémie de choléra qui a déjà provoqué la mort de 5.500 personnes.

Pour Frédéric Thomas, responsable des projets en Haïti pour l’ONG Entraide et Fraternité(2), “le tremblement de terre a laissé un pays ravagé, et mis en évidence la grande vulnérabilité du territoire aux catastrophes naturelles. On doit y ajouter la pauvreté, l’absence d’Etat, l’extrême concentration et la centralisation à Port-au-Prince, l’insécurité alimentaire et la dépendance envers l’aide internationale, les politiques de libéralisation économique mises en œuvre sous la pression des instances internationales”. Autant de freins à la reconstruction du pays, estimée par la Banque interaméricaine de développement (BID) entre huit et quatorze milliards de dollars.

 

L’argent promis

Si les promesses de dons se sont bousculées au lendemain de la catastrophe(3), seulement 20% de celles-ci semblent avoir été honorées pour l’instant, mais les chiffres ne sont pas clairs, tout comme l’attribution des dons. Par exemple, sur les 346 millions d’euros promis par la France, 140 se rapportent à l’annulation de dettes, aux rapatriements, à des sommes qui provenaient d’autres fonds pour Haïti. Nombreux sont ceux qui dénoncent le manque de cohérence entre les promesses d’aide et la réalité des faits, comme le Père Angel García, président de l’ONG espagnole “Mensajeros de la Paz” (Messagers de la paix), qui déclare que “rien n’a encore été reconstruit”.

Manque de coordination et de confiance entre partenaires, corruption, Etats qui conditionnent leur aide à la participation de leurs entreprises à la reconstruction, problème foncier : autant de raisons participants aux blocages.

Le problème foncier est majeur. En Haïti, le cadastre n’existe pas, et nombre de terres privées sont en indivision. Quant aux terres publiques, situées au-dessus de 800 mètres d’altitude dans un pays très incliné, elles ont souvent été redistribuées, voire sous-louées. L’imbroglio est inimaginable.

Dans la capitale, la population est passée de 140.000 à 2.000.000 d’habitants en 60 ans, et plus encore depuis le séisme, qui a provoqué une pression démographique intense et la disparition des espaces à bâtir. Un animateur radio n’a pas hésité à comparer Port-au-Prince à un nouvel enfer.

Ajoutons à cela la spéculation immobilière. Il devient alors difficile d’imaginer comment trouver rapidement des solutions pour reloger les centaines de milliers de personnes qui vivent encore aujourd’hui sous des tentes, au sein de camps à Port-au-Prince.

La situation n’a d’ailleurs pas vraiment changé pour toutes ces familles de déplacés. Le Mosctha, mouvement socio-culturel pour les travailleurs haïtiens(4), dans son analyse de la situation, interpelle avec vigueur : pourquoi les gens doivent-ils encore vivre dans des tentes “provisoires” fournies par les organisations, sans hygiène, ni eau, ni sanitaires? Pourquoi des femmes et des enfants sont-ils encore violés par des hommes vivant dans les mêmes camps?

 

Une instabilité politique
préjudiciable

Les difficultés profondes que connaît le pays ont été accentuées par le séisme. Et la faiblesse de l’Etat s’est cruellement fait sentir dans le manque de coordination de l’aide des organisations internationales venues porter assistance au peuple haïtien.

Elu président au printemps 2011, principalement en vote sanction à son prédécesseur René Préval, le chanteur Michel Martelli incarne, pour les couches populaires, une forme de renouveau. Jeune et connu de tous, il a su convaincre par son image. Mais, selon Carole Jacob, présidente de l’association Sofa (Solidarité des femmes haïtiennes), Martelli est un homme incompétent, mal entouré et bien trop conservateur que pour apporter à la société civile les besoins primaires attendus depuis longtemps.

Philippe Teller, bénévole auprès de l’asbl Codeart(5), parle, quant à lui, de vide politique. “En Haïti, il n’y a pas suffisamment de recherche du bien commun. La loyauté est limitée et orientée vers la communauté proche”. Certains accordent pourtant au nouveau président le bénéfice du doute, parmi lesquels Jean Sprumont, agronome belge expatrié en Haïti depuis 45 ans, dont l’épouse, Michelle Oriol, devrait devenir prochainement ministre de l’intérieur si le président parvient à constituer un gouvernement. “Je le crois honnête. C’est un homme qui ne lit pas, entouré de certains personnages très douteux, mais il est à l’écoute. Quelques personnes tentent d’en faire un vrai président”.

 

Une aide internationale
controversée

“Loin de tout résoudre, l’aide étrangère entraîne des effets pervers, déclare Patrick Cherubin, du Mosctha. Ainsi par exemple, il est difficile de trouver des médecins qui acceptent de travailler pour un prix raisonnable lorsqu’ils voient les salaires élevés pratiqués dans les grosses ONG internationales”. Une réalité corroborée par une majorité d’acteurs humanitaires qui déplorent l’augmentation importante des frais de mission sur place. “La reconstruction mise en place par l’aide internationale ne tient pas assez compte de la société civile haïtienne, affirme Patrick Cherubin. Les actions sur le terrain, menées en intégrant directement les communautés locales, montrent au contraire que c’est possible et efficace”.

“J’espère que le nouveau gouvernement pourra garantir une plus grande stabilité politique et que les pouvoirs publics haïtiens pourront ainsi reprendre la direction de la reconstruction du pays à la place de l’Organisation des Nations unies ou des États-Unis, comme c’est le cas pour le moment”, souligne, de son côté, Ellen Verryt, de Solidarité mondiale, l’ONG du Mouvement ouvrier chrétien.

 

Des solutions?

Redonner Haïti aux Haïtiens semble être la voie à suivre. Mais comment ? Selon Jean Sprumont, qui vient de former près de 2.000 maçons via les ateliers écoles de Camp Perrin(6), depuis le tremblement de terre, le vrai problème de la reconstruction se situe avant tout dans l’image négative que les Haïtiens ont d’eux-mêmes. Une image qui trouverait son origine dans l’esclavagisme, la malnutrition et le manque d’accès à la culture. “Il serait temps de changer le rapport à la vérité et de donner à tous les mêmes droits. Il faut apprendre aux gens à penser pour leur permettre d’avoir un jugement et d’acquérir de l’autonomie. C’est ce que je fais avant tout dans les formations que j’organise”. Aider, comme Codeart, des artisans à produire localement des machines permettant d’assurer les besoins de base des populations locales, voilà une idée parmi d’autres qui semblent aller dans le sens de l’autonomie locale.

Reconstruire la société passe aussi par l’éducation. Avec un taux d’alphabétisation de 52% et 4.000 écoles détruites (90% des écoles sont d’initiative privée), il y a du chemin à faire. Pour Jean Sprumont, le problème se situe avant tout dans la formation des enseignants, véritablement catastrophique. “Il faudrait en outre rendre l’enseignement plus proche des problèmes des gens”.

Si une lueur d’espoir persiste dans le cœur de nombreux Haïtiens, il n’est pas du tout certain que la lumière apparaisse sans heurts. Bien que la phrase “Ce dont nous ne mourrons pas nous rend plus fort” est entendue, on peut se demander si la société civile ne va pas, en désespoir de cause, une nouvelle fois sombrer dans la violence. Et Carole Jacob de conclure: “Nous nous battrons jusqu’au bout, mais je ne sais pas pour combien de temps encore”.

 

// Christophe Smets

(1) Plus de la moitié de la population vit dans l’extrême pauvreté, avec moins d’un dollar par jour.

(2) www.entraide.be 

(3) Au Sommet des donateurs, réuni à New York le 31 mars 2010, le monde s’était engagé à offrir une contribution de 5.300 millions de dollars en deux ans.

(4) Soutenu par Solidarité mondiale – l’ONG du MOC –, le Mosctha dispense par exemple des soins médicaux et conseils de prévention dans les campements et les communautés rurales, forme aux soins de santé de première ligne, à la gestion des eaux... www.solmond.be

(5) L’asbl Codeart est spécialisée dans la lutte contre la faim, par l’appui aux filières artisanales décentralisées de transformation des produits de base: www.codeart.org
Voir aussi le documentaire “Le Pain des Tropiques”, réalisé par Bernard Simon.

(6) Le projet de formation a été soutenu par l’Unesco et le gouvernement haïtien. Infos : www.aecp-haiti.org/

 


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