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Coopération
(4 août 2011) ► Lire aussi : Haïti, le pays des failles
Reconstruction
Haïti: du chaos à la lueur d’espoir?
Un an et demi après le terrible tremblement de terre qui a fait 250.000
morts et deux millions de sans-abri en Haïti, force est de constater que la
reconstruction du pays tarde à se mettre en route. Témoignages et réflexions.
Pour Frédéric Thomas, responsable des projets en Haïti pour l’ONG Entraide et
Fraternité(2), “le tremblement de terre a laissé un pays
ravagé, et mis en évidence la grande vulnérabilité du territoire aux
catastrophes naturelles. On doit y ajouter la pauvreté, l’absence d’Etat,
l’extrême concentration et la centralisation à Port-au-Prince, l’insécurité
alimentaire et la dépendance envers l’aide internationale, les politiques de
libéralisation économique mises en œuvre sous la pression des instances
internationales”. Autant de freins à la reconstruction du pays, estimée par
la Banque interaméricaine de développement (BID) entre huit et quatorze
milliards de dollars.
L’argent promis
Si les promesses de dons se sont bousculées au lendemain de la catastrophe(3),
seulement 20% de celles-ci semblent avoir été honorées pour l’instant, mais les
chiffres ne sont pas clairs, tout comme l’attribution des dons. Par exemple, sur
les 346 millions d’euros promis par la France, 140 se rapportent à l’annulation
de dettes, aux rapatriements, à des sommes qui provenaient d’autres fonds pour
Haïti. Nombreux sont ceux qui dénoncent le manque de cohérence entre les
promesses d’aide et la réalité des faits, comme le Père Angel García, président
de l’ONG espagnole “Mensajeros de la Paz” (Messagers de la paix), qui
déclare que “rien n’a encore été reconstruit”.
Manque de coordination et de confiance entre partenaires, corruption, Etats qui
conditionnent leur aide à la participation de leurs entreprises à la
reconstruction, problème foncier : autant de raisons participants aux blocages.
Le problème foncier est majeur. En Haïti, le cadastre n’existe pas, et nombre de
terres privées sont en indivision. Quant aux terres publiques, situées au-dessus
de 800 mètres d’altitude dans un pays très incliné, elles ont souvent été
redistribuées, voire sous-louées. L’imbroglio est inimaginable.
Dans la capitale, la population est passée de 140.000 à 2.000.000 d’habitants en
60 ans, et plus encore depuis le séisme, qui a provoqué une pression
démographique intense et la disparition des espaces à bâtir. Un animateur radio
n’a pas hésité à comparer Port-au-Prince à un nouvel enfer.
Ajoutons à cela la spéculation immobilière. Il devient alors difficile
d’imaginer comment trouver rapidement des solutions pour reloger les centaines
de milliers de personnes qui vivent encore aujourd’hui sous des tentes, au sein
de camps à Port-au-Prince.
La situation n’a d’ailleurs pas vraiment changé pour toutes ces familles de
déplacés. Le Mosctha, mouvement socio-culturel pour les travailleurs haïtiens(4),
dans son analyse de la situation, interpelle avec vigueur : pourquoi les gens
doivent-ils encore vivre dans des tentes “provisoires” fournies par les
organisations, sans hygiène, ni eau, ni sanitaires? Pourquoi des femmes et des
enfants sont-ils encore violés par des hommes vivant dans les mêmes camps?
Une instabilité politique
Les difficultés profondes que connaît le pays ont été accentuées par le séisme.
Et la faiblesse de l’Etat s’est cruellement fait sentir dans le manque de
coordination de l’aide des organisations internationales venues porter
assistance au peuple haïtien.
Elu président au printemps 2011, principalement en vote sanction à son
prédécesseur René Préval, le chanteur Michel Martelli incarne, pour les couches
populaires, une forme de renouveau. Jeune et connu de tous, il a su convaincre
par son image. Mais, selon Carole Jacob, présidente de l’association Sofa
(Solidarité des femmes haïtiennes), Martelli est un homme incompétent, mal
entouré et bien trop conservateur que pour apporter à la société civile les
besoins primaires attendus depuis longtemps.
Philippe Teller, bénévole auprès de l’asbl Codeart(5), parle,
quant à lui, de vide politique. “En Haïti, il n’y a pas suffisamment de
recherche du bien commun. La loyauté est limitée et orientée vers la communauté
proche”. Certains accordent pourtant au nouveau président le bénéfice du
doute, parmi lesquels Jean Sprumont, agronome belge expatrié en Haïti depuis 45
ans, dont l’épouse, Michelle Oriol, devrait devenir prochainement ministre de
l’intérieur si le président parvient à constituer un gouvernement. “Je le
crois honnête. C’est un homme qui ne lit pas, entouré de certains personnages
très douteux, mais il est à l’écoute. Quelques personnes tentent d’en faire un
vrai président”.
Une aide internationale
“Loin de tout résoudre, l’aide étrangère entraîne des effets pervers,
déclare Patrick Cherubin, du Mosctha. Ainsi par exemple, il est difficile de
trouver des médecins qui acceptent de travailler pour un prix raisonnable
lorsqu’ils voient les salaires élevés pratiqués dans les grosses ONG
internationales”. Une réalité corroborée par une majorité d’acteurs
humanitaires qui déplorent l’augmentation importante des frais de mission sur
place. “La reconstruction mise en place par l’aide internationale ne tient
pas assez compte de la société civile haïtienne, affirme Patrick Cherubin.
Les actions sur le terrain, menées en intégrant directement les communautés
locales, montrent au contraire que c’est possible et efficace”.
“J’espère que le nouveau gouvernement pourra garantir une plus grande stabilité
politique et que les pouvoirs publics haïtiens pourront ainsi reprendre la
direction de la reconstruction du pays à la place de l’Organisation des Nations
unies ou des États-Unis, comme c’est le cas pour le moment”, souligne, de son
côté, Ellen Verryt, de Solidarité mondiale, l’ONG du Mouvement ouvrier chrétien.
Des solutions?
Redonner Haïti aux Haïtiens semble être la voie à suivre. Mais comment ? Selon
Jean Sprumont, qui vient de former près de 2.000 maçons via les ateliers écoles
de Camp Perrin(6), depuis le tremblement de terre, le vrai
problème de la reconstruction se situe avant tout dans l’image négative que les
Haïtiens ont d’eux-mêmes. Une image qui trouverait son origine dans
l’esclavagisme, la malnutrition et le manque d’accès à la culture. “Il
serait temps de changer le rapport à la vérité et de donner à tous les mêmes
droits. Il faut apprendre aux gens à penser pour leur permettre d’avoir un
jugement et d’acquérir de l’autonomie. C’est ce que je fais avant tout dans les
formations que j’organise”. Aider, comme Codeart, des artisans à produire
localement des machines permettant d’assurer les besoins de base des populations
locales, voilà une idée parmi d’autres qui semblent aller dans le sens de
l’autonomie locale.
Reconstruire la société passe aussi par l’éducation. Avec un taux
d’alphabétisation de 52% et 4.000 écoles détruites (90% des écoles sont
d’initiative privée), il y a du chemin à faire. Pour Jean Sprumont, le problème
se situe avant tout dans la formation des enseignants, véritablement
catastrophique. “Il faudrait en outre rendre l’enseignement plus proche des
problèmes des gens”.
Si une lueur d’espoir persiste dans le cœur de nombreux Haïtiens, il n’est pas
du tout certain que la lumière apparaisse sans heurts. Bien que la phrase
“Ce dont nous ne mourrons pas nous rend plus fort” est entendue, on peut se
demander si la société civile ne va pas, en désespoir de cause, une nouvelle
fois sombrer dans la violence. Et Carole Jacob de conclure: “Nous nous
battrons jusqu’au bout, mais je ne sais pas pour combien de temps encore”.
// Christophe Smets
(1) Plus de la moitié de la population vit dans l’extrême
pauvreté, avec moins d’un dollar par jour.
(2) www.entraide.be
(3) Au Sommet des donateurs, réuni à New York le 31 mars
2010, le monde s’était engagé à offrir une contribution de 5.300 millions de
dollars en deux ans.
(4) Soutenu par Solidarité mondiale – l’ONG du MOC –, le
Mosctha dispense par exemple des soins médicaux et conseils de prévention dans
les campements et les communautés rurales, forme aux soins de santé de première
ligne, à la gestion des eaux... www.solmond.be
(5) L’asbl Codeart est spécialisée dans la lutte contre la
faim, par l’appui aux filières artisanales décentralisées de transformation des
produits de base: www.codeart.org.
(6) Le projet de formation a été soutenu par l’Unesco et le
gouvernement haïtien. Infos :
www.aecp-haiti.org/
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