Éditorial
(17 mai 2012)
L’assurance
soins de santé
en boni en 2011. Mais à quel prix ?
Les comptes
de l’assurance soins de santé obligatoire se clôturent en 2011 par un grand
boni. On en parle peu et pourtant dans le contexte général de crise
financière et de déficit, c’est plutôt étonnant. On peut certes s’en
réjouir. Mais derrière ce bon résultat global se cachent des tendances et
des réalités inquiétantes.
Depuis 2005, le
budget des soins de santé présente un boni important de manière cumulée :
près de 6,5 milliards d’euros. Ces bons résultats ont pu être engrangés
parce que les dépenses ont augmenté moins rapidement que la norme de
croissance légale annuelle de 4,5%. Une partie de ces boni ont servi à
équilibrer les comptes de la sécurité sociale, une autre partie a été
utilisée pour constituer un Fonds d’avenir et faire face aux coûts du
vieillissement de la population. En 2011, le résultat financier est encore
meilleur que prévu. Une bonne nouvelle pour les caisses de la sécurité
sociale et de l’Etat. Mais, au sein du budget des soins de santé, certains
secteurs évoluent de manière inquiétante.
Un boni qui
suscite des inquiétudes
Le boni attendu en
2011 dans le budget des soins de santé était de 1,4 milliard d’euros. Il
atteindra finalement presque 1,8 milliard d’euros, soit près de 360 millions
d’euros de mieux. Les dépenses ont donc augmenté moins rapidement que prévu.
La croissance des dépenses en 2011 est même un point en dessous de la
moyenne par rapport à ces 10 dernières années : 2,8% hors inflation au lieu
d’une moyenne annuelle de 3,7%. Cette croissance plus faible des dépenses
s’explique par la marge réduite accordée à de nouvelles initiatives et
surtout par une réelle sous-consommation.
En effet, les
patients plus démunis ont tendance à reporter des soins surtout s’ils ne
sont pas vitaux. Ainsi on constate des boni plus importants en particulier
dans les secteurs des soins dentaires et de l’optique. Ces boni indiquent en
fait que les patients “consomment” moins et éprouvent plus de difficultés
financières à payer leur facture de soins, en particulier pour les soins
dentaires et l’achat de lunettes, des domaines où les patients doivent payer
beaucoup de leur poche. La sous-consommation est particulièrement marquante
à Bruxelles où la précarité a tendance à s’aggraver. Les boni réalisés dans
les secteurs des implants et de la rééducation peuvent être lus également de
cette manière : une bonne nouvelle pour la sécurité sociale mais une
mauvaise pour les patients.
Un seul secteur de
soins est en déficit, celui des médicaments. En 2011, le Gouvernement
fédéral avait prévu plusieurs mesures d’économies dans ce secteur (pour un
montant total de 65 millions d’euros) mais toutes n’ont pas eu l’impact
escompté. Dès lors, le secteur est en déficit de plus de 100 millions
d’euros. Ce dépassement est inquiétant.
Autre constat :
alors que le taux de croissance des dépenses est globalement modéré,
certains secteurs continuent à progresser de manière importante. Ainsi en
est-il des dépenses en maisons de repos et de soins et pour les soins
psychiatriques qui augmentent respectivement de 4,8% et 6,5% hors inflation!
Or ces deux secteurs de soins seront communautarisés.
Qui payera
la maîtrise des coûts ?
La réduction des
budgets globaux décidés par le Gouvernement fédéral pour 2012, 2013 et 2014
ajoute au défi pour l’avenir. Pour le réussir, il faudra adopter des mesures
structurelles et, à défaut, “d’autres” devront payer la note. Comme les
patients. La sous-consommation risque donc de croître encore dans le domaine
des soins dentaires, de l’optique ou des médicaments.
L’accord
gouvernemental prévoit le transfert de certaines matières vers les
Communautés et Régions mais avec un taux de croissance nettement plus faible
que par le passé. C’est le cas pour le secteur des maisons de repos et de
soins par exemple. La communautarisation des soins de santé sera donc une
bonne opération pour le budget de l’assurance soins de santé fédérale mais
un casse-tête pour les Communautés. Pire, elle risque de faire supporter les
coûts aux personnes âgées, les structures de soins résidentiels risquant
clairement de manquer de moyens financiers.
Quant au budget des
médicaments prévu pour 2012, il est inférieur aux dépenses de 2011! Certes,
le Gouvernement a prévu des mesures d’économies pour plus de 170 millions
d’euros en agissant sur les prix, sur la délivrance des médicaments moins
chers et en imposant encore plus de contrôles sur l’octroi des accords par
les médecins-conseils. Mais, on peut craindre que ces mesures ne seront pas
suffisantes et qu’une partie des économies retomberont là aussi sur le dos
des patients.
Des mesures
structurelles
Aucun grand
chantier de réformes structurelles n’a été mis en œuvre. A l’horizon, pas de
révision du mode de financement des hôpitaux, pas de réétalonnage de la
nomenclature, pas de structuration de la garde médicale et de la première
ligne, pas de conversion d’une partie de la capacité hospitalière aigue en
services de revalidation et de réadaptation, pas de révision du mode de
financement des médicaments dans les maisons de repos, pas de délégation des
tâches... A défaut de mesures structurelles ayant un impact sur l’offre et
le volume des soins, les risques sont grands de voir la charge financière
reportée sur les patients et d’assister à la privatisation des soins.
Le Fonds d’avenir
contient actuellement plus d’un milliard d’euros. Il pourrait être un
formidable levier pour répondre aux besoins croissants en soins
résidentiels, en finançant la construction de maisons de repos et de soins.
Le boni
2011 de l’assurance soins de santé est finalement plus élevé que prévu :
bonne nouvelle. Mais, derrière ce résultat global, nous craignons que des
patients se soignent moins bien, que des soins se privatisent, que l’offre
de soins aux personnes âgées soit insuffisante par rapport aux besoins. La
maîtrise des dépenses et le maintien de l’accès aux soins nécessitent des
mesures structurelles. Où sont-elles?
Jean
Hermesse//Secrétaire général
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