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Éditorial (16 mai 2013)

Jean Hermesse
//Secrétaire général
© A-M Jadoul
La vie n’a pas de prix ?!

500.000 euros! C’est le prix que réclamait la firme Alexion pour soigner, chaque année, la maladie rare dont est atteint le petit Viktor. La Ministre Onkelinx a pu négocier un accord, gardé secret, pour réduire quelque peu ce prix. Affaire réglée. Sauf qu’elle pose questions pour l’avenir... Le coût des nouveaux médicaments contre le cancer et les maladies rares augmente d’une manière exponentielle. Comment y faire face?

La question du prix élevé des nouveaux médicaments n’est pas neuve. Dans un contexte d’austérité et d’économies, elle se pose encore avec plus d’acuité. Alors que le chômage et la pauvreté s’étendent, que des économies importantes sont imposées dans tous les secteurs, y compris les soins de santé, la dépense de 10 millions d’euros pour une vingtaine de personnes résonne étrangement. Si de telles dépenses pour de nouveaux médicaments se multipliaient, l’assurance soins de santé serait rapidement en faillite. Nos budgets sont limités. Ils imposent des choix, implicites ou explicites.

Le coût des médicaments orphelins suit une courbe exponentielle

Le petit Viktor souffre du syndrome SHUa, une maladie rare (soit moins d’une personne par 2.000 habitants). Dans ce cas-ci, on l’estime à un patient par 50.000 habitants. Les coûts de la recherche et du développement d’un traitement médicamenteux sont à répartir sur un petit nombre de patients. Dès lors, le prix de ce type de médicament dit « orphelin » dépasse rapidement 100.000 euros par patient et par an. Globalement, on estime à 6.000 les maladies orphelines représentant au minimum 100.000 patients en Belgique. Sur la base des prix pratiqués par l’industrie pharmaceutique pour ces médicaments orphelins et en supposant qu’on puisse soigner ne fût-ce qu’un dixième des malades concernés, on atteint rapidement 2 à 3 milliards d’euros par an…

La pratique non transparente des firmes pharmaceutiques

D’après l’industrie pharmaceutique, le coût énorme de la recherche justifierait le prix élevé des médicaments orphelins. Mais, lorsque la Commission de remboursement des médicaments demande des détails à la firme Alexion, cette dernière ne fournit aucune explication. Une chose est sûre: Alexion se porte bien. Son chiffre d’affaires a atteint 1,13 milliard de dollars, rapportant un bénéfice net de 255 millions de dollars. Le directeur général de la firme a gagné l’année passée 12 millions de dollars. Autre élément troublant : la firme a choisi de ne pas introduire de demande de remboursement pour son médicament orphelin dans tous les pays de l’Union européenne. Sans doute au regard des capacités de paiement des systèmes de sécurité sociale. Ajoutons que, généralement, dans ce secteur, les dépenses de marketing dépassent celles consacrées à la recherche, faisant à peu près 20% du chiffre d’affaires.

Dans le cas du petit Viktor, la firme Alexion n’a pas ménagé ses efforts : elle a engagé une firme de relations publiques pour mobiliser et influencer l’opinion publique, de manière à exercer une pression médiatique sur la ministre fédérale de la Santé. Cette stratégie semble avoir porté ses fruits. L’accord signé entre la firme et la ministre restera secret. Forte de cette absence de transparence, Alexion pourra maintenir son prix de vente officiel élevé – même si les indications pour le médicament qu’elle a développé sont élargies – et négocier d’autres conditions dans d’autres pays.

D’autres choix sont possibles et sauveraient plus de vies

Au travers de l’assurance soins de santé obligatoire, la collectivité va donc payer 500.000 euros par an pour soigner, sa vie durant, un patient atteint d’une telle maladie rare. Vingt autres patients bénéficieront de ce même traitement. Au total donc, 10 millions d’euros seront versés chaque année à la firme Alexion pour rembourser ce médicament. Ces moyens vont donc sauver des vies et nous ne pouvons que nous réjouir de cette avancée. Pourtant ce montant énorme deviendrait tout à fait insupportable si chaque vie sauvée coûtait aussi cher à la collectivité.

Certes, comparaison n’est pas raison, mais prenons rapidement quelques exemples. Avec 10 millions d’euros, on pourrait investir dans la sécurité routière: 770 tués et des milliers de blessés en 2011 dont de nombreux jeunes, loin derrière la Suède où, sur le même nombre d’habitants et la même année, il y a eu 170 tués sur les routes. Avec 10 millions d’euros, on pourrait rembourser les consultations chez les psychologues pour les jeunes : en Belgique, le taux de suicide est un des plus élevés d’Europe, particulièrement chez les jeunes. Avec 10 millions d’euros, on pourrait renforcer la lutte contre les infections nosocomiales, qu’environ 100.000 patients contractent chaque année à l’hôpital, de nombreux décès à la clef. En investissant 10 millions d’euros dans une des ces trois politiques, nous sauverions probablement plus de 20 vies par an. Mais les moyens sont limités et il faut effectuer des choix, déterminer des priorités. L’essentiel est que ceux-ci passent par un débat public et démocratique.

Vu le coût énorme des nouveaux médicaments qui vont arriver pour soigner le cancer ou des maladies orphelines, il faut organiser un tel débat rapidement, avant d’être pris en otage et de devoir négocier dans l’urgence, sous la pression médiatique. Il s’agit également d’envisager ce débat au niveau européen. Il est grand temps que les instances européennes s’engagent dans une démarche volontaire et solidaire à cet égard. Une réglementation européenne spécifique pour les médicaments orphelins existe déjà, facilitant leur accès à l’enregistrement et donc à l’autorisation de mise sur le marché. Mais aucune disposition n’impose aux firmes pharmaceutiques concernées d’envisager l’ensemble des pays de l’Union pour la mise sur le marché de leur produit. Or, étendre le champ d’action, c’est augmenter le nombre de patients traités et réaliser des économies d’échelle qui permettent de répartir les coûts de la recherche et diminuer les prix.

Face à l’explosion des coûts des nouveaux médicaments et au chantage de certaines firmes, nous demandons l’organisation d’un débat politique ouvert et transparent sur les choix de politique de santé. Nous demandons aux instances européennes de prendre les mesures nécessaires pour davantage de transparence sur les prix des médicaments orphelins. C’est vital, tant pour l’équilibre du budget des soins de santé que pour la santé de la population.

Jean Hermesse//Secrétaire général

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