Lecture
(3 mai 2012)
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Notre société malade de ses prisons
“Après le meurtre, revivre”
D’un
côté, un père dont la fille adolescente a été assassinée. De l’autre, un homme
qui, à l’adolescence, a commis deux meurtres et passé près de 19 ans en prison.
Alors que tout aurait dû les séparer, voire les opposer, Jean-Pierre Malmendier
et Jean-Marc Mahy sont devenus amis. Dans un livre bouleversant, ils témoignent
de leurs parcours respectifs et de leur action commune.
En 2006, Jean-Pierre Malmendier et
Jean-Marc Mahy se croisent sur le plateau de l’émission dominicale de RTL-TVI
“Controverses”. Tous deux sont venus témoigner sur les peines de
prison. Le premier est présent au double titre de sénateur et de père d’une
victime : en 1992, sa fille, Corine, a été tuée en même temps que Marc, son
amoureux, par deux détenus en cavale. Le second est invité en tant qu’auteur de
faits délictueux, ayant deux fois engendré la mort sans intention de la donner.
En tant aussi qu’ex-détenu en liberté conditionnelle, devenu un symbole de la
volonté de changer sa vie et de s’acquitter du solde de sa dette. A la fin de
l’émission, aucun des invités n’a un regard pour l’ex-détenu. Aucun sauf
Jean-Pierre Malmendier qui, lui serrant la main, le félicite de témoigner pour
prévenir la délinquance, la violence. Jean-Marc Mahy le remercie en lui disant
pourtant qu’il l’a détesté pour avoir été à l’initiative, juste après les
funérailles de Corine, d’une pétition réclamant des peines incompressibles...
Une position avec laquelle le père désenfanté a largement pris ses distances par
la suite.
Cet échange marque le début d’un long dialogue entre les deux
hommes, qui les mènera à une amitié profonde et les incitera à agir ensemble.
Ainsi ont-ils fondé l’asbl Re-Vivre dont l’objectif est de restaurer un climat
d’apaisement pour les personnes concernées par des faits de criminalité et de
promouvoir la justice restauratrice.
Jean-Pierre Malmendier et Jean-Marc Mahy ont ardemment souhaité
laisser une trace écrite de leur combat commun. Le projet est né en juillet
2010. Anne-Marie Pirard, journaliste, a prêté sa plume délicate pour mettre en
forme les récits qu’elle a recueillis lors d’entretiens, complétés d’autres
sources dont un manuscrit que lui a confié Jean- Pierre Malmendier. Celui-ci,
décédé inopinément en février 2011, n’a, hélas, pu découvrir l’aboutissement de
ce projet tant attendu. Mais il n’aurait certainement pas été déçu par ce livre
que Jean-Marc et lui-même voulaient à la fois “simple, sobre, intense
pourtant à la mesure de leur chagrin, à la démesure de leur espoir. En
souhaitant que ces pages tombent un jour dans les mains de quelqu’un à qui il
donne l’élan nécessaire pour se remettre debout à son tour et l’aider à re-vivre”,
comme l’écrit l’auteure. Elle raconte avec beaucoup de sensibilité la surprenant
parallélisme des cheminements qu’une victime et un auteur doivent parcourir,
quand après le meurtre, ils veulent se reconstruire.
Deux destins, une même souffrance
L’ouvrage s’ouvre sur le récit du jour où tout a basculé. Pour
Jean-Marc Mahy, c’est le 24 novembre 1984 quand un cambriolage tourne mal. Pour
Jean-Pierre Malmendier, c’est le 15 juillet 1992 quand l’angoisse monte dans la
famille, Corine n’étant pas rentrée. Anne-Marie Pirard décrit les événements qui
ont plongé, tour à tour, la victime et l’auteur au cœur des ténèbres. En
revisitant le temps d’avant, elle évoque ensuite les souvenirs d’enfance que
chacun a jugé importants dans son parcours. Des éclairages qui en disent longs
sur l’importance du soutien familial et scolaire.
Suit alors tout un chapitre sur l’enfermement. Pour l’ex-détenu,
c’est le temps du jugement, de la prison, de la révolte, de la récidive, de
l’emprisonnement à nouveau, dans des conditions indignes au sein de certaines
prisons. Une période noire. Une descente aux enfers. Un temps infini... Où l’on
mesure à quel point l’emprisonnement infantilise, détruit, déstructure,
déshumanise. Pour le père désenfanté, l’enfermement n’est pas moins réel mais
s’il n’est évidemment pas de même nature. Le chagrin incommensurable à l’annonce
du décès de sa fille, le sentiment de solitude, la colère, le désespoir, la
haine aussi.
Comment sortir de la nuit, vivre après ou avec un traumatisme ?
La deuxième partie du livre en donne tout son sens. Et ouvre à des perspectives
d’un humanisme éblouissant. En puisant dans leurs ressources intérieures et
grâce à des compagnons de route, les deux hommes ont pu “sortir du trou”,
se remettre en chemin, restaurer leur paix et retrouver le monde des vivants.
Leurs parcours respectifs ont conduit les deux hommes aux mêmes conclusions : “Il
semble que 80% des ex-détenus retournent un jour en prison. Et plus la peine est
longue, plus le risque de récidive est élevé. Il faut donc changer le système.
Il faut transformer les prisons pour que les peines deviennent pédagogiques,
pour que l’auteur qui a purgé sa peine sorte meilleur qu’il n’y est entré, mieux
préparé à jouer un rôle positif dans la société. Il faut en même temps
reconnaitre les victimes comme auteurs de droit, écouter leur parole, leur
donner les moyens de se restaurer afin qu’elles puissent accepter la réinsertion
de celui ou celle par qui le malheur est arrivé”.
// JOËLLE DELVAUX
>> “Après le meurtre, revivre”
Jean-Marc Mahy et Jean- Pierre Malmendier. Témoignages recueillis par Anne-Marie
Pirard - Ed. Couleur livres – 2012 – 14 EUR.
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