Éditorial
(6 septembre 2012)
L’émotion,
la rue et la démocratie
Les
écoliers rentrent dans leur classe avec leurs maîtres. Les politiques
rentrent dans leurs cabinets avec leurs engagements et la réforme de l’Etat.
Les organisations réinvestissent leurs bureaux avec des interrogations sur
leur avenir. Les médias retrouvent leurs costumes d’automne avec leurs
contenus moins balnéaires et les commentaires qui devraient permettre de
comprendre pour pouvoir agir...
La rentrée de
septembre, c’est aussi un peu un 1er janvier… Ce sont deux périodes propices
aux décisions importantes. Les “bonnes résolutions” se promènent entre
l’alimentation et la cigarette, le sport et la vie spirituelle, le
changement de rythme ou de vie, la résolution zen et l’engagement
stakhanoviste… Les partis politiques, les institutions ou les médias
n’agissent pas autrement. Ils ont aussi leurs “bonnes résolutions”. Pour
tous ces outils qui organisent le vivre ensemble d’une société humaine, les
observent ou les dirigent, il est utile et bénéfique d’utiliser ce moment
symbolique pour prendre un peu de recul.
L’actualité de la
rentrée nous en a donné l’occasion à tous : prochaines élections, manque de
places dans les écoles et inégalité de traitement entre les réseaux
scolaires, libération conditionnelle et peines incompressibles, réforme
institutionnelle et devenir des politiques de sécurité sociale, crise
économique, conflits au Mali, en Syrie… Il y a de quoi prendre de très
bonnes résolutions et tenter de participer à l’évolution démocratique de
notre microcosme belge , du continent européen ou de la planète. Tenter,
aussi, de veiller au bien-être des populations qui la peuplent actuellement
et qui tenteront d’y vivre demain.
Une
indispensable prise de recul
Dans les sociétés
totalitaires, les premières mesures adoptées consistent à supprimer la
liberté des médias, à établir la censure et à nommer des “amis du pouvoir” à
la tête des moyens d’information. La question est de savoir si les médias ne
se mettent pas eux-mêmes sous une forme de dictature par l’utilisation
débridée, non contrôlée, et souvent populiste de leurs blogs, de leurs
forums d’expression. C’est à partir de ces toiles d’expression que se bâtit
aujourd’hui une forme d’opinion publique sur la vague de laquelle tout le
monde surfe, à commencer par les responsables politiques. La frontière avec
le populisme est franchie tous les jours au nom de la liberté d’expression.
Une majorité de journalistes semble aujourd’hui condamnée à publier aussi
vite que la réalité des évènements et, dans tous les cas, plus rapidement
que l’analyse nécessaire. Ce temps de recul n’est-il pas bien utile, surtout
quand il s’agit de questions aussi essentielles que la structure de l’Etat,
l’analyse d’une crise ou les conditions d’une libération d’un détenu ou le
respect des victimes?
Il est
indispensable de retrouver le rôle de recul, d’analyse, d’aide à la
construction de notre démocratie, bref à l’information que peut et doit
jouer la presse sous toutes ses formes. Ne serait-il pas temps de séparer la
mise en place de forums citoyens de la rédaction des journaux et médias? Le
vécu de l’homme de la rue semble devenu l’échelle d’analyse et de recul de
l’information. C’est sans doute dynamique, vivant et expressif. Mais est-ce
le rôle des médias dans une société dont la démocratie n’est jamais acquise?
La prison
des images
“Transmetteurs de
la parole”, “passeurs de l’histoire”, les médias (comme les parents ou les
professeurs) jouent un rôle d’autant plus important qu’aujourd’hui, pour
exister, il faut être médiatisé et que les responsables politiques se sont
enfermés dans cette nouvelle prison de l’image.
Nous pouvions nous
plaindre, dans les décennies passées, de la discrétion de certains hommes
d’Etat et de leur apparent manque de transparence. Mais la société est-elle
plus démocratique et plus participative dans les conditions actuelles?
Est-ce parce que les politiques s’expriment sur tout, partagent leurs
sentiments par des tweets que la société se construit plus
durablement? Était-il respectueux d’utiliser la juste détresse d’une famille
pour appuyer le contenu populiste de ses revendications? Aussi importants
soient le traumatisme et les détresses engendrées par les actions d’un
individu, faut-il tomber pour autant dans la démagogie, le populisme et
l’extrémisme? Ceux-ci, rappelons-le, nient les centaines d’années qu’il a
fallu pour arriver à la juste séparation de la justice et de la gestion de
l’Etat. La suite de notre histoire commune demande d’avoir le courage de
dire ceci : les victimes doivent être respectées, écoutées et accompagnées
mais elles n’ont pas de rôle à jouer dans l’exécution des peines, sinon tout
le monde finira en prison et y restera. Ces deux vérités ne s’opposent pas
mais, au contraire, se renforcent. Il n’est pas possible d’écouter justement
les victimes si elles sont aussi actrices de la décision de justice. Il
n’est pas pensable de construire une société juste dans une démocratie
directe qui confond empathie et émotion. L’histoire de nos sociétés montre
que cela conduit à des dictatures, fussent-elles celle du prolétariat.
Il est
indispensable que l’institution Justice, comme les autres institutions,
montrent qu’elles sont conscientes du rôle qui est le leur et qui ne peut
leur être confisqué, faute d’en voir l’objet et l’objectif disparaître.
Elles doivent affirmer et incarner ce rôle pour consolider le modèle
démocratique belge.
Nous en appelons
aussi à la prise de parole des institutions de santé, d’allocations
familiales, de pensions, d’accompagnement des personnes âgées, de l’école
afin qu’elles osent dire: “Chers dirigeants politiques, avant de nous
transférer vers les régions d’où viendront nos normes et règlements demain,
réfléchissez à construire une vraie démocratie belge, wallonne, flamande,
bruxelloise ou germanophone! Chers médias, sachez prendre le recul qui
portera vers les populations les réponses qui leur permettront de mieux
vivre demain!”
Quant à
nous, nous nous engageons en cette rentrée à oser dire, porter et affirmer
le rôle des institutions de santé (hôpitaux, prestataires de soins et
mutualités) en faveur du bien-être de la population belge!
Alda Greoli//Secrétaire nationale
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